15 décembre 2021
Afin de valoriser le travail des librairies françaises à l’étranger, une charte sur les usages commerciaux a été signée au ministère de la Culture par des libraires et leurs diffuseurs-distributeurs français. Explications.
Avec près de 200 points de vente répartis dans le monde entier, le réseau des librairies françaises à l’étranger (LFE) représente un enjeu essentiel tant d’un point de vue économique, pour les éditeurs français, que culturel, puisqu’il assure une diffusion de la langue et de la culture française sur les cinq continents. La fragilité de ce réseau, constitué d’entreprises aux profils très disparates, n’a cessé ces dernières années d’être au cœur de multiples débats. Les libraires francophones, et en premier lieu l’Association internationale des libraires francophones (AILF) qui en représente une centaine, interpellent régulièrement les éditeurs français et leurs diffuseurs mais aussi les partenaires institutionnels ou professionnels (CNL, Institut français ou Centrale de l’édition) sur les conditions d’exercice de leur métier. Et en dépit d’une importante mobilisation des pouvoirs publics et de l’aide du CNL, la pandémie n’a fait que renforcer les incertitudes sur l’avenir de ce réseau.
Une charte pour valoriser le travail des librairies françaises de l’étranger
C’est dans ce contexte que le ministère de la Culture a souhaité initier, fin 2020, une concertation entre les différents acteurs concernés : diffuseurs-distributeurs, SNE, Centrale de l’édition et libraires francophones, principalement l’AILF. Objectif de cette concertation : tenter d’établir un document permettant de valoriser le travail qualitatif des librairies françaises de l’étranger, en identifiant un certain nombre de critères à partir desquels les éditeurs et leurs diffuseurs s’engagent à consentir des conditions commerciales et logistiques améliorées. C’est à cette fin que le BIEF, tout au long de l’année 2021, a coordonné une série de réunions de travail pour parvenir à une charte sur les usages commerciaux et logistiques entre les diffuseurs-distributeurs et les librairies françaises à l’étranger. Cette charte a été signée par les différentes parties et leurs représentants le 15 décembre au ministère de la Culture.
Prendre en compte les facteurs qui pénalisent l’activité des LFE
S’inspirant du protocole Cahart (et de sa révision en 2008), la charte - qui ne concerne que les librairies hors territoire français, Belgique, Suisse, Luxembourg et Québec - engage donc chaque diffuseur à établir dans un délai de six mois un accord-cadre qui valorise le travail des librairies françaises à l’étranger, et en précise les critères qualitatifs (offre diversifiée, personnel formé et francophone ou encore programme d’animations en lien avec les partenaires sur place, etc.). Elle invite également ces mêmes diffuseurs-distributeurs à mieux prendre en compte les multiples facteurs qui pénalisent l’activité des LFE : frais de transport, taux de change fluctuants, taxes douanières, contraintes administratives, autant d'éléments qui renchérissent le prix des livres français alors même que la concurrence des plateformes, en particulier en Europe, se fait plus mordante.
Un accord pour améliorer les délais de traitement des commandes
Autre conséquence, liée au plus ou moins grand éloignement géographique de ces librairies, les délais de traitement et d’acheminement des commandes qui sont souvent pénalisants. Si les distributeurs s’engagent, en tant que signataires de cette charte, à établir (également dans un délai de six mois) un accord-cadre précisant les possibilités d’amélioration des délais de traitement des commandes, ils sont tributaires, comme les libraires, des transporteurs pour l’acheminement de leurs commandes dans des délais compétitifs. Cette question, vitale aux yeux des libraires, ne saurait être réglée par la charte et ne rentre pas dans son champ d’application. Mais il est prévu que sur ce point comme sur d’autres points attendus par les libraires (par exemple la question des retours), des échanges suivent la mise en place des accords-cadres par chacun des diffuseurs et distributeurs. C’est à un comité de suivi, prévu par la charte et constitué sous l’égide du ministère de la Culture, qu’il appartiendra d’analyser les résultats obtenus sur la mise en place des différents accords-cadres.
Pierre Myszkowski
"Les librairies françaises à l’étranger sont aussi essentielles que celles en France"
Pour Isabelle Lemarchand, directrice de la librairie française La Page à Londres et présidente de l’AILF, cette charte est une façon de prendre en compte les difficultés que rencontrent les libraires français à l’étranger d’exercer leur profession dans des conditions raisonnables.
"Plus de mille personnes, entrepreneurs ou salariés aux quatre coins du monde, ont mis depuis début novembre dans leur vitrine le roman de Mohammed Mbougar Sarr La plus secrète mémoire des hommes, fruit d’une coédition entre Philippe Rey et la maison sénégalaise Jimsaan. Un mois après les États généraux du livre en langue française, on ne pouvait espérer un lauréat plus exemplaire pour célébrer la francophonie et l’édition conjointe entre la France et le Sénégal.
En France, les librairies sont considérées au point qu’elles ont été élevées au rang de commerce essentiel ces derniers mois. On y protège le livre, la loi Lang sur son prix unique a été adoptée il y a quarante ans. Hors de France, les librairies évoluent dans un paysage économique et culturel bien plus menaçant. Si elles participent tout autant à la diffusion du catalogue des éditeurs français, elles ont une activité commerciale dont la rentabilité est directement affectée par des éléments économiques, politiques ou géographiques particuliers selon l’endroit où elles se trouvent. Par ailleurs, leur activité n’est régulée par aucune condition commerciale spécifique.
La Charte est une façon de prendre en compte dans les relations commerciales les difficultés pour ces libraires d’exercer leur profession dans des conditions raisonnables. Si l’injonction "tous en librairie" est saluée par chacun d’entre nous, il est urgent aussi que les institutions, établissements scolaires, Francophones et Français résidant hors de France réalisent que la librairie francophone du pays où ils habitent, porte-parole de la culture française à travers le monde, n’est pas seulement un métier à respecter mais aussi un lieu à fréquenter, un commerce où acheter des livres, un lien entre les langues et les cultures. N’est-ce pas essentiel ?"
Isabelle Lemarchand