"Des portes se sont ouvertes à nous", c’est le constat unanime fait par les neuf participants de ce nouveau Fellowship francophone proposé par le BIEF. Durant une semaine, les éditeurs venant d’Algérie, de Belgique, du Cameroun, de Guinée, de Madagascar et du Maroc ont pu rencontrer leurs homologues français représentant plus d’une vingtaine de maisons d’édition de toute taille.
"Ce que j'ai particulièrement apprécié, c’est le rôle joué par le BIEF comme accélérateur de contacts. Bien sûr, venant de l'étranger, même de la Belgique voisine, personne ne nous connaît et comment faire confiance dans ce cas-là ? Nous sachant invités par le BIEF, la confiance a été plus facilement accordée", constate Pascaline David, fondatrice codirectrice des éditions Diagonale à Namur. "Il me semble qu’un voile a été levé : se rencontrer, répondre aux mêmes interrogations sur les textes qu’on publie, faire face aux mêmes dilemmes tels l’inflation, la cherté du papier ou le coût exorbitant du transport aujourd’hui, puis, le fait de discuter de nos marchés respectifs – tout cela a permis de nous rapprocher. J’espère que cela permettra un meilleur partenariat en termes d’achat de droits et de coédition", explique de son côté Yasmina Belkacem des éditions Chihab, basées à Alger.
Aïcha Kassoul (Casbah), Émilie Menz, (Éditions de l’Université de Bruxelles) et Yasmina Belkacem (Chihab)
Un nouveau regard sur les marchés francophones
Porté par ce programme et les échanges avec les éditeurs français, Serge Kouam des Presses universitaires d’Afrique au Cameroun entrevoit de son côté la possibilité d’un "new deal éditorial en Francophonie" en soulignant au passage le fruit du travail de "sensibilisation mené avec patience et pédagogie par le BIEF depuis plus de deux décennies" et qui permet de porter un nouveau regard sur les marchés du livre francophone. "Les responsables export et de cessions de droits ont par leurs interventions démontré qu’il était dorénavant possible d’aboutir pour les marchés francophones à des complémentarités entre les services."
Parmi les visites "marquantes", Albin Michel, où les participants ont pu non seulement rencontrer leurs interlocutrices des services des droits, Solène Chabanais et Marie Dormann, mais également quatre éditeurs "maison" : Hélène Monsacré pour les sciences humaines, Francis Geffard pour la littérature étrangère, Marion Jablonski pour la BD et la littérature jeunesse et Stéphane Barsacq pour la littérature française. Ce dernier a évoqué le succès de la réédition en 2021 du livre de René Maran, Batouala, prix Goncourt en 1921, après que les droits ont été cédés à une maison d’édition ivoirienne.
Les Fellows avec Pierre Myszkowski (BIEF) et Stéphanie Suchecki (BIEF)
Chez Gallimard, Judith Rosenzweig, qui dirige les droits étrangers, et Franck Perrussel, en charge de la cession des droits en langue française, ont aussi ouvert grand les portes de la maison d’édition en conviant à la rencontre Maud Simonnot, éditrice à la Blanche, et Agnès Espenan, responsable pour Flammarion des cessions de droits en français, qui elle aussi a manifesté la volonté de renforcer les collaborations éditoriales avec la francophonie.
Multiplier les passerelles éditoriales entre francophones du Nord et du Sud était encore au cœur des échanges avec Yannick Dehée, Directeur de Nouveau Monde éditions, mais aussi avec les éditions La Découverte dont le directeur littéraire, Rémy Toulouse, a rappelé l’histoire de la maison d’édition et de ses engagements, notamment autour des questions coloniales ou post-coloniales. Son collègue Thomas Deltombe est intervenu à la fois comme éditeur et comme auteur du titre Kamerun qui a fait l’objet d’une cession de droits auprès des éditions Ifrikiya au Cameroun. C’est encore le Cameroun qui a été évoqué au cours de la rencontre avec Emmanuelle Collas et le roman à succès de Djaïli Amadou Amal, Les impatientes, publié initialement par les éditions Proximité, sous le titre Munyal, les larmes de la patience.
Les "signes d’ouverture" se sont encore dessinés au cours de la journée organisée au CNL autour de la présentation des marchés du livre en langue française. Y ont pris part des maisons qui, à l’image de Cambourakis, de l’Iconoclaste, des éditions de l’Olivier, de Sabine Wespieser ou encore de CNRS éditions ont témoigné non seulement de leur désir de céder des titres auprès des éditeurs francophones mais aussi de leur volonté d’enrichir leur catalogue avec des titres publiés par ces mêmes éditeurs. Comme le souligne Aïcha Kassoul, des éditions Casbah, "nous avons aussi de notre côté de belles productions mais qui ne sont pas suffisamment connues des lecteurs français."
Réfléchir ensemble à des collaborations différentes
Pour Marie Dormann, "c’est toujours formidable de se rencontrer, c’est une belle aventure humaine. Il est important de mesurer et connaître les marchés et les questionnements des uns et des autres. Nous parlons la même langue mais faisons face à des enjeux, des marchés, des univers et des histoires tellement différentes. Ces rencontres peuvent susciter des cessions, très sûrement modestes et adaptées au potentiel commercial comme au prix de vente public possible localement, mais ce n’est pas le plus important. L’important est d’échanger points de vue et textes et de réfléchir ensemble à des collaborations différentes, cession ou coédition par exemple, des échanges réguliers en tout cas. Pour ces projets, toujours 'prototypiques', notre porte est ouverte ! "
C’est également dans la rencontre "avec les autres éditeurs francophones" qu’Émilie Menz, qui dirige les Éditions de l’Université de Bruxelles, situe tout l’apport de ce Fellowship. "Passer une semaine à échanger sur des sujets comme le travail avec les auteurs, la diffusion, la distribution, la vente de droits, a permis d’avoir une connaissance beaucoup plus fine et riche de ce que nous, francophones 'du Nord', appelons si erronément ou grossièrement 'Le Sud' ".
Échange avec François Gèze (La Découverte), Sandra Guigonis (Openedition) et Thomas Parisot (Cairn) au CNL
Au-delà des échanges éditoriaux avec leurs homologues français ou entre eux, les participants ont pu rencontrer les responsables du CNL, de l’Institut français ou encore de l’Organisation internationale de la Francophonie. "Cela nous a permis de prendre connaissance des différents mécanismes d’aide et de subvention qui peuvent accompagner chacun de nous, éditeurs francophones du Sud, dans nos projets de publication", affirme Yasmina Belkacem, des éditions Chihab.
Parmi les pistes qui nourrissent les espoirs des éditeurs francophones, l’édition numérique a été au menu de nombreuses discussions, en lien avec les représentants de Cairn ou d’OpenEdition. "L’e-diffusion peut constituer une des solutions pour la diffusion des ouvrages en sciences humaines et sociales, comme le rappelle Yasmina Belkacem. Nous initions chez Chihab depuis quelques mois un partenariat avec Cairn à ce sujet, nous pourrions en faire un premier bilan très bientôt."
Pour clôturer cette intense semaine, Eyrolles-Geodif a accueilli le groupe une matinée entière au cours d’une séquence très riche en informations, organisée par Nathalie Gratadour, directrice commerciale, et qui a permis aussi d’aborder la question de l’impression à la demande. Pour Yasmina Belkacem, "cette question mérite qu’on s’y attarde car elle permet avec des partenaires de qualité de pallier le coût de l’export, en inventant de nouvelles formes de circulation du livre, tout en respectant les standards de qualité de fabrication."