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Portrait et entretien de professionnel

Entretien avec Adriana Hidalgo, directrice d’Adriana Hidalgo Editora

mars 2014

L'histoire d'une maison fondée en 1912, devenue emblématique de la réussite des maisons indépendantes en Argentine, prise dans les vicissitudes de l'histoire de ce pays, et dont l'objectif fut "de nous rendre un peu plus libres", selon les mots d'Adriana Hidalgo.

BIEF : Votre maison d’édition, qui porte votre nom et que vous avez fondée en 1999, est emblématique de la réussite des maisons indépendantes en Argentine. Quels étaient ses objectifs et quels sont aujourd’hui, d’après vous, les points forts de votre maison ?


Adriana Hidalgo : J’appartiens à une famille d’éditeurs, mon grand-père maternel avait fondé en 1912 une librairie et une maison d’édition emblématiques en Amérique latine, que j’ai aimées dès mon enfance et qui ont constitué pour moi – surtout la librairie – un royaume magique. C’était alors un geste naturel que de continuer cette tradition. De plus, en 1977, au début de la dernière dictature, mon père fut kidnappé et fait partie de ces disparus jamais retrouvés. Conjurer l’horreur et le silence en m’exprimant à travers un catalogue composé par les œuvres d’auteurs, d’intellectuels et d’artistes qui contribuent à la pensée, à l’expansion des frontières littéraires et esthétiques de la connaissance, fut alors le motif et l’objectif de la maison. C’est-à-dire celui de nous rendre un peu plus libres.

 

Notre politique éditoriale consiste avant tout à mettre en valeur l’édition et les traductions de la région. En Argentine, nous avons une longue tradition d’excellence dans ces domaines. Nous acquérons les droits de traduction pour tout le territoire de la langue castillane et nous distribuons en Amérique latine et en Espagne. Nous avons aussi la représentation des droits d’auteur des écrivains argentins qui font partie du catalogue, alors chaque année nous participons aux foires du livre de Buenos Aires, de Guadalajara et de Francfort, où nous partageons un stand avec six éditeurs européens dont l’éditrice française Viviane Hamy.

 

Nous avons de très bons rapports avec les éditeurs français, parmi lesquels je voudrais mentionner Gallimard, le Seuil, Christian Bourgois, Mercure de France, Actes Sud, les Éditions Corti. Cette dernière maison a récemment publié trois romans d’un auteur très important de la littérature argentine, Antonio Di Benedetto. Il s’agit des Suicidés, du Silenciaire et de Zama, ce dernier considéré par les critiques comme un chef-d’œuvre de la littérature en langue castillane. Nous espérons que les autres éditeurs qui ont en lecture des œuvres de nos auteurs prendront aussi une décision favorable pour leur traduction !

 

BIEF : Dans votre catalogue, qui couvre de nombreux domaines (fiction, poésie, philosophie, essai, art et livres pour la jeunesse), quelle est la place des traductions de titres français ? Quelle est votre politique éditoriale dans ce domaine ?

 

A. H. : Les traductions occupent plus de la moitié de notre catalogue, particulièrement du français, de l’italien, du portugais et de l’allemand, parmi d’autres… Depuis la langue française, nous pouvons mentionner les écrivains J. M. G. Le Clézio, duquel nous avons publié L’Africain quelques mois avant son obtention du prix Nobel, Antoine Volodine, le poète Henri Michaux, les penseurs Georges Didi- Huberman, Philippe Ariès, Marc Augé, Nicolas Bourriaud, Jean-Louis Déotte, Anne Cauquelin, les écrivains et illustrateurs de livres pour la

jeunesse comme Magalie Le Huche, Marie Vaudescal, Jean-Marc

Mathis, pour ne citer qu’eux. Deux de nos plus chers poètes habitent depuis toujours en France – Silvia Baron Supervielle et Arnaldo Calveyra –, et ils participent au Salon du livre de Paris.

 

Dans ce domaine,  nous pratiquons une politique d’auteurs,  en continuant, si possible, la traduction des œuvres de ceux que nous éditons, à mesure qu’elles sont publiées dans leur langue d’origine. Avec la collaboration du très actif Service culturel de l’ambassade de France, nous obtenons presque toujours une aide pour la traduction et nous organisons des présentations de livres, surtout en Argentine et Espagne.

 

BIEF : Que dire de la réception du lectorat argentin, de ses affinités avec cette offre d’auteurs français ?

 

A. H. : Je crois qu’il y a une bonne réception du lectorat en langue castillane des auteurs français. Mais je trouve que, dans le cas particulier de notre catalogue, il y a un intérêt plus marqué des lecteurs pour les essais philosophiques ou esthétiques que nous leur proposons. Dans l’autre sens, je ne peux pas parler des lecteurs français, mais je constate que les éditeurs européens sont plus intéressés par la fiction que par la pensée latino-américaine.

 

Le travail éditorial me rend heureuse et je suis fière du groupe de professionnels créatifs et engagés que nous avons consolidé. L’éditeur Fabian Lebenglik ; l’éditrice de la collection pour la jeunesse Clara Huffmann, ma fille et la quatrième génération d’éditeurs, qui participera au salon ; la dessinatrice Gabriela Di Giuseppe ; une équipe de formidables traducteurs, lecteurs et correcteurs ; sans oublier les comptables, faute desquels une maison d’édition peut tomber dans le chaos ! Grâce à eux, ce qui était un projet quinze ans avant est maintenant une réalité concrète qui peut perdurer dans le temps.


Propos recueillis par Catherine Fel

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