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Compte rendu

Les libraires francophones d’Europe rassemblés à Vienne

mai 2022

28 et 29 mars

Lors d’une rencontre organisée par le BIEF et l’Institut français d’Autriche, en partenariat avec l’Association internationale des libraires francophones et le Centre national du livre, les dirigeantes et dirigeants de 15 librairies francophones d’Europe se sont réunis à Vienne pour parler des mutations de leur métier. 


Après un report de février à mars 2022, les libraires francophones venant de 14 pays européens ont enfin pu se retrouver à Vienne. Dans un environnement particulièrement fragilisé par les crises sanitaires et géopolitiques, cette rencontre a permis aux libraires de partager leurs expériences et de mutualiser les outils et les solutions qui ont fait leurs preuves pour soutenir leur activité et maintenir le lien avec leurs clientèles. 


La librairie francophone au cœur des échanges 


Moments attendus de cette rencontre à laquelle participaient également Nicolas Roche, directeur du BIEF, et des éditrices françaises et autrichiennes telles Sophie Caillat des Éditions du Faubourg et Bettina Wörgötter des Éditions Zsolnay, deux tables rondes ont porté sur la question des coopérations avec les partenaires institutionnels – dont le réseau des Instituts français – et sur celle des relations avec les éditeurs, diffuseurs, distributeurs. 


Dans chacune des villes représentées, l’Institut français est le partenaire naturel de la librairie francophone et l’héberge même parfois dans ses murs, comme c’est le cas à Budapest, Florence ou Sofia. Si le lien avec les services Culturels ou les Instituts français semble évident, les libraires savent aussi que le soutien apporté à la librairie repose beaucoup sur la personne même de l’attaché culturel ou du responsable. Pour Jean-François Roseau, attaché Culturel à Vienne, "la librairie Hartliebs offre une situation idéale tant les échanges sont simples avec Élodie Salanove qui se montre très réactive au moindre évènement que nous organisons". 


La librairie Hartliebs à Vienne 


Mais l’enjeu commercial se situe ailleurs et notamment dans les commandes passées par les médiathèques ou en lien avec les cours de français langue étrangère. Or celles-ci échappent très largement aux libraires francophones au nom des impératifs budgétaires de chaque institut, comme l’a découvert lui-même à son arrivée Jean-François Roseau. C’est aussi un constat partagé par la quasi-totalité des libraires. En dépit de la reconnaissance de leur travail, de leur ancrage dans la ville, de leur réputation auprès des publics francophones ou francophiles, les libraires francophones sont souvent privés de ces commandes qui constitueraient pourtant un point d’appui indispensable à leur activité. 


Des librairies de référence 


Isabelle Lemarchand, présidente de l’AILF et directrice de la librairie La Page à Londres, regrette que "seuls l’emportent les arguments de prix et que la règle du 'mieux disant' budgétaire ne tienne pas compte du travail qualitatif". Lequel est pourtant le point fort de tous ces libraires qui, à défaut de pouvoir rivaliser avec les grossistes en France (qui fournissent de nombreuses commandes institutionnelles) ou les plateformes en ligne (dont Lireka, nouvel acteur sur ce marché), sont pourtant in situ les meilleurs connaisseurs des publics du livre francophone et de l’offre disponible. Ce que reconnaît d’ailleurs depuis des années le CNL en délivrant sur la base de ce critère "qualitatif" l’agrément "librairie francophone de référence" mais qui, de l’aveu de plusieurs libraires, "ne nous rapporte pas grand-chose dans la relation avec les partenaires français". 


Même si les libraires saluent le rôle essentiel joué par le CNL, notamment au travers des dispositifs d’aide (dont les aides exceptionnelles accordées suite aux effets de la pandémie), ils et elles parviennent à cette conclusion à propos du soutien venant des partenaires institutionnels : "ce qu’on nous donne d’une main, on nous le retire de l’autre" ! La situation vire parfois à l’absurde, comme en a témoigné Montse Porta de la librairie Jaimes à Barcelone qui s’est vue demander par l’Institut français le paiement d’une redevance pour lui garantir le maintien du partenariat et l’accès à l’Institut au risque sinon de voir une autre enseigne prendre le relais de cette relation pourtant historique. L’intervention du ministère semble depuis avoir eu raison de cette situation, preuve en est qu’une meilleure coordination des acteurs peut se révéler payante. C’est du moins ce que réclament les libraires francophones entendus à Vienne.



Une nouvelle charte saluée mais pas encore assez connue


Autre front pour les libraires francophones européens, celui des relations commerciales mais aussi logistiques avec leurs fournisseurs en France. Une autre table ronde a permis de présenter une avancée, accompagnée par le BIEF, sous la forme d’une charte conclue récemment entre les éditeurs français, leurs diffuseurs-distributeurs et les libraires francophones. Cette charte vise à améliorer les conditions commerciales des libraires mais aussi les conditions logistiques de traitement des commandes, en reconnaissant d’une part le travail qualitatif des libraires et, d’autre part, les contraintes liées à l’export (transport, frais facturés par les distributeurs, impossibilité des retours, frais de change pour les pays hors zone euro, etc.). 


L'institut français de Vienne


Si les libraires réunis à Vienne ont salué cette charte, notamment parce qu’elle rend compte de la réalité de leur situation, ils et elles en attendent maintenant les effets concrets. Elena Diaconu qui a repris la direction de la librairie Kyralina à Bucarest a pu ainsi mentionner la charte dans un récent échange avec un des fournisseurs et obtenir une amélioration des délais de traitement de ses commandes. Mais cet exemple est encore trop isolé, l’existence de cette charte n’étant pas encore connue de tous les interlocuteurs des libraires. 


La rencontre de Vienne aura été l’occasion de sensibiliser les participants sur la charte et ses engagements mais aussi sur les négociations à venir dans le cadre d’un comité de suivi mis en place à l’initiative du ministère de la Culture et dont la première réunion se tiendra le 15 juin prochain. 


À ces rencontres se sont ajoutées des visites des deux filiales de la librairie Hartliebs – la librairie généraliste et la librairie franco-italienne – qui ont donné l’occasion aux libraires d’échanger avec les représentants du marché du livre autrichien Benedikt Föger, président de l’Association des libraires d’Autriche, et Alexander Potyka, délégué autrichien auprès de la Fédération des éditeurs éuropéens, puis d’être accueillis chaleureusement par les propriétaires et fondateurs de la librairie, Petra et Oliver Hartlieb, pour une soirée mémorable dans leur appartement rempli de livres.


L’Europe littéraire n’a pas de frontières


Le renforcement de la dimension européenne du réseau des librairies francophones et de leurs partenaires était au cœur des discussions tout au long du séminaire. Afin de mettre en avant le rôle des librairies francophones pour faire vivre et faire découvrir une littérature européenne, le projet "L’Europe des libraires indépendants", initié par l'AILF, vise à mettre en avant une sélection de titres d’auteurs et de thématiques européennes. L’importance de la diversité culturelle en Europe et d’une "Europe ouverte sur le monde" a été soulignée par Gilles Pécout, ambassadeur de France en Autriche. Il a également affirmé sa volonté d’accompagner la promotion du livre français et d’insérer davantage le livre dans la transmission vivante en soulignant la place centrale qu’il attribue à la librairie francophone. Parole d’ambassadeur !


Pierre Myszkowski et Hannah Sandvoss