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Portrait et entretien de professionnel

Sabine Wespieser Éditeur fête ses 20 ans

février 2022

Sabine Wespieser publie peu et privilégie une politique d’auteurs : Diane Meur, Yanick Lahens ou Louis-Philippe Dalembert pour la langue française ; Edna O’Brien, Claire Keegan, ou Robert Seethaler pour le domaine étranger. Elle a obtenu de nombreux prix dont trois fois le Prix Femina. En 2022, la maison fête ses 20 ans - l'occasion de revenir sur son histoire. 


Pour mettre un coup de projecteur sur les 20 ans de la maison Sabine Wespieser Éditeur, le BIEF a posé vingt questions à sa fondatrice, Sabine Wespieser. 

 

1. Quel serait le meilleur cadeau que l’on puisse vous faire pour les 20 ans de votre maison ? 

La simple possibilité de poursuivre mon activité dans un paysage éditorial où soit préservée la libre concurrence, en vigueur sur le marché du livre en France. 

 

2. Quel est le premier livre qui vous a marquée ? 

La Vie de Mardochée de Löwenfels, écrite par lui-même est le premier roman de Diane Meur, paru lors du lancement de la maison, en août 2002. Mon admiration de lectrice, au moment où j’ai reçu ce manuscrit, s’est mêlée au plaisir anticipé de publier dans ma propre maison une autrice de cette envergure. À ce jour, le catalogue compte cinq romans de Diane Meur. Elle y signe aussi régulièrement d’excellentes traductions, dont celle des mémoires du comédien irlandais Gabriel Byrne, Mes fantômes et moi, à paraître en septembre 2022.

 

3. Un livre que vous trouvez totalement surestimé ? 

J’ai fini par ne plus céder à l’injonction de lire en entier tous les livres que j’entame. Ceux que je termine éveillent forcément en moi un intérêt ou une émotion. Donc, j’échappe à la lecture des livres surestimés.

 

4. Un auteur qui vous séduit, il est… ? 

Je vais citer Claire Keegan, dont Les trois lumières ou Ce genre de petites choses sont également des fleurons de mon catalogue : "Un écrivain maîtrise sa phrase, son paragraphe, son chapitre et sa structure." 

 

5. Vous avez fondé votre maison pour renouer avec votre métier. Qu’est-ce qu’une bonne éditrice ou un bon éditeur ? 

Depuis mes débuts chez Actes Sud, j’ai aimé ce métier, appris dans cette belle maison. J’ai voulu, en créant la mienne, pouvoir continuer d’être disponible pour mes auteurs, lire leurs textes sans attendre le moment où ils me les envoient, mais également trouver la disponibilité de les accompagner vers leurs lecteurs. En un mot, un éditeur est un passeur.

 

6. Quels ont été les moments-clés dans l’histoire de votre maison d’édition ? 

Ils continuent d’être nombreux, et quotidiens. Les prix sont bien sûr des dates importantes (le Femina étranger pour L’histoire de Chicago May, de Nuala O’Faolain, en 2006, par exemple), mais aussi ces belles et nombreuses soirées en librairies, où se tissent des liens de fidélité, ou bien ce moment où on arrête tout, pour lire un texte récemment reçu.


 

7. Quelle a été votre plus grande surprise en 20 ans de métier ?

Je me permets, là encore, d’entendre la question au présent : si ce métier m’intéresse tant, c’est sans doute qu’il ne cesse de me surprendre. 

 

8. Vous dites que le temps est votre allié principal. Pourquoi ? 

Le temps est l’allié de la création. Comme le dit joliment Michèle Lesbre, qui prépare son quatorzième livre dans mon catalogue : "un éditeur est quelqu’un qui sait m’attendre…" 

 

9. Comment votre maison a-t-elle évolué ces cinq dernières années par rapport au numérique ? 

Comme les cinq précédentes et les cinq prochaines, je suppose : les livres numériques représentent une faible part de mon chiffre d’affaires, la qualité de l’objet livre étant consubstantielle de l’image de ma maison. Mais ils existent. Quant à la vente en ligne, elle est efficace quand elle est accompagnée du conseil de libraires. 

 

10. Vous tenez autant à la littérature française qu’à la littérature étrangère. Que vous apporte l’une que ne vous apporte pas l’autre ?

Votre question est l’occasion de saluer le travail des traductrices et des traducteurs : quand je publie de la littérature étrangère, c’est leur musique, conjuguée à celle de l’auteur, qu’ils donnent à entendre, dans un véritable travail de création. Pas de différence, donc, c’est un texte en langue française que je défends au final.

 

11. Les auteurs francophones sont-ils les meilleurs écrivains de langue française ? 

Le français de Yanick Lahens et de Louis-Philippe Dalembert s’enrichit de leur ancrage haïtien, celui de Dima Abdallah de ses racines libanaises… Kéthévane Davrichewy puise souvent dans l’imaginaire géorgien la matière de ses livres. Cette manière de travailler la forme et la langue m’importe, mais elle n’est pas spécifique aux écrivains "francophones". Vincent Borel et Jean Mattern nourrissent quant à eux leur écriture de musique…

 

12. Qu’avez-vous dit à Louis-Philippe Dalembert, "votre" finaliste du Goncourt 2021, quand Mohamed Mbougar Sarr l’a remporté ? 

C’était une bien belle course… 


 

13. Ce qui compte pour vous, c’est à la fois la forme et le fond d’un livre. Comment trouver l’équilibre entre la langue qui crée la littérature et la forme qui crée du sens ? 

Question sans réponse, et heureusement, tant les formes de l’équilibre sont multiples.

 

14. Pour les 15 ans de votre maison, vous avez demandé à neuf auteurs d’écrire leur définition du mot "catalogue". Quelle est la vôtre ? 

J’aime beaucoup la formule de Marie Richeux : "un catalogue est une maison au milieu des saisons." 

 

15. Quel livre paru en 2021 vous a le plus influencée ?

J’aime beaucoup lire hors de l’actualité : Le marin de Gibraltar m’a enchantée par sa liberté, et son humour.

 

16. Quelles leçons tirer de la pandémie pour une maison d’édition comme la vôtre ? 

Les structures indépendantes sont bien sûr fragiles, dans leur interdépendance à l’égard de leur distribution, et aussi des points de vente qui les diffusent. J’ai beaucoup parlé, pendant cette période, avec des maisons étrangères, qui nous enviaient les mesures mises en œuvre très rapidement afin de protéger la chaîne du livre. On ne dira jamais assez le rôle fondamental que joue la loi Lang sur le prix unique du livre à cet égard.


 

17. Le monde de l’édition bouge en permanence. Rétrospectivement, quels ont été les débats les plus énervants et inutiles ? 

Les énervants et inutiles, on les oublie. En revanche, la mobilisation actuelle contre l’OPA menée par le groupe de Vincent Bolloré sur Hachette est fondamentale pour faire entendre aux instances politiques françaises et européennes l’importance, pour la création, de l’interdiction d’une fusion de cette ampleur. 

 

18. Quels sont les enjeux sociétaux qui vous préoccupent ? 

Je cite à nouveau une de mes autrices, Michèle Lesbre : "le catalogue d’une maison d’édition comme celle de Sabine Wespieser ressemble à un long roman toujours inachevé, celui de l’éditeur par écrivains interposés." Mes préoccupations se lisent dans les textes que je choisis… 

 

19. Quel est votre rôle d’éditrice sur ces sujets ?

Publier.

 

20. Après 20 ans d’existence, quels sont vos objectifs pour les 20 ans à venir ?

Continuer. 


Propos recueillis par Katja Petrovic