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Compte rendu

"Don’t Panic - Read Comics". Les éditeurs de BD gardent le moral face à la crise

février 2021

En l’absence du Marché international des droits cette année à Angoulême, le BIEF et le festival ont organisé une conférence en ligne sur les marchés de la bande dessinée en France, aux États-Unis, au Canada et à Hong Kong, suivie par 130 professionnels de France et de l’étranger. L’ambiance y était tout sauf morose car pour les intervenants, 2020 a été une bonne, voire très bonne année pour la bande dessinée. 


"Don’t panic – read Comics", la devise du festival est reprise par Rachel Lo du Hong Kong Arts Centre (HKAC), venue présenter le marché hongkongais, en ouverture de la visioconférence sur le marché international de la bande dessinée, organisée par le BIEF et le festival d’Angoulême. Fondé en 1977, le Hong Kong Arts Centre a pour mission de promouvoir l’art contemporain, dont la bande dessinée, via une plateforme destinée aux auteurs, éditeurs et libraires de BD, locaux ou étrangers. Le centre est habituellement exposant dans l’espace Manga City et au Marché international des droits du FIBD. Comme partout dans le monde, la Covid a fortement impacté le marché du livre hongkongais et les activités de HKAC dont la quasi-totalité a dû se tenir en ligne, même s’il n’y a pas eu de confinement à Hong Kong. L’annulation de la Foire du livre, moment-clé pour la vente de livres avec 680 exposants et un million de visiteurs, a été un coup dur pour la profession : habituellement, éditeurs et libraires y réalisent environ 50% de leur chiffre d’affaires annuel. En 2020, certains éditeurs BD ont ainsi vu leur CA diminué de moitié et ont dû réduire leurs tirages. "Les ventes dépassant les 2 000/5 000 exemplaires ont été exceptionnelles en 2020, même pour des artistes connus", précise Rachel Lo. Pour y remédier, de nombreuses plateformes de vente et des festivals BD en ligne ont vu le jour. La HKAC n’a pas tardé à investir ce nouveau marché digital en organisant des expositions et des master classes en ligne et en participant bien sûr au Marché international des droits proposé en ligne par le festival d’Angoulême cette année. 


 

La BD au Québec, un marché fulgurant qui a doublé en huit ans

 Frédéric Gauthier, cofondateur de La Pastèque à Montréal et directeur de l’association pour la promotion de l’édition canadienne, Livres Canada Books, a présenté le marché de la BD au Canada francophone. "Lorsque nous avons commencé à publier des bandes dessinées à Montréal il y a 20 ans, il n’y avait pas de marché", se souvient-il. Depuis, son évolution a été fulgurante : 800 000 exemplaires vendus en 2019 ont généré un CA de 1 400 000 dollars canadiens, "le double par rapport à 2012" précise-t-il. En 2020, le Québec compte une vingtaine d’éditeurs de BD, dont les droits commencent à se vendre en Europe et en Asie. 78 titres ont été vendus l’année dernière dont 35 bandes dessinées jeunesse, "un secteur qui connaît un incroyable boom". Autre signe d’un marché en plein essor : les nombreux festivals dont "Québec BD" et le festival de la BD à Montréal qui attirent un grand nombre de lecteurs. Pour donner encore plus de visibilité à ce secteur, des prix ont été créés dont le Prix des libraires du Québec. De nouveaux espaces de vente ont également vu le jour : plusieurs éditeurs BD canadiens (du Québec et d’ailleurs) ont en effet ouvert leurs propres boutiques-galeries où ils peuvent vendre leurs livres et mettre à l’honneur les créateurs, organiser des événements et des rencontres, mais en gardant toujours à l’esprit de ne pas concurrencer les librairies. Car "nous avons de très bonnes relations avec les libraires indépendants et autant avec les deux grandes chaînes de librairies", explique Frédéric Gauthier.

 

Une année record pour les Graphic Novels et les mangas aux États-Unis

Avec une augmentation du nombre de volumes vendus de 8,2% (tous secteurs confondus) par rapport à 2019, l’année 2020 a été une année record et la meilleure de la décennie 2010-2020*. La demande de graphic novels pour adultes a explosé avec 3,7 millions d’exemplaires vendus, tout comme celle des mangas qui tirent le marché et dont les ventes ont augmenté de 43% par rapport à 2019. La vente de livres numériques a également connu une belle augmentation, estimée à environ 17%. 

C’est du côté du "direct comic market" que l’année a été plus compliquée**, explique Mike Kennedy, éditeur chez Magnetic Press – Neurobellum : estimée à 4,4%, la baisse des ventes s’explique entre autres par l’arrêt, pendant trois mois, de la distribution par Diamond Comics ; par la fermeture des magasins de jeux, des librairies BD ou kiosques où sont vendus ces bandes dessinées et comics brochés, par l’annulation des nombreuses conventions qui attirent en général un grand nombre d’acheteurs ou encore par l’absence d’un blockbuster de super-héros au cinéma. Comme partout dans le monde à l’heure de la crise sanitaire, les maisons d’édition ont néanmoins développé des stratégies de ventes en direct et de ventes numériques. Comme ailleurs, le livre est apparu comme un bien culturel essentiel et un refuge pour les consommateurs, notamment les deux derniers mois de l’année qui ont vu une extraordinaire augmentation des ventes. 

 

"L’année de la BD, malgré tout !"

 Lancée à Angoulême en 2019, "l’année 2020 de la BD en France n’était pas celle que nous attendions mais s’est malgré tout révélée une très bonne année pour la BD", explique Agathe Jacon, responsable des droits dérivés et audiovisuels chez Rue de Sèvres. Le marché s’est en effet conclu sur un chiffre-record : plus de 53 millions d'exemplaires de bandes dessinées vendus en France (+9%) pour un chiffre d'affaires généré de 591 M€ (+6%). Ce sont les mangas qui ont progressé le plus (+18%), selon les chiffres GFK. Vendus à des prix de plus en plus bas, ils rencontrent leur succès notamment auprès des jeunes lecteurs. Les classiques, les BD pour enfants, les BD documentaires et humoristiques arrivent également en haut de ventes. Mais malgré ces ventes records, le bilan du marché de la BD en 2020 peut aussi apparaître mitigé. Comme pour les autres domaines éditoriaux, la "best-sellerisation" du marché rend difficile la découverte et la vente d’auteurs moins connus, dont de nombreux connaissent de grosses difficultés, notamment en l’absence de salons où rencontrer le public. Même constat pour les éditeurs indépendants dont la production est moins visible sur la toile. Si le marché en ligne a évolué de 20%, il reste encore une niche en France. Enfin, la Covid a fortement impacté les cessions de droits : moins de contrats, publications reportées et baisse de royalties… des difficultés à craindre aussi pour 2021. Une année qui a tout de même bien commencé avec un nouveau record du monde pour la couverture de Tintin : Le Lotus bleu, vendue aux enchères à 3,2 millions d’euros ! 

 

* Les données présentées sont fournies par NPD Bookscan qui regroupe 80% des points de vente américains

** Les données pour le "Direct Comic Market" sont fournies par le distributeur Diamond Comics


Katja Petrovic