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Compte rendu

Retour sur le premier Book Market franco-américain

août 2023

28 et 29 juin

Plus de 120 éditeurs français et américains de littérature, sciences humaines et sociales, jeunesse et bande dessinée ont été réunis à New York pour deux jours d'échanges professionnels qui ont insufflé un nouvel élan aux relations franco-américaines. 


Cela faisait sept ans qu’éditeurs français et américains s’étaient rencontrés à New York. Les organisateurs du premier Book Market franco-américain (BIEF, Villa Albertine) se sont donc employés à la réussite de ces deux journées. Rencontres et rendez-vous B to B se sont déroulés dans les locaux des Services culturels de l’ambassade et au consulat de France, jouxtant Central Park, dont le décor et l’ambiance contrastaient à merveille avec les imposants gratte-ciels.


Du côté français les attentes étaient grandes, tant le marché américain reste peu ouvert à la traduction : en 2021, 3 % des livres publiés aux États-Unis étaient des traductions contre 16 % en France  dont 60 % de traductions de l’anglais, soit 7 369 titres tous genres confondus. D’après les recensements des Services culturels de l’ambassade de France à New York, 430 titres français ont été cédés à des éditeurs américains la même année, dont 143 titres en non-fiction, 140 en bande dessinée, 99 en fiction et 33 en jeunesse. Pour aider les éditeurs français à vendre leurs droits aux États-Unis, le Bureau du livre français a été créé par François Samuelson. Ce bureau, rebaptisé The French Publishers’ Agency (FPA) est devenu une filiale du BIEF dont le 40e anniversaire a été fêté devant plus de 100 invités lors d’un cocktail à la villa Albertine. En dehors du précieux travail que réalise FPA au quotidien pour de très nombreux éditeurs français, ces journées franco-américaines avaient pour but de faire se rencontrer les éditeurs physiquement, loin des Foires de Francfort ou de Londres délaissées par certains professionnels américains.


De quoi parlons-nous lorsqu’il s’agit d’échanges éditoriaux franco-américains ? Quels sont les titres achetés ou vendus ces dernières années ? Tels étaient les sujets discutés entre Heidi Warneke, directrice du service des droits étrangers chez Grasset, Flore Gurrey, éditrice aux éditions Les Arènes, Daniel Simon, fondateur de Seven Stories, et Fred Appel, éditeur de Princeton University Press.

 

Une question de timing


Au-delà des clichés sur la littérature et la culture de l’autre pays, comme "la littérature française est bourgeoise est nombriliste" ou "les auteurs américains sont provinciaux", et qui peuvent représenter un frein, force est de constater qu’il y a des sujets qui voyagent plus difficilement que d’autres comme c’est le cas pour les questions raciales qui ne sont pas forcément abordées de la même façon. "De manière générale, publier de la littérature étrangère est une question de bon timing, il faut se demander s’il s’agit d’un sujet important à un moment précis pour les lecteurs de son pays", explique Flore Gurrey, à la fois en charge des acquisitions et des cessions chez Les Arènes. "Ainsi, nous avons vendu Mon mari de Maud Ventura avec succès à Harper Via car ce titre arrivait exactement au bon moment dans le débat féministe aux États-Unis. Dans ce roman, une femme demande à son mari de l’aimer encore plus après 15 ans de mariage, c’était à contre-courant du mouvement #MeToo et lorsque nous l’avons vendu il y a 4 ans, les débats sur le sujet prenaient également une autre tournure aux US", explique-t-elle.

 

Une question de légitimité et de point de vue 

 

Outre le bon moment, ce sont la légitimité et un point de vue spécifique qui peuvent être décisifs pour l’acquisition et le succès d’un livre, notamment en SHS mais aussi en littérature, comme avec La Carte postale d’Anne Berest (Grasset, 2021). "C’est un roman sur la déportation, entre biographie, enquête, mémoire familiale, écrit par une jeune écrivaine tout à fait légitime pour aborder ce sujet, mais le pari était loin d’être gagné pour en vendre les droits", se souvient Heidi Warneke.


 Heidi Warneke (Grasset), ravie de trouver La carte postale chez Strand books


Constat partagé par Michael Reynolds, directeur éditorial d’Europa Editions à New York, qui a osé et gagné le pari en publiant ce roman vite devenu un bestseller aux États-Unis. Spécialisé en littérature étrangère, Michael Reynolds a accueilli les éditeurs français dans ses bureaux à Union Square. Fondé en 2005 par Sandro Ferri et Sandra Ozzola Ferri, également propriétaires de Edizioni E/O, Europa Editions publie de la fiction, de la non-fiction, de la fantasy et des romans policiers, depuis ses trois antennes à New York, Rome et Londres dans l’idée d’apporter de nouvelles voix internationales aux marchés américain et britannique.

 

Michael Reynolds : "Au début, personne ne croyait dans notre projet aux États-Unis"


Le catalogue est éclectique, à la fois très littéraire et grand public, avec par exemple Muriel Barbery dont L’Élégance du hérisson (vendu à Europa par FPA) a longtemps figuré sur la liste des best-sellers du New York Times ou Elena Ferrante, dont la saga napolitaine a été l’un des premiers grands succès de la maison. "C’est le bon moment pour les éditeurs indépendants de publier de la littérature étrangère. Les lecteurs sont au rendez-vous, le problème, ce sont les médias qui n’ont pas l’habitude de mettre en avant des auteurs non-anglophones et les libraires qui ne savent pas comment vendre de la littérature traduite", explique Michael Reynolds.


Aux États-Unis les ventes des audiobooks bénéficient au papier

 

Également au programme des rencontres, une table ronde consacrée aux livres audio. Aux États-Unis, le format est solidement installé et les ventes ont encore augmenté de 10 % en 2022. Plus de la moitié des Américains déclare avoir déjà écouté un livre audio et les auditeurs sont de plus en plus jeunes et fidèles "notamment depuis la pandémie pendant laquelle ce format était un moyen d’éloigner les enfants des écrans", explique Michele Cobb, directrice de l’Association des éditeurs de livre audio.

 

Le support préféré des Américains reste le smartphone, suivi de l’ordinateur et des tablettes. Si l’humour est le secteur qui se développe le plus, la science-fiction et la fantasy se vendent le mieux et le plus souvent sous forme d’abonnement de 2 titres par mois avec une possibilité d’accès à d’autres collections comprenant également des titres de la backlist et des traductions. Les nouveautés, précise Noa Rosen, éditrice chez RB Media, sortent souvent en même temps que les éditions papier, "l’une ne cannibalisant pas l’autre."  


Noa Rosen ( RB Media): "Le livre audio ne cannibalise pas le livre papier"


La publication simultanée de livres en format papier et audio est encore rare en France où le marché des livres audio est plus petit mais en plein essor avec les grands groupes qui se sont quasi tous doté d’un département ou d’une marque audio, explique Eric Marbeau, directeur commercial numérique au Groupe Madrigall. "Tous les ans, de nouveaux éditeurs développent leur propre ligne audio, tels Actes Sud, Bayard ou Les éditions des femmes." 44 % des auditeurs sont des abonnés qui achètent soit un certain nombre de titres par mois soit un temps d’écoute (15h/mois pour 9,99 €) - un nouveau modèle proposé par Storytel en France et qui se développe bien. La fiction, le développement personnel et la non-fiction arrivent en tête des ventes. La jeunesse prospère aussi en France avec de nouvelles applications et plates-formes destinées aux enfants entre 3 et 10 ans, dont celles de Gallimard jeunesse qui investit également dans les chaînes YouTube pour promouvoir ses histoires et leurs héros.



Une scène littéraire à l'image de la ville


Pour compléter ce programme très riche de rencontres et d’échanges, les éditeurs français ont pu visiter le Center for Fiction à Brooklyn, qui abrite une grande librairie et organise des lectures et des ateliers d’écriture, et Strand Bookstore, la plus vieille et célèbre librairie de New York (Patty Smith y a travaillé un temps) qui reflète parfaitement l’histoire de cette ville si extraordinairement multiculturelle. Fondée en 1927 par des immigrés est-européens, elle a d’abord vendu des livres d’occasion destinés à la communauté de ses fondateurs puis, à partir des années 90, des livres neufs notamment dans le domaine de la fiction et de la non-fiction mais aussi des livres d’art et de jeunesse avec un rayon LGBT+ spécialement destiné aux jeunes qui est juste impressionnant.  


Katja Petrovic