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Compte rendu

"Ça, c’est une histoire franco-américaine passionnante !"

août 2023

Les rencontres franco-américaines ont permis d’échanger dans une atmosphère détendue et amicale. Contrairement aux idées reçues, les éditeurs américains présents étaient souvent francophones et francophiles. Voici quelques retours sur cet évènement.  


"Pour nous, le genre américain de la 'littérature en traduction' n’existe pas"

 

Tynan Kogane travaille chez New Directions depuis 10 ans. Curieux et multilingue il est parfaitement à l’image de cette très belle maison, spécialisée en littérature américaine et étrangère.


"Fondée en 1936 par James Laughlin, New Directions a publié les auteurs du mouvement moderniste comme Ezra Pound, qui était un ami de Laughlin. Nous éditons une quarantaine de livres par an, de la fiction, de la poésie et des essais dont 2/3 sont des traductions. C’est dire si la traduction fait partie de notre ADN. Actuellement je travaille sur un livre de Mathias Énard, l’un de mes auteurs français préférés. Nous travaillons avec beaucoup d'écrivains français qui nous recommandent parfois des titres. J’ai appris le français pendant mes études et depuis quelques années je viens régulièrement à Paris pour rencontrer les éditeurs français. Je suis ici à la recherche d’auteurs classiques modernes qui n’ont jamais été traduits en anglais et je m’intéresse également aux écrivains contemporains expérimentaux. Je suis satisfait car mon agenda est bien rempli !"

 

"Démarrer la maison par une visite à New York, c’est juste inespéré !"

 

Nathalie Caume est responsable des droits et directrice adjointe des toutes nouvelles Éditions Recamier (Editis). Créée en début d’année, la maison a publié ses premiers titres fin août.


 

"Je ne connaissais pas du tout le marché américain. Un chiffre qui m’a impressionné, c’est qu’il n’y a que 3 % de traductions, cela relève donc du miracle d’arriver à en obtenir une. Mais pour nos deux textes de rentrée, J’ai mille ans… de Jean-Marie Quémérer et Le Dernier Amant d’Oscar Lalo, j’y crois à fond, même si cela reste toujours un mystère ce qui passe la frontière. J’ai 15 rendez-vous avec des éditeurs que je ne connais pas du tout et je suis surprise car la maison vient de se lancer et je pensais que ce serait plus compliqué. C’est important de se rencontrer et de créer des liens car nous parlons de textes et d’auteurs et non pas de chiffres ou de marketing."

 

"J’ignorais que nos livres pouvaient être adaptés directement en audio aux États-Unis"

 

David Meulemans, inspiré par l’édition américaine, a créé les éditions Aux Forges de Vulcain en 2010 après avoir fait des études à New York et Boston. Il publie des romans, des essais et des livres d’art français et étrangers.


"Le projet de créer ma maison est né quand je suis rentré des États-Unis. Ce qui m’a frappé c’est que le découpage des rayons en librairie n’est pas le même dans les deux pays. Leur rayon 'general fiction' est beaucoup plus large et accueille des livres que nous classerions en genres. D’où m’est venue l’idée de publier aux Forges de Vulcain ce qu’on appelle de la 'transfiction', des romans très littéraires dans lesquels on trouve des éléments surnaturels ou futuristes dépassant la réalité. C’est ce que les Américains appellent 'speculative fiction' et cela me paraît naturel de proposer ce type de romans maintenant à mes collègues américains. J’ai 16 rendez-vous ici dont deux avec des éditeurs de livres audio. La table ronde sur les audiobooks était très intéressante pour moi parce que je n’avais jamais pensé que nos romans pouvaient être achetés pour être directement adaptés en livres audio sans édition papier préalable. Nous avons déjà publié des livres audio en France et je pense qu’ils ont un potentiel pour les Américains. D’autant plus que l’audio peut servir de levier au livre papier."

 

"J'aimerais que les États-Unis aient une culture du livre aussi forte qu'en France"

 

D’origine française, américaine et chinoise, Emilie Robert Wong est éditrice chez Enchanted Lion Books à Brooklyn, un éditeur indépendant de romans graphiques et de livres jeunesse du monde entier, "capables de transporter les enfants vers quelque chose de plus grand qu’eux."


 

"Les Magiciens (La Partie, 2023) est notre titre français le plus récent, il sortira en novembre. C'est vraiment excitant d'être l'éditeur anglais de Blexbolex pour l’ensemble de son œuvre jeunesse. La France a une si longue tradition dans le domaine des livres illustrés, c’est merveilleux de découvrir ici la production dans toute sa richesse. J'aimerais tellement que les États-Unis aient une culture du livre aussi forte qu'en France. J'ai l'impression que la rentrée littéraire est un vrai événement ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. Grâce à la forte tradition de la BD, la France est beaucoup plus ouverte à l’art de raconter des histoires illustrées et destinées non seulement aux enfants mais aussi aux adultes. Les enfants américains sont incités à arrêter de lire des livres illustrés pour s’orienter vers quelque chose de ‘plus intelligent’ dès l’âge de 6-7 ans. Nous essayons de faire autrement et, au niveau du contenu aussi, nous repoussons un peu les limites de ce que le marché américain peut considérer comme approprié pour les enfants. Il y a tellement de sujets difficiles que les enfants doivent aborder aujourd’hui. Tant que c’est fait de manière adaptée, je n’y vois pas de problème mais comme de plus en plus de livres sont censurés dans les écoles et les bibliothèques, il faut faire très attention à la façon dont nous présentons les choses." 

 

"En jeunesse, vendre des droits est encore plus difficile qu’en littérature"

 

Anne-Sophie Millet est responsable de droits chez Univers Poche. Arrivée en 2019, juste avant la pandémie, elle n’a pas encore rencontré beaucoup de collègues étrangers. Comme pour beaucoup d’éditeurs présents à New York, les rencontres franco-américaines étaient une chance de se rattraper.


 "Je rencontre beaucoup d’éditeurs que je ne connaissais pas, autant pour la partie adulte que pour la partie jeunesse. J’ai eu rendez-vous avec un éditeur de Sourcebooks très attentif à notre catalogue Pocket jeunesse. Il a découvert que nous avons des titres en commun. Il cherchait plutôt des thrillers et comme j’en ai quelques-uns, il a eu l’air plutôt intéressé. C’est bien d’identifier le potentiel qu’on peut avoir à travailler ensemble. Nous avons quelques cessions côté adulte mais c’est très compliqué parce que nous proposons de la littérature assez commerciale, donc nous ne sommes pas forcément très bien identifiés par les éditeurs américains. Idem pour la partie jeunesse avec quelques titres en fantasy mais ils sont encore plus difficiles à vendre." 

 

"La BD documentaire marche de plus en plus fort également aux États-Unis"

 

Robyn Chapman est éditrice chez First Second, la marque BD de MacMillan publiant des romans graphiques pour tous les âges. Elle venait avant tout chercher des titres de non-fiction. 


 

"Je connais assez bien le marché de la bande dessinée français car notre fondateur et directeur éditorial Mark Siegel a grandi en France. Depuis le début, les traductions françaises font partie de notre catalogue. Nous en publions deux par an, les plus récentes étant, l’année dernière, So much for Love de Sophie Lambda (Tant pis pour l'amour, Delcourt, 2019), sur les relations toxiques, et cette année nous publions deux volumes de la série Homicide, une année dans les rues de Baltimore (Philippe Squarzoni, Delcourt, 2016 à 2020). Ça, c’est une histoire franco-américaine passionnante car le livre original, écrit par le journaliste David Simon, a d’abord été publié aux États-Unis en 1991, puis il a été traduit et adapté sous forme de BD en France où il est paru en 5 volumes. Et maintenant nous traduisons cette bande dessinée en langue anglaise, en deux grands volumes, cela en fait des va-et-vient ! La BD documentaire est un genre qui marche de plus en plus fort également aux États-Unis, nous publions beaucoup de livres sur l’histoire et les sciences, expliqués aux enfants. C’est génial de partager des connaissances par le biais de la bande dessinée."

 

Propos recueillis par Katja Petrovic