Du 2 au 8 décembre
La quatrième édition du Fellowship d’éditeurs francophones de jeunesse et de bande dessinée qui se tenait à Paris et à Montreuil a réuni 8 jeunes participants venant du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, d’Haïti, du Liban, du Maroc, du Rwanda, du Togo et de Tunisie.
Lors de cette édition 2023, les participants ont visité le Salon du livre et de la presse jeunesse, partenaire du BIEF pour ce fellowship. Puis un certain nombre de professionnels les ont accueillis dans leur maison d’édition, au Centre national de littérature de jeunesse au sein de la BNF, dans les librairies Albin Michel et Chantelivre. Par ailleurs, une table ronde sur la diffusion s’est tenue au CNL afin d’offrir aux éditeurs invités un regard sur le travail du diffuseur et du surdiffuseur mais également pour parler de la grande problématique de la diffusion en Afrique au travers des témoignages de l’éditrice togolaise Yasmîn Issaka-Coubageat et de l’éditeur marocain Haissam Fadel.
Les fellows en visite à la librairie Chantelivre
Dans la perspective de favoriser les échanges et la diffusion, le Centre national du livre mettra en place en 2024 un nouveau dispositif en direction des éditeurs francophones. Il aura pour but d’aider les projets de publication francophone sur deux axes : les achats de droits et la coédition avec des éditeurs français. À l’aune de ce dispositif, des échanges plus directs entre éditeurs français et éditeurs étrangers ont été proposés lors de deux grands rendez-vous : l’un au Salon de Montreuil (SLPJ), où ont été organisées des présentations de maisons d’édition avec les régions, et l’autre en B to B au CNL avec les éditeurs adhérents du BIEF.
Au SLPJ, les échanges avec les maisons d’édition de région et les agences du livre qui les accompagnent ont montré une production diversifiée et qualitative proche par certains aspects des réalités des fellows : petite structure, peu de personnel, économie du livre difficile sur un marché concurrentiel où la diffusion doit prendre une place personnalisée pour faire émerger les livres, inflation bien évidemment et coût du transport qui les fragilise d’autant plus. Comme c’est le cas pour les éditeurs français, les fellows travaillent localement et avec une mise en réseau importante avec les éditeurs des pays voisins afin de trouver des solutions de réduction des coûts et une meilleure diffusion. Les échanges concernant la circulation du livre dans les pays francophones ont révélé que le livre français de littérature de jeunesse et de BD exporté est loin d’être acheté par une population à faible pouvoir d’achat et que des partenariats et des coéditions peuvent se faire, associant éditeurs français et éditeurs francophones ayant une bonne connaissance de leur marché et de leurs lecteurs.
En dehors des livres scolaires, la librairie en Afrique subsaharienne, en Haïti, au Maghreb et au Proche Orient est extrêmement difficile à maintenir car c’est par le dépôt-vente qu’elle fonctionne pour les éditeurs locaux. Les plus grosses ventes et la diffusion se font donc dans les foires et salons des zones concernées en vente directe (éditeur au lecteur).
Ambiance studieuse lors des rendez-vous B to B au CNL
Outre ce volet important de diffusion, la coédition a été abordée de manière très concrète par le biais de présentation de collections par les éditeurs français au sein de leur maison d’édition. Élise Lacharme, directrice éditoriale de l’illustré chez Albin Michel Jeunesse, a développé une argumentation autour de la collection L’Encyclopédie du merveilleux qui bénéficie en effet d’une coproduction entre cinq pays pour réduire les coûts de fabrication de ce livre exigeant en termes graphiques. Pour l’impression, seule la couverture et les pages contenant du texte diffèrent. Cette présentation a retenu toute l’attention des fellows qui cherchent à éditer des livres qualitatifs et à des prix attractifs pour des lecteurs encore frileux envers la littérature jeunesse et préférant investir dans le "sérieux" du scolaire et du parascolaire.
De la même manière, le livre sonore pour les jeunes enfants (livre à puces) est réalisé en coproduction. Claire Babin, éditrice de livres sonores chez Gallimard Jeunesse, et Adélaïde Chataigner, cheffe de projet musique chez Didier Jeunesse, ont toutes deux soulevé la question de la qualité sonore dans un si petit boîtier, principal enjeu avec le choix de l’extrait sonore de quelques secondes. Ces réflexions ont capté l’attention des fellows qui sont confrontés, comme partout, à la concurrence de l’écran. En complément, Damien Giard chez Bayard a fait découvrir l’application Bayam et la Boîte à histoires Merlin, d’autres solutions pour amener l’enfant vers la lecture car l’audio et l’audiovisuel sont toujours développés en synergie avec le livre dans le but de le valoriser. Papa Mamadou Mbengue, éditeur chez Langages du Sud au Maroc, qui développe un logiciel en lien avec le livre, a particulièrement apprécié ces points techniques de fabrication et d’offres suivant les âges des enfants.
Enfin, les éditeurs francophones sont chaque fois ravis de découvrir leurs livres dans les rayonnages du Centre national de la littérature jeunesse de la BNF où certains sont également répertoriés dans la revue en ligne Takam Tikou. De belles découvertes à faire dans le domaine de la littérature jeunesse du monde arabe, de la Caraïbe et de l’Afrique subsaharienne.
Stéphanie Suchecki
"C’est motivant de partager nos expériences"
Ulrich Talla-Wamba est auteur de livres de jeunesse et dirige les éditions Akoma Mba, le plus grand éditeur de jeunesse au Cameroun. Il est également directeur de l'Observatoire africain des professionnels de l'édition et organise le Salon du livre jeunesse à Yaoundé. Très dynamique, il est venu à Paris avec ses multiples casquettes dans le but de découvrir la réalité du marché français et les possibilités de coopération.
"Ce Fellowship me permet de découvrir plein de facettes de l’industrie du livre française. J’ai fait une école d’édition au Cameroun, une des rares qui forme aux métiers du livre en Afrique et dont le programme s’inspire beaucoup du modèle français. Les enseignants nous ont parlé surtout de l’édition en France et c’est bien de découvrir la réalité de ce marché. Je suis venu ici avec beaucoup d’espoir. En France, les livres de jeunesse sont de très bonne qualité et comme je voudrais les proposer aux lecteurs camerounais à des prix abordables, je suis venu à Paris pour acheter des droits même si cela reste difficile : il faut que l’on se rencontre pour faire évoluer les choses. Nous étions par exemple très bien accueillis par les éditrices d’Albin Michel Jeunesse qui nous ont parlé franchement et je me suis rendu compte que malgré la différence de nos marchés, nous partageons un grand nombre de problèmes. Je suis également directeur de l'Observatoire africain des professionnels de l'édition, un organisme qui a été créé pour avoir des données sur l’industrie du livre sur le continent africain. Voir comment les statistiques sont présentées en France m’a beaucoup inspiré et je vais voir ce que je peux faire de mon côté avec mon équipe et avec le peu de moyens dont nous disposons. En tant qu’organisateur du salon du livre de jeunesse à Yaoundé c’était également très intéressant pour moi de découvrir comment se présente le Salon de Montreuil. C’est motivant de partager nos expériences."
"Le savoir-faire est là et nous avons appris à le faire savoir"
Yasmîn Issaka-Coubageat est cofondatrice et directrice éditoriale des éditions Graines de Pensées basées à Lomé au Togo, une maison généraliste avec un focus jeunesse et environ 180 titres au catalogue.
"Nous publions des livres en français mais nous essayons de promouvoir également des ouvrages en langues nationales. Avec les livres que nous publions nous souhaitons également combattre toutes sortes de préjugés notamment liés au sexisme. Je suis l’activité du BIEF depuis 2005, j’ai déjà participé à une rencontre d’éditeurs à Casablanca et au stand des éditeurs francophones à Francfort en 2017 et 2018, je connais donc bien le marché français. Nous avons affaire aux éditeurs français avec l’entremise de l’Institut français notamment en ce qui concerne nos auteurs togolais qui sont publiés en France. Les rencontres du BIEF sont importantes car tous les partenariats éditoriaux sont basés sur les affinités personnelles et pour cela il faut se connaitre. Je pense qu’il y a aujourd’hui une perception plus juste de ce que nous pouvons proposer aux éditeurs français et ceci est dû à la professionnalisation de nos éditeurs. Le savoir-faire est là. Au cours de cette dernière décennie nous avons appris aussi à le faire savoir et je pense que cela commence à porter ses fruits. Cela n’empêche pas que les relations avec les éditeurs français que nous rencontrons restent parfois compliquées. Nous avons par exemple voulu faire une coédition dans le cadre de la collection Terres solidaires de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI) pour Palestine d’Hubert Haddad, publié chez Zulma. Un livre que nous aimons beaucoup et qui a été inscrit au programme des lycéens au Togo cette année. Nous nous sommes donc tournés vers l’Alliance pour pouvoir négocier les droits mais malheureusement pour le moment le projet n’a pas abouti."
Propos recueillis par Katja Petrovic