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"D’une rive vers l’autre", pensées sur la traduction par Georges-Arthur Goldschmidt

avril 2018

Le programme Goldschmidt s’est achevé cette année par une rencontre entre les participants et Georges-Arthur Goldschmidt. Parrain du programme depuis dix ans, l’auteur et traducteur de 90 ans n’a pas hésité à venir au BIEF pour partager ses expériences et son regard sur le métier avec les jeunes traducteurs.


"C’est un plaisir chaque fois renouvelé de rencontrer de jeunes traducteurs enthousiastes et décidés. On est quelque peu impressionné d’être entouré de ces visages attentifs et de se dire que chacun est en train de conquérir un texte dans l’autre langue. Quelle aventure, en effet, de faire traverser ce fleuve à la fois précis et indéterminé où le traducteur pourrait si facilement se noyer. Le traducteur part d’une rive vers l’autre où tout doit arriver exactement pareil et complètement changé.

 

Devenir auteur par délégation
 

Le texte est là bien assis dans la "langue de départ" ou la "langue source" et il doit franchir ce fleuve de l’ "entre" où tout se fait et rien ne passe. Le traducteur, tout comme le texte qu’il traduit, est bien établi dans ses deux langues et c’est à lui, qui n’en a aucun besoin, qu’on demande de dire autrement la même chose. Il traduit pour des lecteurs qui ne peuvent traduire et ont besoin, au bout de la chaîne, d’en être finalement là où le traducteur est dès le départ. Le traducteur devient détenteur du sens et c’est à lui que le lecteur fait confiance. Le traducteur est donc bien celui par qui ça passe. Il est l’auteur par délégation.

 

La noblesse du métier

 

L’une des difficultés majeures du métier de traduction littéraire et qui en fait la grandeur, c’est d’être d’autant plus présent qu’on est moins visible ; ne pas se laisser conduire par son interprétation propre, par sa manière de voir, c’est ce qui fait la noblesse de ce métier. Le traducteur ne doit laisser de trace que de l’auteur. Le traducteur est à son comble quand il disparaît, quand il a renoncé de se faire voir. Si l’auteur est libre de son texte, s’il peut écrire ce qu’il veut, il n’en est pas de même de son traducteur qui n’a aucun droit si ce n’est celui de la fidélité. Si la page est souvent trop vide, trop blanche pour l’auteur, elle est bien souvent pleine à ras bord pour le traducteur. Il connaît toutes les "affres" de l’auteur, sans en avoir le droit et c’est à lui qu’on attribue les défaillances de l’auteur. La grandeur du traducteur c’est sa modestie.

 

La fierté de travailler dans l’éphémère


Aucun jeune traducteur n’ignore les dangers "textuels" qu’il affronte, il sait au minimum qu’on ne fera guère cas de lui, mais – et un homme ou une femme avertis en valent deux – il ne sait pas toujours qu’il ne faut jamais aborder une traduction sans un contrat précis signé de l’éditeur. Le traducteur littéraire sait qu’il ne percevra que des miettes et, à moins d’obtenir un contrat d’auteur, sa traduction est vouée à disparaître dans les cinquante ans suivant sa publication car l’éditeur a le droit, selon le contrat, de la modifier ou de la faire refaire. Autre fierté du traducteur, tel les danseurs ou les acteurs, il travaille dans l’éphémère. Le traducteur a parfois le droit à un discret hommage comme celui fait, au sommet des tours, aux bœufs qui ont traîné les pierres de la cathédrale de Laon."


Georges-Arthur Goldschmidt

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