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"Il y aura toujours plus d’idées dans onze cerveaux que dans un seul !", entretien avec la traductrice Stéphanie Lux

février 2020

À l’occasion des 20 ans du programme Goldschmidt, destiné aux jeunes traducteurs français, allemands et suisses, le BIEF continue sa série de portraits d’anciens participants et participantes avec Stéphanie Lux, qui traduit entre autres auteurs Clemens J. Setz, Michael Köhlmeier et Christine Wunnicke pour les éditions Actes Sud. Depuis trois ans, elle anime l’atelier de traduction vers le français, dans le cadre du programme.


Pour Stéphanie Lux, le programme Goldschmidt a lancé sa carrière de traductrice littéraire. Installée à Berlin, elle traduit de nouvelles voix de la littérature germanophone dont celle de l’auteure allemande Christine Wunnicke, qu’elle a présentée à Jacqueline Chambon. Depuis trois ans elle partage son expérience avec les jeunes traducteurs en animant l’atelier de traduction vers le français au Collège international des traducteurs littéraires (CITL) qui se déroule à Arles dans le cadre du programme Goldschmidt.  

 

BIEF : Stéphanie, tu as participé au programme Goldschmidt en 2004. Quels en sont tes souvenirs ?

 

Stéphanie Lux : Le programme Goldschmidt a littéralement changé ma vie. J’ai eu la chance de signer mon tout premier contrat de traduction, pour Lune de glace de Jan Costin Wagner, paru chez Gallimard dans la Série Noire. Un moment magique qui m’a donné le courage de me lancer. Juste après le programme, je me suis installée à Berlin, où je connaissais en tout et pour tout cinq personnes qui étaient toutes mes co-participantes et je travaille depuis en tant que traductrice littéraire avec quelques incursions en librairie et dans la traduction de catalogues d’expositions. 

 

BIEF : Tu as également animé l’atelier de traduction de l’allemand vers le français dans le cadre du programme pendant trois ans. Que retiens-tu de cette expérience au niveau personnel et professionnel ?

 

S.L. : J’aime l’idée de transmettre une expérience. Il n’existe pas une seule traduction possible d’un texte littéraire, mais on peut essayer de faire passer certaines techniques, certains mécanismes d’une langue à l’autre, et s’efforcer d’apprendre à ses jeunes collègues à traduire le geste, l’intention d’une auteure, plus que ses mots. J’aime le travail sur les textes avec les participants, voir leurs progrès, apprendre moi aussi à leur contact. Il y aura toujours plus d’idées dans onze cerveaux que dans un seul ! La traduction restant pour beaucoup un métier solitaire, c’est un bonheur de travailler en groupe. Dans le meilleur des cas ces liens vont perdurer, ceux qui unissent les tandems du moins, et chacun aura désormais un collègue de confiance dans l’autre langue à qui poser ses questions sur ses traductions en cours. C’est précieux.

 

BIEF : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes traducteurs pour la suite ?

 

S.L. : De croire en soi et de ne défendre que les livres qu’ils peuvent défendre à deux cents pour cent. De rester toujours curieux. De lire sans cesse, dans leur langue maternelle en particulier, pour la cultiver, puisque c’est elle qu’ils écrivent, en elle qu’ils s’expriment. Je leur dirais que c’est un très beau métier, mais qu’il reste difficile d’en vivre. Les choses étant ce qu’elles sont, je leur conseillerais d’avoir si possible une source de revenus régulière, pour aborder cette activité plus sereinement et se concentrer sur les projets qui leur tiennent vraiment à cœur.  

 

BIEF : Tu traduis principalement des livres publiés chez Actes Sud et Jacqueline Chambon dont les auteurs autrichiens Clemens J. Setz et Michael Köhlmeier. Y a-t-il des différences linguistiques et culturelles entre les auteurs allemands et les auteurs autrichiens que tu veilles à refléter dans tes traductions ?

 

S.L. : Clemens Setz crée un univers à lui tout seul, dont on ne sort pas indemne, cela va bien au-delà d’éventuels régionalismes. Je viens de terminer la relecture de ma traduction du recueil de nouvelles La Consolation des choses rondes et j’admire vraiment sa capacité à nous emmener ailleurs, à inventer des images qu’on n’oublie pas de sitôt. C’est un auteur qui modifie littéralement notre perception du monde. J’ai eu la chance ces dernières années de pouvoir apporter plusieurs projets et auteures à Actes Sud et Jacqueline Chambon, parmi elles Christine Wunnicke, que j’apprécie tout particulièrement. Ses romans sont d’une grande finesse et intelligence  (Katie, Le Renard et le Dr. Shimamura). Je me réjouis également de la sortie prochaine des premiers romans de Paula Fürstenberg et Julia von Lucadou.   

 

BIEF : Tu as fait une lecture publique avec Clemens J. Setz à l’Institut Goethe de Paris. Est-ce un exercice facile pour toi de monter sur scène pour présenter ton travail de traductrice ?

 

S.L. : Ça ne l’était pas au début. Je me souviens de ma toute première lecture, pendant le programme Goldschmidt : je tremblais comme une feuille, mais avec le temps et l’expérience, j’apprécie de plus en plus l’exercice. Je trouve important que le public entende celle qui a réécrit la voix de l’auteur dans leur langue. Qu’il prenne conscience que dès lors qu’il ne maîtrise pas la langue originale du livre, les mots, la voix qu’il lit sont ceux d’une traductrice qui s’efforce de transmettre le geste d’un auteur. De plus en plus d’événements culturels donnent la parole à notre profession, le Printemps de la traduction à Paris, le festival VO/VF à Gif sur Yvette... Récemment j’ai été invitée à présenter mon travail à la librairie Autour du Monde, à Metz. C’était une très belle soirée, grâce aux libraires mais aussi, je crois, parce qu’il y a un public pour nous entendre, pour essayer de comprendre ce que ça représente de faire passer un texte littéraire d’une langue à une autre.


Propos recueillis par Katja Petrovic et Juline Monnier-Sourdot

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