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Compte rendu

Un accueil à bras ouverts après le Brexit

juillet 2022

24 juin 2022

En mai, un premier Séjour Perspectives était consacré au Royaume-Uni. Jennie Dorny, responsable des droits au Seuil, Claire Hartmann de La Petite Agence et Vibeke Madsen, en charge des cessions chez P.O.L sont allées à la rencontre de nos voisins outre-Manche et ont permis d’actualiser les connaissances des professionnels français grâce à ce séjour post Brexit et post Covid. 


Le constat est unanime : "Nous avons été accueillis les bras ouverts. Nos collègues britanniques ont peur que nous n’ayons plus envie d’aller les voir après le Brexit", explique Vibeke Madsen qui a rencontré une quinzaine d’éditeurs de littérature à Londres. Elle note encore deux conséquences du retrait de l’UE, devenu effectif le 31 janvier 2020 : le fait que les éditeurs de littérature ont ramené toute la production des livres texte au Royaume-Uni pour économiser les frais de transport et de stockage, et le regain de livres en traduction par crainte "d’être coupé du monde." Les traductions du coréen et du japonais ont le vent en poupe, mais les éditeurs britanniques s’intéressent également aux romans français y compris l’autofiction grâce à des auteurs "qui ont fait évoluer le genre", comme Annie Ernaux ou Emmanuel Carrère. 


 

Traduction anglaise de Yoga chez Macmillan Publishers 


Autres critères d’achat pour les éditeurs de littérature britannique : l’originalité du propos et des livres qui font scandale, "le buzz et le marketing étant très présents au Royaume-Uni." Concernant les tendances, Vibeke Madsen souligne un fort intérêt pour les romans historiques et pour la "millennial fiction" (des romans écrits par les 20-30 ans, enfants du numérique, telle Sally Rooney) qui s’intéressent au féminisme, aux questions d’identité et de minorités. Le réalisme social et les thrillers psychologiques également suscitent l’intérêt. 


Toujours peu d’achats en jeunesse


"En termes d’achat de droits, nous n’avons pas beaucoup avancé", constate Claire Hartmann après ses rencontres avec les éditeurs de jeunesse à Londres. Vu l’immensité du marché britannique, les éditeurs n’achètent pas les droits uniquement pour la langue anglaise ou juste pour le marché britannique. "Un bestseller au Royaume-Uni est vendu entre 3 000 et 5 000 exemplaires, c’est trop faible, les éditeurs britanniques envisagent les choses plus globalement et veulent les droits monde" afin d’exporter aux États-Unis et au Canada (370 millions d’habitants) ou en Australie (25 millions d’habitants), explique Claire Hartmann. Le chiffre d’affaires à l’export représente en effet plus de 40% du CA global de l’édition britannique. 


Si la langue française reste la première langue d’acquisition, cela se joue souvent à un titre par an, à quelques rares exceptions près. "Pour dire les choses clairement, les éditeurs s’inspirent plus du marché français qu’ils n’achètent nos livres." Au niveau des tendances, les conséquences du Covid ont fait de la santé mentale un sujet majeur. Les livres jeunesse traitant de la diversité et de l’inclusion marchent également très fort, sachant que les illustrateurs doivent respecter de plus en plus de consignes pour veiller à une inclusion toujours plus grande. À la différence des éditeurs de fiction, les maisons spécialisées en jeunesse sont toujours contraintes de fabriquer leurs livres en Asie ou en Europe ce qui provoque des problèmes et des retards mais, conclut Claire Hartmann, les ventes en jeunesse se portent bien.

 

Des presses universitaires  ouvertes à la traduction française


Les presses universitaires étant très puissantes au Royaume-Uni, à l’image d’Oxford ou de Cambridge University Press, Jenny Dorny s’est rendue à Londres et Oxford pour rencontrer les éditeurs de sciences humaines. À commencer par les maisons de non-fiction indépendantes comme Verso, qui publie 80 titres par an (non-fiction générale et essais) dont une vingtaine de traductions, notamment du français grâce à deux lecteurs du français (on en trouve un en moyenne dans les 13 maisons rencontrées). Ne publiant pas de bestsellers, l’éditeur cherche à fidéliser ses lecteurs en proposant des abonnements en ligne sur son site avec des offres allant jusqu’à 40% de remise et des téléchargements gratuits. En outre il propose pour chaque nouveauté une liste de titres de fonds traitant des sujets similaires. 


 Raviver les braises du vivant : un front commun, en anglais chez Polity Press


Parmi les éditions également ouvertes à la traduction, Polity, acteur déjà bien identifié et indispensable pour les éditeurs français avec sa collection Trade proposant des titres de Michel Barnier ou de Baptiste Morizot souvent directement en poche, et une autre collection pour les grands penseurs tels Lacan et Paul Ricœur. En revanche il reste beaucoup plus difficile de vendre des titres aux marques des grands groupes, précise Jenny Dorny qui dit avoir découvert un domaine dynamique, malgré la baisse des premiers tirages et une véritable "effervescence promotionnelle" que les éditeurs doivent mettre en œuvre pour fidéliser les lecteurs. 


Katja Petrovic