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Compte rendu

L'Europe des libraires francophones réunie à Bucarest

avril 2023

27 et 28 mars

Le BIEF et l’Association internationale des libraires francophones ont invité 15 libraires francophones à Bucarest. Cette rencontre fait suite aux deux sessions organisées en 2022 à Vienne puis à Londres avec pour objectif de fédérer et consolider le réseau de la librairie francophone en Europe.


Francophonie, Europe, indépendance, c’est autour de ce triptyque que 15 libraires francophones se sont retrouvés à Bucarest, à l’invitation du BIEF et de l’AILF. De Lisbonne à Sofia, et de Copenhague à Barcelone, les librairies francophones en Europe forment un réseau unique de points de vente qui propose toute la richesse de la production éditoriale française pour des clientèles françaises ou francophones implantées aux quatre coins du continent.


La francophonie incarnée par toutes ces librairies revêt pourtant de multiples visages. À Lisbonne, la Nouvelle Librairie Française dirigée par Frédéric Duarte doit tout autant répondre aux attentes des nombreux retraités français installés au Portugal qu’à celles des universitaires et intellectuels lisboètes souhaitant lire le dernier essai de philosophie ou de sociologie politique en français. À Copenhague, Casper Black de la librairie Den Franske Bogcafe propose pour des apprenants danois un choix de textes faciles à lire en français tout en développant en parallèle sa propre maison d’édition qui publie des auteurs français comme Hervé Le Tellier ou Olivier Guez, délaissés par les grandes maisons d’édition danoises. À Barcelone, Montse Porta, qui dirige l’historique librairie Jaimes fondée en 1942, organise plusieurs fois par semaine des rencontres pour un public désireux d’entendre, lire et parler le français, alors même, s’étonne-t-elle, que "l’Institut français de Barcelone fait le choix de communiquer exclusivement en espagnol et en catalan".


Le français en recul en Europe centrale


En comparaison, Bucarest, au cœur d’une Europe centrale où le français est comme partout ailleurs et depuis la chute du mur en recul, fait figure d’îlot de francophonie envié. Le pays qui fête cette année les 30 ans de son adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie cultive encore pour la langue française une politique volontariste. L’Institut français de Roumanie y tient un rôle essentiel, fort de son réseau de quatre sites (Bucarest, Cluj-Napoca, Timisoara, Lasi), mais aussi comme l’indique son directeur, Julien Chiappone-Lucchesi, "en travaillant avec cinq Alliances françaises, 23 lycées bilingues, 115 filières universitaires francophones et 5 lectorats cofinancés, ainsi qu’une multitude de partenaires culturels, institutionnels et issus de la société civile".


Au premier rang de ces partenaires, la librairie Kyralina avec laquelle l’Institut français a signé une convention qui reconnaît et "sécurise" le rôle de la librairie pour fournir des livres auprès des instituts français mais aussi pour accompagner le programme de rencontres avec les auteurs organisées tout au long de l’année. "Cette convention fixe les termes de notre partenariat, et notamment le fait qu'on s'engage à mener conjointement plusieurs actions : salons du livre, ateliers et rencontres d'auteurs, à l'Institut, chez nous ou ailleurs, ou encore le choix roumain du prix Goncourt. Kyralina s'occupe de commander et vendre les livres, mais met aussi son savoir-faire et son réseau à disposition de l'Institut français, ce qui est réciproque. De même, l'engagement financier se fait des deux côtés, pour ce qui est de la venue d'auteurs. En plus de cela, la Médiathèque de l'Institut français de Bucarest s'engage à faire ses commandes de livres chez Kyralina, qui en retour accorde une remise de 10 %. Pour finir, l'Institut s'engage à faciliter la collaboration de Kyralina avec le reste du réseau francophone de Roumanie - les autres antennes, le Lycée français, les Alliances, les lectorats, etc - sans qu'il y ait obligation de ces entités de travailler avec la librairie".



Toujours dans le cadre de cette convention, Kyralina a noué un autre partenariat avec une librairie à Timisoara, Les Deux Hiboux, pour y implanter un rayon en français comprenant pas moins de 1000 titres, sélectionnés conjointement par les libraires de Bucarest et Timisoara. Tilla Rudel, directrice de l’Institut français de Timisoara, présente à l’inauguration de ce "corner" francophone, a salué cette initiative qui fait écho aux multiples manifestations organisées à l’occasion de Timisoara-capitale européenne de la culture 2023."



L’Europe, encore et toujours. À Bucarest, il en a été beaucoup question dans les échanges entre libraires, notamment au travers du projet L’Europe des libraires indépendants. Piloté par l’AILF et cofinancé par le programme Europe créative de l’Union européenne, ce projet fédère un réseau de 6 libraires partenaires indépendants européens. Son objectif est de mettre en lumière des auteurs incontournables et des textes méconnus, des ouvrages écrits ou traduits en langue française, dans une sélection de plus de 300 titres réalisée de façon conjointe, et d’organiser des animations en librairie pour rencontrer les lecteurs et témoigner de la "bibliodiversité" de la sélection. Présentée dans les librairies partenaires d’octobre 2022 à juillet 2023 et sur le site du projet, la sélection permet au public de faire plus ample connaissance avec les littératures européennes mais aussi de parcourir le continent européen grâce aux librairies francophones. 


Lire l'Europe


Les cinq thématiques autour desquelles cette sélection a été construite sont L’Europe vue d’ici et d’ailleurs, Condition humaine, Langues, Voyages, exils et frontières et Nature. Ces thématiques ne sont pourtant pas figées et chaque titre sélectionné porte en lui un peu de chacune d’entre elles. Ainsi, les livres d’auteurs comme Camille de Toledo, Mathias Enard ou Paolo Rumiz sautent d’une thématique à l’autre. 


"Les libraires francophones sont les héros des libraires européens", a affirmé le directeur de l’Institut français de Roumanie, Julien Chiappone Lucchesi. La sélection de L’Europe des libraires indépendants est l’exemple parfait de la volonté mise en action par ces libraires de réfléchir ensemble et de se soutenir mutuellement afin de créer et renforcer un réseau de coopération et de circulation des textes. L’importance d’avoir accès à ce genre de sélection, ce qui est rendu possible grâce au travail des libraires partenaires et des chercheurs universitaires, a été soulignée par tous les libraires francophones présents à Bucarest. Constituant une "porte d’entrée en Europe" et accessible au public par thématique, la sélection mise en avant par les libraires européens ouvre également la voie vers une dynamisation de réseauxet d’activités !


Pareille ambition, portée par les libraires francophones d’Europe, se conjugue néanmoins avec la notion d’indépendance qui leur est chère, laquelle nécessite toutefois de voir réunies toutes les conditions économiques et logistiques ! L’analyse de ces conditions est au cœur d’un autre projet, présenté lors des rencontres de Bucarest, à savoir la première étude sur l’économie des librairies françaises à l’étranger, en commençant par le réseau européen.


Pour l’occasion, tous les libraires présents avaient accepté d’échanger leurs données (chiffre d’affaires, masse salariale, charges…) pour permettre à David Piovesan, maître de conférences à l’Université Jean-Moulin de Lyon, d’en livrer une première synthèse. Si la diversité des profils de librairies francophones, même à l’échelle de l’Europe, rend l’analyse particulièrement difficile, cette étude met en évidence la fragilité des situations économiques. Et la nécessité d’une meilleure prise en compte des contraintes des libraires par tous les acteurs, à commencer par les fournisseurs des libraires, exportateurs et transporteurs.


Conditions commerciales et délais de transport ont été de nouveau âprement discutés entre libraires mais aussi avec le directeur de la Centrale de l’Édition, Olivier Aristide, venu présenter les nouvelles dispositions en matière de mises en place par la Centrale. Si l’objectif d’un raccourcissement des délais de traitement et de livraison des commandes semble atteint, d’autres points méritent encore des améliorations, de l’aveu même de celui-ci. Améliorations également attendues à la suite de la signature par les diffuseurs et distributeurs de la charte sur les usages commerciaux et logistiques.


En quête d’indépendance économique, les libraires francophones d’Europe espèrent toujours voir leur travail mieux reconnu et valorisé. Et pourquoi pas plus soutenu, à l’image du réseau des cinémas européens à travers le label "Europa cinémas", et dont il a été question au terme de ces rencontres de Bucarest.


Pierre Myszkowski et Hannah Sandvoss