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Compte rendu

"Nous sommes au tout début mais c’était un pas très important". Retour sur les Rencontre franco-arabes des 11 et 12 décembre 2018

décembre 2018

11-12 décembre 2018

22 pays arabes, 4 millions d’habitants, des marchés du livre à la fois similaires et différents. Le monde du livre arabe est d’une grande complexité. Complexe à vivre mais aussi à comprendre, autant pour les éditeurs français que pour les éditeurs arabes venus du Maghreb, du Maschrek et du Golfe pour rencontrer leurs homologues français au CNL.


22 pays arabes, 4 millions d’habitants, des marchés du livre à la fois similaires et différents. Le monde du livre arabe est d’une grande complexité. Complexe à vivre mais aussi à comprendre, autant pour les éditeurs français que pour les éditeurs arabes venus du Maghreb, du Maschrek et du Golfe pour rencontrer leurs homologues français au CNL.

 

"Éditeurs français et arabes ne sont pas au courant de leurs productions respectives", constate Rania Mouallem, directrice des éditions libanaises Dar Al Saqi. "Souvent il n’y a pas de lecteur d’arabe dans les maisons françaises, il est difficile de faire connaître cette production", explique de son côté Anne-Solange Noble, directrice des droits étrangers chez Gallimard.

 

Force est de constater qu’éditeurs français et arabes ne se connaissent pas assez. Mais la très forte participation aux Rencontres franco-arabes, organisées les 11 et 12 décembre par le BIEF avec le soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et en partenariat avec l’Institut français et le CNL montre une volonté de se rapprocher. Près de 100 professionnels du livre arabes et français se sont déplacés au CNL pour suivre les tables rondes consacrées aux lecteurs, à la création littéraire, à la traduction et à la diffusion dans le monde arabe, rencontres qui ont permis de dresser un premier bilan et de pointer les principaux enjeux et difficultés que rencontrent les professionnels du livre arabes aujourd’hui.

 

Si les printemps arabes ont eu des conséquences bien diverses dans les différents pays concernés, les éditeurs se heurtent souvent à des problèmes identiques : absence de diffusion, fragilité du réseau de la librairie, manque de politique du livre, non-respect du droit d’auteur, plagiat et piratage. "Ces rencontres ont permis d’informer nos interlocuteurs français d’une réalité dont ils n’ont pas forcément conscience", explique l’Égyptienne Samar Abou-Zeid, d’Al Karma Publishers.

 

"La censure est un énorme problème"

Autre obstacle majeur dénoncé par les éditeurs : la censure. De la part des autorités, mais aussi de la part de la population dont l’autocensure rend difficile l’abord de certains contenus. "La sexualité, la religion et la politique sont des sujets tabous", explique Rania Mouallem. Les réseaux sociaux jouent un double rôle : à la fois celui de vecteur d’une parole libérée contre la censure et celui de vecteur d’une nouvelle forme d’autocensure, ils sont le reflet des bouleversements qu’a connus le monde arabe ces dernières années.

 

Dans les pays du Golfe, la censure concerne davantage les livres arabes que les livres étrangers. Avec 200 nationalités vivant dans la région, l’offre éditoriale tient largement compte des goûts des expatriés. 80 % des ouvrages sont publiés en anglais, puis en hindi et en français. Seuls 15 % des livres sont publiés en arabe. La littérature et la jeunesse sont des secteurs phares, du fait d’un important lectorat féminin. Pour autant, la production a du mal à passer la frontière, non pas tant avec l’Europe qu’avec les autres pays arabes. L’une des raisons tient à la différence de pouvoir d’achat. "Les livres jeunesse coûtent un tiers de moins en Égypte", souligne l’éditeur émirien Tamer Said. Selon certains éditeurs arabes présents aux rencontres, cela n’empêche pas les pays du Golfe d’être devenus la nouvelle plaque tournante de l’édition arabe.

 

"Les relations avec la France sont ambigües"

Pour Rachid Khaless, fondateur des Éditions Virgule au Maroc, "nos relations sont certes ambigües, mais on peut échanger d’égal à égal". D’autres éditeurs arabes, "moins utopistes", s’étonnent du manque d’intérêt envers leur pays de la part des Occidentaux : "la Tunisie est une sorte de laboratoire politique depuis la révolution de 2011. Il y a une effervescence parmi les gens qui réfléchissent à des sujets qui pourraient intéresser mes collègues du nord", explique Karim Ben Smaïl. L’éditeur se bat également pour récupérer les droits des auteurs tunisiens francophones afin de les publier à des prix raisonnables. "Un livre importé de France et vendu 85 dinars en Tunisie, c’est comme si vous le vendiez 85 euros." Une réalité qui, selon lui, explique pour une grande part la baisse drastique des ventes des livres importés de France dans son pays.

 

La naissance d’une littérature révolutionnaire

"KO, explosion, bouleversement", les qualificatifs des éditeurs pour évoquer les printemps arabes varient – certainement aussi en fonction des conséquences que cette révolte a engendrées dans leur propre pays. Tandis que la Tunisie fait office d’élève modèle sur la voie de la démocratisation, d’autres pays comme la Libye ou la Syrie ont connu des guerres civiles et une émigration massive vers l’Europe, entraînant des bouleversements dans le secteur éditorial. "Les jeunes font preuve d’audace. Ils s’attaquent à tous les interdits et cela donne une littérature révolutionnaire", explique Salam Kawakibi du Centre arabe de recherches et d’études politiques. "Nous avons besoin de partager ces expériences", ajoute l’éditeur syrien Marwan Adwan. "De là est née une littérature nouvelle mais qui ne dépasse pas toujours le témoignage."

 

Un grand plan spécifique pour le monde arabe

"En France nous traduisons un peu de jeunesse, des classiques et de la poésie arabe, mais très peu de sciences humaines", explique Farouk Mardam-Bey, directeur éditorial de la collection Sindbad chez Actes Sud. De l’autre côté de la Méditerranée, Mohamed-Sghir Janjar, directeur adjoint de la Fondation du roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les Études islamiques et les Sciences humaines, estime que sur 30 000 à 40 000 titres publiés par an dans le monde arabe, entre 2 500 et 3 000 sont des traductions. Notamment en sciences humaines avec 1 500 titres traduits d’abord de l’anglais (44,5 %) suivi du français avec 30 % des titres.

 

Pour inciter à plus d’échanges de droits entre la France et les pays arabes, le président du CNL, Vincent Monadé, a annoncé le lancement en 2019 d'un grand plan spécifique au monde arabe et une augmentation de son soutien à la traduction jusqu’à 70 %.

 

De nombreux rendez-vous B to B ont suivi les rencontres et ont permis aux éditeurs français et arabes de poursuivre leur dialogue : "j’ai eu 13 rendez-vous et je pars avec 10 titres français à lire. Nous en sommes au tout début et c’est un long chemin je pense. Il faut continuer à se rencontrer et à s’informer sur nos marchés respectifs. Ce n’est pas facile mais nous avons fait un pas très important", conclut Rania Mouallem.


Katja Petrovic

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