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Portrait et entretien de professionnel

Les Arènes fêtent leurs 25 ans

juillet 2022

Créée en 1997, Les Arènes publient depuis 25 ans des documents d’actualité, des livres de psychologie, de l’histoire, des biographies, des romans graphiques et des albums illustrés. "Nous publions de tout, mais peu et jamais par hasard. Chaque livre est une aventure et doit avoir un sens", explique Laurent Beccaria, fondateur de cette belle maison dont la curiosité et l’éclectisme sont devenus sa marque de fabrique.



BIEF : Laurent Beccaria, sur votre site vous revenez sur les débuts des Arènes : "La maison est née en juin 1997 pour publier Une guerre, une enquête brûlante qui dévoilait les accords nucléaires entre la France et l’Iran. Notre goût de la liberté et du combat vient de cette naissance à l’arrache, contre la censure." Quelles sont les autres causes que vous avez défendues depuis ? Y en a-t-il une qui vous tient particulièrement à cœur ? 


Laurent Beccaria : "L’édition relève parfois du sport de combat et nous avons dû affronter plusieurs "procédures baillons", de chefs d’État africains, de banques russes et luxembourgeoises… Mais aucun dossier n’égale la mise en lumière du rôle de la France dans le génocide tutsi. Avec en point d’orgue l’Inavouable de Patrick de Saint-Exupéry. Ce livre a entraîné un marathon judiciaire record. Sept officiers généraux, financés par le ministère de la Défense, ont intenté plus de quarante procédures, avec des centaines de visites d’huissiers. Nous en sommes sortis victorieux. Mais le bras de fer a duré dix ans !"


BIEF : Pandémie, catastrophes naturelles, montée de l’extrême droite, la guerre aux portes de l’Europe… nous vivons des moments de crise exceptionnels. Quels sont selon vous, en tant qu’éditeur, les combats à soutenir en ce moment et dans un futur proche ? 


Laurent Beccaria : "Le temps d’un éditeur n’est pas celui de l’actualité. Comme éditeurs nous travaillons sur une autre échelle, un an, deux ans, parfois beaucoup plus. Je me méfie toujours des publications d’opportunité. Mais nous avons besoin de boussoles pour construire un catalogue :


  • mettre le savoir scientifique et historique à la portée du plus grand nombre, en restant rigoureux et en utilisant au mieux le rapport texte/image ;
  • accompagner les approches innovantes en matière d’éducation et de psychologie scientifique ;
  • publier des livres jeunesse autour de valeurs fortes : autonomie, universalisme, féminisme, générosité, courage ; 
  • repérer les plaques tectoniques de la société ;
  • porter le fer dans la plaie (et toujours chez plus puissant que soi) ;
  • partager des récits de l’expérience humaine ;
  • accroître la beauté du monde, enrichir notre imaginaire.

 

BIEF : Qui dit édition dit rencontre. D’abord avec les auteurs et autrices. Depuis 1997, votre histoire est jalonnée de coups de foudre pour des personnalités hors norme tels Céline Alvarez, Coco, Eva Joly, Christian Grataloup. Quelle est, selon vous, la clé pour qu’une véritable rencontre puisse avoir lieu ? 


Laurent Beccaria : "Dans maison d’édition il y a le mot maison. Les auteurs doivent se sentir chez eux. L’édition est un métier très joyeux, avec beaucoup d’occasions de se réjouir : célébrer la signature d’un contrat, un BAT, le lancement d’un livre, des ventes inattendues… Il y a mille manières de pratiquer ce métier mais une seule règle pour durer : ne jamais promettre ce que l’on ne peut pas offrir. Le mot clé est confiance. Après c’est un accord à la vie à la mort."


BIEF : Depuis leur début, les Arènes publient dans presque tous les domaines : psychologie, méditation et éducation, BD, romans noirs (collection EquinoX), sciences humaines, jeunesse… La liste de vos succès reflète la curiosité et l’éclectisme qui est votre marque de fabrique : La Vie secrète des arbres du forestier allemand Peter Wohlleben, le tsunami Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler, le long-seller de méditation pour les enfants Calme et attentif comme une grenouille d’Eline Snel, la première histoire de l’économie en BD, Economix. Comment naissent vos livres ? 


Laurent Beccaria : "Nicolas Bouvier écrivait que l’enfance, plus qu’un âge, était un état d’esprit, une attention fébrile aux êtres et aux choses, une impatience d’absorption". C’est une jolie définition de l’édition. Il faut être curieux, emprunter des chemins buissonniers, être à l’affût. Et c’est ainsi que naissent les livres. En visite à Londres, par exemple, deux jeunes éditrices des Arènes, dont Flore Gurrey qui depuis a pris la direction du domaine étranger, ont eu un coup de foudre pour un projet à l’encre de Chine signé d’un inconnu. Il n’y avait que quelques planches, le livre n’était pas fini… Elles ont fait le siège de mon bureau. J’ai dit  "non" à deux reprises. La troisième fois elles ont arraché un "oui". Grâce à elles, nous avons été la première cession étrangère de L’enfant, la taupe, le renard et le cheval avant sa publication. Depuis le livre s’est vendu à huit millions d’exemplaires dans le monde et près de 150 000 en France. Si nous avions sagement attendu la sortie, nous aurions été doublés par dix éditeurs plus puissants. Il faut savoir s’émerveiller. Un livre sur deux aux Arènes est un premier livre ou le premier livre traduit en français d’un auteur."

 

BIEF : Aujourd’hui, le métier d’éditeur n’est pas le même qu’il y a 25 ans ! Au fil des années vous dites avoir développé une manière bien à vous de faire de l’édition en travaillant sur mesure chaque parution. Quel est ce savoir-faire propre des Arènes ? Pourriez-vous l’expliquer à l’aide d’un récent exemple ? 


Laurent Beccaria : "Dans chaque domaine nous publions très peu d’ouvrages. Cette sélectivité nous oblige à marquer notre différence. Elle nous permet aussi de travailler de manière agile, en regroupant des compétences internes spécifiques à chaque livre, pour en faire une aventure unique. Un exemple, l’Atlas historique de la Terre dirigé par Christian Grataloup, qui sort cet automne. Son éditeur, Jean-Baptiste Bourrat, a obtenu la coopération de deux journaux réputés - L’Histoire et Sciences et Avenir -, constitué une équipe de cartographes attitrés, organisé et coordonné le travail d’une équipe de vingt personnes pendant trois ans. Les réunions d’étapes avaient lieu dans nos locaux. Très en amont, le commercial, le marketing, la presse ont travaillé autour de ce livre, en préparant un accompagnement sur mesure. Notre équipe de vente a entièrement lu l’atlas pour mieux le défendre. Une série de vidéos d’animation, des exclusivités médias, une PLV, des dépliants, sont en préparation, etc. Et le livre a déjà plusieurs coéditeurs internationaux alors qu’il ne sort que fin octobre. L’éditeur est le chef d’orchestre et s’il a besoin de compétences internes ou d’aide, il les débloque.


BIEF : La BD est entrée dans votre maison en 2015. Aux Arènes, vous aimez des histoires vraies telles que L’incroyable histoire de la médecine, ... du vin, … de la sexualité avec toujours le souci d’allier "le lisible et le visible". Quels sont les avantages et les limites de la bande dessinée ? 


Laurent Beccaria : "L’avantage de la BD c’est évidemment l’alliance des mots et des images, des talents. On peut tout dire en BD et son implantation au cœur de la maison par Laurent Muller est une réussite. La manière dont le journaliste Soren Seelow a synthétisé le dossier judiciaire tentaculaire des attentats de Paris dans une BD rigoureuse et spectaculaire, La Cellule, montre tout ce que l’on peut faire en la matière. Il aurait pu écrire un livre de 500 pages, mais sans le même impact. Nous avons des projets pleins nos cartons, notamment des BD psy d’un genre nouveau, utiles, sérieuses et ludiques sous la direction de Catherine Meyer qui a constitué un catalogue en méditation, psychologie et éducation de grande qualité."


BIEF : En 2020 vous avez créé les Arènes du Savoir pour renforcer votre présence numérique. Ce sont des contenus vidéo et 3D, inspirés de vos livres, que vous diffusez sur votre site et sur les réseaux sociaux. Est-ce aujourd’hui indispensable pour rencontrer son public ? 


Laurent Beccaria : "Il faut rentrer en relation avec les lecteurs où ils sont. Le département des Arènes du Savoir est un investissement important, avec des compétences en motion design, réalisation et 3D que l’on n’a pas l’habitude de trouver dans une maison d’édition. Pour lancer la méthode de lecture de Céline Alvarez par exemple (boîte de lettres magnétiques, imagiers, albums à lire seul en maternelle) nous avons mis en ligne des vidéos tutorielles pour les parents. Dès la mise en ligne de cette série, les ventes de la boîte de lettres se sont envolées et le succès de la collection est spectaculaire. Comment aurions-nous pu toucher les jeunes parents dans la presse ou à la télévision quand on sait que les audiences des médias classiques sont à plus de 60 ans de moyenne d’âge ?" 


BIEF : Vous qui aimez les défis, pourriez-vous citer 25 titres phares publiés en 25 ans aux Arènes en les accompagnant d’une phrase montrant en quoi ils reflètent l’esprit de la maison ? 

 

Laurent Beccaria : "Allons-y : 

  • Notre affaire à tous, autobiographie et livre de combat d’une femme remarquable
  • Noir silence, parce que nous devons refuser la part d’ombre de la France 
  • Une guerre, un diamant d’intelligence et d’écriture sur un sujet brûlant
  • Les lois naturelles de l’enfant, une rencontre qui a changé notre vie
  • L’inavouable, un grand journaliste contre l’engagement fou d’une poignée de dirigeants français aux côtés d’un régime génocidaire
  • La part d’ange en nous, la diminution de la violence à travers les âges : contrintuitif et brillant 
  • Underland, un choc de lecture par le plus grand écrivain voyageur vivant
  • Je sais le faire, un livre familial que j’aurais adoré avoir quand mes filles étaient petites
  • Calme et attentif comme une grenouille, faire d’un livre-disque hollandais un best-seller mondial
  • Merci pour ce moment, une histoire folle de bout en bout et une bombe au cœur du pouvoir
  • Economix, quand une BD devient le manuel d’initiation à l’économie à l’entrée de Sciences-po
  • La vie secrète des arbres, le livre parfait, vivant et pédagogique, et un auteur merveilleux
  • Femmes puissantes, transformer des entretiens radio en un livre qui s’offre
  • Deux petits pas sur le sable mouillé, le récit de la mort d’une enfant et un hymne à l’amour
  • L’intégrale du New Yorker, acheté en cinq minutes à Francfort un vendredi soir et le début d’une collection qui a duré dix ans
  • Révélation$, comment l’opacité financière a été volontairement construite
  • L’aube à Birkenau, vingt ans d’entretiens et un chef-d’œuvre de maquette 
  • Dessiner encore, une survivante de l’attentat contre Charlie-Hebdo, l’histoire d’une renaissance
  • L’incroyable histoire de la médecine, érudition, humour, pédagogie : la culture générale pour tous
  • Le livre noir de la psychanalyse, prendre à rebrousse-poil les gardiens du temple
  • Histoires du soir pour filles rebelles, proposer d’autres récits pour se construire quand on est enfant
  • L’homme chevreuil, une aventure de sept ans dans une forêt normande : l’aventure est au coin de la rue
  • Atlas historique de la Terre, une première mondiale et un livre qui change notre récit du monde
  • Exterminez toutes ces brutes !, un livre fulgurant sur la folie coloniale à mettre dans toutes les mains occidentales"


BIEF : Merci beaucoup, Laurent Beccaria, et bon anniversaire aux Arènes ! 


Propos recueillis par Katja Petrovic 

Portrait de Laurent Beccaria : © Samuel Kirszenbaum