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Compte rendu

"À sa manière, l'historien est aussi un traducteur"

novembre 2019

Peu après la parution de la traduction allemande de son livre Laëtitia ou la fin des hommes, chez Matthes & Seitz, l’auteur et historien Ivan Jablonka s’est rendu sur le stand d’Arte à Francfort pour rencontrer Claudia Hamm, sa traductrice allemande, dans le cadre du programme Goldschmidt.


Le programme Goldschmidt, destiné aux jeunes traducteurs français, allemands et suisses fêtera ses vingt ans l’année prochaine. Outre le travail sur le texte pendant les ateliers de traduction et les rencontres avec les éditeurs en France, en Allemagne et en Suisse, ce programme offre l’occasion aux participants de présenter leurs traductions devant un public en présence de "leurs" auteurs sur le stand d’Arte aux foires du livre de Leipzig et de Francfort.

 

Cette année, Claudia Hamm, participante au programme en 2008, et Ivan Jablonka ont dialogué sur la traduction de Laëtitia ou la fin des hommes, prix Médicis 2016. Un livre entre biographie et enquête dans lequel l’auteur revient sur le meurtre de Laëtitia Perrais qui, au-delà du fait divers, s’était transformé en affaire d’État en 2011, suite aux propos de Nicolas Sarkozy sur la récidive des délinquants sexuels. En historien, Jablonka étudie ce cas comme un fait socio-historique et se livre à une réflexion sur les violences faites aux femmes, bien avant le mouvement MeToo. Un livre transgenre, "aussi captivant qu’un polar, aussi empathique qu’un roman, aussi fondé qu’une étude sociologique : le portrait d’une société à travers le portrait d’une jeune femme", résume sur son site l’éditeur allemand Matthes & Seitz.

 

Bien évidemment, traduire un tel texte n’est pas chose facile et soulève de nombreuses et passionnantes questions sur ce travail. À commencer par la forme de la narration qui navigue entre récit scientifique et témoignage intimiste. "Il s’agit là d’un historien qui dit ‘je’, qui fait part de ses émotions aux lecteurs", explique Claudia Hamm, habituée à ce genre de difficultés pour être également la traductrice allemande d’Emmanuel Carrère.

 

En effet, pour savoir qui était Laëtitia au-delà de la jeune femme assassinée et cantonnée à son statut de victime par les médias, l’auteur a interrogé son entourage, ses amis, sa sœur jumelle et son avocat, ou encore a demandé des précisions aux juges d’enquête, aux gendarmes et aux psychologues. "ll fallait donc trouver l’équivalent des différents jargons sociaux et professionnels et souvent les postes et fonctions ne sont pas les mêmes dans les administrations allemande et française", explique la traductrice.

Le compte Facebook de Laëtitia était également un moyen de se rapprocher de la jeune femme pour Ivan Jablonka. "Heureusement que j’y avais accès, c’était indispensable. Facebook est aujourd’hui devenu une source importante pour les historiens, ce qui soulève des questions intéressantes", souligne-t-il. Pour Claudia Hamm, traduire ce langage Facebook, n’était pas aisé. "Laëtitia faisait tellement de fautes d’orthographe que cela en devenait poétique et il fallait beaucoup d’imagination pour trouver un équivalent en allemand."

 

Devant une telle complexité, Ivan Jablonka a rencontré sa traductrice à Paris, plusieurs fois pendant son travail. Sensible au sujet de la traduction, il a pris le temps de répondre à ses questions. Peut-être parce qu’en démontrant ce que cette affaire révèle de la société actuelle, il serait à sa manière un traducteur ? "Oui, conclut-il, tel est mon rôle d’historien".


Katja Petrovic

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