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Portrait et entretien de professionnel

Comment vendre des droits étrangers pendant la crise actuelle ? Le témoignage de Sophie Langlais

mai 2020

Sophie Langlais est responsable des ventes et des acquisitions aux Arènes et à L’Iconoclaste. Au début du confinement, elle s'est sentie "figée dans l’espace". Grâce à sa collaboration avec les sous-agents, elle a pu "prendre le pouls de la situation dans les différents pays" et continuer à vendre des droits, notamment pour des titres de fonds.


Sophie Langlais, responsable des ventes et des acquisitions aux Arènes et à L'Iconoclaste : "Être coupé des autres nous a rappelé la valeur de la chaîne du livre et de ses acteurs."


"Les maisons indépendantes pour lesquelles je travaille, les Arènes et L’Iconoclaste, publient dans des domaines très divers (jeunesse, bande dessinée, histoire, littérature, psychologie). Seule, je ne serais pas en mesure de promouvoir ces livres efficacement dans le monde entier. Les sous-agents avec lesquels nous agissons dans différents territoires ont été des ressources clés pour prendre le pouls de la situation dans chaque pays. 


En Chine, l’agence Dakai, créée par Solène Demigneux, a conclu un contrat pour L’Aube à Birkenau de Simone Veil, le 23 mars. Il fallait avoir un lien "organique" avec un éditeur sur place pour savoir qu’il était possible de relancer à ce moment-là un livre dans lequel une déportée de seize ans témoigne de ce qu’elle a vécu dans les camps d’Auschwitz et de Birkenau. Je dirais donc qu’être coupé des autres nous a rappelé la valeur d’une "chaîne du livre" et de ses acteurs*. Je pense aussi qu’à la reprise, les scouts français auront un rôle important à jouer pour aider les éditeurs étrangers à trouver les livres qu’ils souhaitent acheter, dans un contexte économique tendu, avec un nombre accru de parutions sur tous les marchés du monde.

 

Ensuite, comme les nouvelles publications ont été stoppées net, il a paru plus sage de revenir sur le fonds, notamment sur nos livres qui avaient déjà été édités par une maison anglo-saxonne, ce qui nous permettait de disposer d’une traduction anglaise intégrale. Anne Zunino, chargée des droits étrangers, a choisi de travailler sur la bande dessinée Le Cas Alan Turing d’Arnaud Delalande et Éric Liberge, sortie en 2016 chez Arsenal Pulp Press. Le fait d’envoyer le document PDF du livre en anglais a permis de convaincre rapidement Bahoe Books en Autriche de le publier en allemand, cinq ans après sa parution en France.

 

Pour faire paraître un livre en traduction, on peut développer toutes sortes de stratégies, mais la seule qui compte, c’est de donner envie de lire le texte. Les acteurs intermédiaires nous sont indispensables ; une traduction intégrale de langue anglaise peut aider. La crise, espérons-le, permettra de remettre en valeur le fonds et de consolider nos liens avec les traductrices et traducteurs, les scouts et les sous-agents.

 

Quand je pense à l’avenir, je vois bien que les livres de non-fiction auront un rôle central pour nous aider à comprendre ce que nous avons vécu. Mais je crois que c’est la fiction qui sortira gagnante de cette crise. La Vraie vie d’Adeline Dieudonné, publié par L’Iconoclaste en septembre 2018, a été un grand succès de librairie en France. Ce roman d’émancipation d’une jeune fille qui reconnaît la violence du monde sans accepter d’en être la victime, faisait écho à la prise de parole des femmes dans le mouvement #MeToo. Publié en Allemagne en avril 2020 par DTV, le roman s’est rapidement hissé sur la liste des best-sellers du Spiegel, alors que les librairies venaient à peine de rouvrir. Thea Dorn, présentatrice d’une émission littéraire allemande, l’a présenté comme "le livre de la saison, celui qu’il faut lire aujourd’hui pour dominer ses peurs". C’est une joie de voir que ce roman a pu résonner dans deux contextes socio-politiques différents.

 

Aujourd’hui, le roman de Julia Kerninon, Liv Maria, à paraître à L'Iconoclaste en septembre prochain, est déjà cédé en trois langues, grâce aux rapports de lecture de Béatrix Foisil, Cristina de Stefano et V&P scouting. J’ai l’espoir que ce personnage de femme libre pourra toucher à leur tour les lecteurs allemands, néerlandais et lituaniens qui le découvriront dans deux ans."

 



* Les Arènes et L'Iconoclaste ont lancé une campagne iconographique pour aider les libraires dans leur reprise d'activité (voir l'article d'Olivia Snaije pour Publishing Perspectives).


Propos recueillis par Katja Petrovic