29 janvier 2020
C’était une première : 21 éditeurs étrangers et 12 producteurs de France et internationaux se sont rencontrés à Angoulême la veille de l’ouverture du salon, pour échanger sur le marché international de la BD et sur l’adaptation audiovisuelle. Une rencontre organisée par le BIEF et le Festival, avec le soutien du Centre national du livre.
Si tout le monde connaît l’excellente santé de la BD en France, les derniers chiffres de vente, présentés lors de l’ouverture de cette journée professionnelle en ont tout de même étonné plus d’un. En 2019, le chiffre d’affaires de la BD a représenté près de 11% du marché français. La catégorie mangas et romans graphiques a battu tous les records avec 48 millions d’exemplaires vendus, dont 5 600 nouveautés, soit 9% de plus qu’en 2018.
"On pensait avoir touché le plafond avec les mangas mais depuis trois ans, les ventes ont encore augmenté et à côté des éditeurs historiques, de nouvelles maisons ont trouvé leur place", explique Moïse Kissous, PDG du groupe Steinkis et président du groupe BD du SNE.
Même constat pour la BD jeunesse et pour la BD documentaire, également en pleine croissance. "Aujourd’hui les auteurs s’inspirent de tout, d’où la diversité de publication, de style et de format. Les auteurs peuvent s’exprimer sur une pagination plus large et rentrer plus profondément dans les histoires", ajoute Moïse Kissous. La BD française se vend également bien à l’étranger : presque 30% des traductions françaises sont des BD.
En Russie où les auteurs européens sont encore assez peu représentés, les BD françaises ne passent pas inaperçues. En 2018, les éditeurs français ont cédé les droits de traduction de 78 bandes dessinées. "Nous en vendons 3 000 exemplaires en moyenne, sachant que les autres tirages ne dépassent souvent pas les 1 000 en Russie, qui est encore un mini-marché pour la bande dessinée", explique Stepan Shmytinsky de la maison Komilfo, rachetée par le géant de l’édition russe Eksmo. La maison publie également des auteurs de BD russes dont le profil a évolué depuis 2015 : "Ce ne sont plus des jeunes hipsters de parents riches, mais des auteurs intéressants dont les livres peuvent se vendre à 10 000 exemplaires."
Au Brésil, le marché de la BD est dominé par un "triumvirat" pour reprendre l’expression d’Arnaud Vin des éditions Nemo : Walt Disney pour la BD jeunesse qui représente 80% du marché, le super héros américain Daredevil et les mangas dont les ventes ne cessent d’augmenter. Et puis, "il y a des éditeurs comme nous qui publions des romans graphiques, tel Pilules bleues de Frederik Peeters, et qui répondent à la demande de jeunes lecteurs entre 16 et 20 ans qui en ont marre des mangas", explique l’éditeur.
Une situation comparable dans les pays nordiques, selon Jouko Ruokosenmäki, éditeur finlandais des éditions Otava. Avec un chiffre d’affaires en 2018 de 4 millions d’euros, la Finlande est un tout petit marché où "Disney is still the big thing", aux côtés des mangas et des séries américaines que les lecteurs achètent souvent en version originale, ne pouvant pas attendre la traduction. Peu ouvert aux traductions, les Scandinaves préfèrent lire les romans graphiques et les comic strips des auteurs locaux publiés dans des magazines qui peuvent se vendre jusqu’à 10 000 exemplaires et dont l’humour "trop spécial" a du mal à passer les frontières.
Ce petit bilan du marché international de la BD a suscité beaucoup d’intérêt de la part des responsables de droits français, venus nombreux pour assister à cette première table ronde : "Ce genre de conférence permet de prendre du recul sur les chiffres et d’avoir des informations plus précises sur des marchés très différents du marché français. Même si nous sommes devenus professionnels dans la vente des droits, je manque souvent de temps pour bien les connaître. J’envoie beaucoup de livres, en attendant que les résultats retombent", témoigne Catherine Loiselet de Bamboo Édition.
Cette nouvelle journée professionnelle à Angoulême était également l’occasion d’engager le dialogue et des rendez-vous B to B entre éditeurs de BD et producteurs audiovisuels français d’animation, de séries ou de films, dont 14, rattachés au Pôle Image de la région Magelis ont également été invités lors de cette journée. "La plupart ont leur studio de production à Angoulême et nous voulons les aider à trouver de nouvelles idées à développer et à produire qui peuvent venir de la bande dessinée, explique David Beauvallet, directeur du marketing et de la communication de Magelis.
"Pour adapter une BD en film ou en série, l’histoire est aussi importante qu’en littérature mais avec la BD c’est également l’univers visuel qui compte. Un succès papier n’est pas forcément un succès assuré lorsqu’il est adapté", explique le réalisateur et producteur Alexandre Aja. Pour Joseph Jacquet, producteur chez France TV, le succès d’une BD est tout de même un important critère de choix, tant l’enjeu économique est grand.
La question de la fidélité de l’adaptation par rapport à la BD originale a vite été évoquée lors de cette table ronde. Si la modification de l’histoire est parfois nécessaire pour adapter une BD dans un autre format et pour un nouveau public, les changements doivent se faire dans l’esprit de l’œuvre et toujours avec l’accord de l’auteur. Ainsi, l’auteur peut collaborer à l’écriture du scénario et valider par la suite beaucoup d’étapes sans intervenir lui-même. "Parfois nous sommes obligés d’inventer des histoires", explique Alexandre Aja. "Ou de rajouter des personnages comme lors de l’adaptation en série de Chien pourri (série romans jeunesse illustrés parue à L’école des loisirs) par France TV : "Comme son nom l’indique, Chien pourri est un personnage pourri et cela ne fait pas de lui un héros flamboyant. On lui a donc opposé Bernard le rat, un personnage vraiment méchant pour qu’il puisse devenir un vrai héros. Une ‘trahison’ bien vécue par Colas Gutman. Nous voulons que les auteurs soient contents", souligne le producteur.