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Portrait et entretien de professionnel

"Publier de la littérature étrangère est logique dans une ville comme Dallas"

mars 2023

Will Evans a fondé les éditions Deep Vellum au Texas en 2013. Un défi dans une région où longtemps il n’y eu pas d’éditeurs littéraires ou de librairies indépendantes. Dix ans plus tard, il a publié plus de 1200 ouvrages dont environ 200 auteurs français et francophones. Un portrait réalisé en collaboration avec la French Publishers' Agency.  


En amont des rencontres professionnelles à New York, le BIEF continue sa série de portraits d’éditeurs américains publiant des auteurs français. Parmi eux, Will Evans, fondateur des éditions Deep Vellum à Dallas, spécialisées en fiction, non-fiction et jeunesse, qui fêtent leurs 10 ans cette année.


BIEF : Pourriez-vous présenter votre maison d'édition ? 


Will Evans : "J'ai fondé Deep Vellum dans le but de faire dialoguer le monde à travers la littérature, avec un accent particulier sur la littérature internationale et les écrivains du Texas. Nous publions de la fiction, de la non-fiction, de la poésie et des livres pour enfants. Notre maison compte cinq marques : A Strange Object (premiers romans américains), Dalkey Archive (classiques modernes), Deep Vellum (littérature contemporaine), La Réunion (histoires du Texas) et Phoneme (poésie internationale). En février 2023, nous avions publié plus de 1200 livres d'auteurs venant de plus de 90 pays et écrivant dans plus de 70 langues."


BIEF : Pourquoi créer votre maison d'édition à Dallas ?


Will Evans : "Très longtemps, il n’existait ni librairies indépendantes ni maisons d’édition littéraires dans la région de Dallas, bien que la ville soit dynamique, diversifiée et abrite de grands lecteurs, des écrivains et des étudiants, car il y a de nombreuses universités dans la région. Le fait de publier de la littérature étrangère à Dallas est logique, compte tenu du caractère international de la ville. Vous pouvez prendre un vol direct depuis l'aéroport de Dallas vers Paris ou tout autre capitale du monde. Dans les années 1850, une colonie franco-suisse appelée La Réunion s'est installée sur la rive droite de la Trinity River, en face du centre-ville de Dallas. Ces nouveaux habitants ont donné leur empreinte à la ville. À Dallas est née également La Madeleine, une célèbre chaîne de restaurants français aux États-Unis ! Tout cela m'a fait penser que ma maison d’édition pourrait réussir en positionnant la lecture et l'écriture parmi toutes ces choses étonnantes, avec un modèle économique totalement différent."



BIEF : Combien de personnes travaillent chez Deep Vellum et combien lisent le français ? 


Will Evans : "Nous sommes 15 en tout, et 2 à lire le français. Nous travaillons avec des traducteurs, des auteurs et des lecteurs extérieurs de confiance pour nous aider à découvrir et à promouvoir nos titres français."


BIEF : Combien d’auteurs et de titres français figurent à votre catalogue ?


Will Evans : "Environ 200 écrivains francophones, y compris ceux de la très importante maison d’édition Dalkey Archive Press que nous avons achetée en 2021. Publier depuis la langue française nous a permis de traduire des auteurs français mais également francophones venant d'Haïti, du Maroc, de la République démocratique du Congo, de l'île Maurice et d'Inde. John O'Brien, le fondateur de Dalkey Archive Press, a d’ailleurs été nommé chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres français en 2016 pour avoir publié de plus de 100 livres en français au cours de sa carrière."


BIEF : Quels titres français récents vous tiennent particulièrement à cœur ? 


Will Evans : "Nous avons récemment publié Not One Day d’Anne Garréta, traduit par Emma Ramadan (lauréate du prix Albertine) ; Assommons les pauvres de Shumona Sinha, traduit par Teresa Lavender Fagen ; Forgetting de Frederika Amalia Finkelstein, traduit par Isabel Cout et Christopher Elson, et Sweet Undoings de Yanick Lahens, traduit par Kaiama L. Glover. Nous publions également Michèle Audin ou encore Fiston Mwanza Mujila, dont nous aimons l’originalité stylistique et l’écriture à la fois ludique et profonde. Nous avons encore plusieurs livres français passionnants à paraître, notamment Les oeuvres complètes de Sally Mara de Raymond Queneau, traduit par James Patrick Gosling ; Ultramarins de Mariette Navarro, traduit par Eve Hill-Agnus ; La Danse du Vilain de Fiston Mwanza Mujila, traduit par Roland Glasser et Plasmas de Céline Minard, traduit par Annabel Kim. Nous sommes toujours à la recherche d'autres ouvrages, faites-nous savoir ce que nous devrions publier !"


BIEF : Vous êtes à la fois éditeur et traducteur. Traduisez-vous à partir du français ? 


Will Evans : "J'ai étudié la littérature et la culture russes, et j'ai commencé à m'intéresser à la création d'une maison d'édition pendant mes études. Je me suis posé la question de savoir pourquoi il n'y avait pas plus de livres russes traduits en anglais. Puis j’ai traduit mon premier (et seul !) roman en anglais, Fardwor, Russia ! A Fantastical Tale of Life Under Putin d'Oleg Kashin publié par Restless Books en 2016. Cette expérience m'a amené à chercher si ce déficit de traduction concernait uniquement la littérature russe ou s’il touchait également les écrivains d'Ukraine, d'Haïti, du Mexique, ou de Dallas. Et la réponse était très clairement oui, hélas. J'ai donc fondé Deep Vellum pour publier les plus grands écrivains du monde sous-représentés aux États-Unis. Je voulais les faire découvrir aux lecteurs anglophones privés depuis bien trop longtemps de toute la richesse de leurs styles et origines littéraires."


BIEF : Deep Vellum n'est pas seulement une maison d'édition, mais aussi un centre d'art. Comment les Texans réagissent-ils à cette offre culturelle ?



Will Evans : "Les habitants du Texas sont comme les autres : ils aiment les grandes histoires et ils aiment les grands livres. Pour nous, le fait d'avoir une librairie qui accueille également des centaines d'événements culturels dans le domaine de la poésie, du cinéma, du théâtre et de l’art est essentiel pour faire dialoguer lecteurs et écrivains. Telle est notre mission et c’est pourquoi nous organisons également des ateliers d'écriture, des clubs de lecture, des cours de traduction et des initiatives en faveur de la justice sociale."


BIEF : Y a-t-il au Texas des librairies indépendantes pouvant soutenir votre catalogue ?


Will Evans : "Nous avons un large réseau de librairies indépendantes qui soutiennent notre catalogue, notamment Brazos Bookstore (Houston), The Wild Detectives (Dallas), Literarity (El Paso), BookPeople (Austin), Monkey and Dog Books et Book And Tea Shop (tous deux à Fort Worth), et Interabang Books (Dallas). Ce réseau s'étend bien au-delà du Texas ; nos livres sont disponibles partout ailleurs aux États-Unis et dans le reste du monde."


BIEF : Publier de la littérature étrangère est difficile aux États-Unis. Comment attirer l'attention et la curiosité du lecteur ? 


Will Evans : "Publier de la grande littérature est toujours un défi aux États-Unis car il y a une telle surproduction qu'il est compliqué d’atteindre le grand public. Attirer les lecteurs est toujours aussi difficile mais nous arrivons quand même à publier de grands livres qui finirons par trouver leurs lecteurs. C’est ce qui nous motive tous les jours. Qu’il s’agisse de nos choix littéraires ou de la façon dont nous accompagnons et positionnons nos livres, nous faisons tout pour qu’ils aient un impact sur la culture qui nous entoure."


BIEF : Vous avez commencé en 2013. Dix ans plus tard, qu'est-ce qui a changé dans votre façon de travailler et de publier de la littérature ?


Will Evans : "Notre approche a changé car aux côtés de nos auteurs étrangers nous publions maintenant beaucoup plus d’auteurs américains, toujours dans le but de faire connaître de grands écrivains à nos lecteurs. Comme notre maison a grandi avec succès, nous sommes aujourd’hui en mesure de publier des auteurs de notoriété aux côtés de jeunes auteurs."


Propos recueillis par Alice Tassel et Katja Petrovic, traduction : Hannah Sandvoss et Katja Petrovic