Articles

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur LinkedIn

Article

Panorama de l’édition argentine : un exemple de réussite

mars 2014

L’édition argentine a été durant des décennies, et reste encore aujourd’hui, un véritable exemple de réussite.
Panorama par Isabelle Berneron (Institut français d'Argentine) suivi de la présentation du Salon international du livre de Buenos Aires par Gabriela Adamo (Fondation du livre et de la Foire de Buenos Aires).

L’édition argentine a été durant des décennies, et reste encore aujourd’hui, un véritable exemple de réussite.

Elle disposait pour cela d’une élite intellectuelle qui a joué un rôle fondamental. Par ailleurs, pendant la guerre civile espagnole, puis les années franquistes, l’Argentine est devenue le véritable centre de l’édition en langue espagnole : des éditeurs de renom choisirent l’Argentine pour y vivre, développer leurs activités et exporter vers l’Espagne une quantité importante d’ouvrages. Si l’élite intellectuelle argentine a joué un rôle primordial dans le développement de l’édition en langue espagnole, nous connaissons également son rôle dans la promotion de la littérature française. À ce titre, l’un des exemples les plus emblématiques de ce succès éditorial est Sudamericana, maison fondée par Victoria Ocampo, qui a été jusque dans les années 1970 la maison hispano-américaine de référence.

 

Depuis les années 90, le paysage éditorial s’équilibre entre grands groupes et maisons indépendantes

Les années 1990 ont été celles de l’absorption des maisons indépendantes argentines par les grands groupes (filiales de groupes internationaux et espagnols). La mythique Sudamericana a été achetée par Bertelsman-Random House-Mondadori. Le groupe Planeta, quant à  lui, a acquis les maisons traditionnelles Paidós, Emecé, Minotauro et Tusquets. Enfin, le groupe Santillana a acheté Alfaguara, Altea et Taurus.

 

L’Argentine a alors fait face à une situation inédite : à la fin des années 90, une vingtaine de groupes éditoriaux, pour la plupart étrangers, contrôlaient 85% du marché du livre argentin. Toutefois, au  lendemain  de  la  crise  économique  (après   2001), de nombreuses maisons d’édition, petites ou moyennes, furent créées. L’édition indépendante retrouva alors toute sa vitalité et, aujourd’hui, elle est devenue rentable et réalise 50% (en nombre de titres publiés) de la production éditoriale. Ces  éditeurs dits "indépendants" peuvent être classés en trois groupes :

- Les maisons dites "traditionnelles" qui ont survécu aux années 90 : les éditions de la Flor (créées en 1966) ou les éditions Colihue, par exemple.

- Les maisons d’édition fondées dans les années 90 pour contrecarrer l’offensive des groupes étrangers. Elles se définissent par la mise en place d’un catalogue cohérent basé sur un travail de long terme avec les auteurs. Parmi elles, les maisons Adriana Hidalgo ou Beatriz Viterbo.

- Enfin, des maisons d’édition créées après la grande crise de 2001-2002. Certaines de ces maisons sont très jeunes : elles existent depuis deux, trois ou cinq ans mais sont extrêmement dynamiques comme Marea, Bajo la Luna, Caja Negra, La Bestia Equilátera ou Eterna Cadencia. En dépit de leur jeune âge, certaines de ces maisons sont déjà solidement implantées.

 

Actuellement, le marché du livre argentin est encore en expansion et les changements entamés depuis le début des années 2000 – stabilisation de la concentration éditoriale de la part des grands groupes et développement d’une édition indépendante dynamique et solide – se poursuivent.

 

Une production éditoriale en hausse

D’après les statistiques de la Chambre argentine du livre (CAL), le nombre de titres publiés a plus que doublé en un peu plus de 10 ans, passant de 12 592 en 1999 à 27 706 titres en 2012 (il est à noter une baisse de 4% entre 2011 et 2012).

 

Sur cette même période, le nombre d’exemplaires vendus n’a toutefois augmenté que de 27% (selon PROMAGE – Proyectos Mandato y Gestión).

 

La production du nombre d’ouvrages est estimée à 130 millions d’exemplaires (soit +21% par rapport à 2010). Sont inclus dans ces statistiques les ouvrages commerciaux, mais également des publications non commerciales (notamment religieuses). En réalité, si le nombre de titres a augmenté ces dernières années, la demande est relativement stable : le tirage moyen par titre a diminué et l’offre est de plus en plus diversifiée. En effet, selon Jorge Gonzaléz, directeur commercial de la plus grande chaîne de librairies Yenny – El Ateneo, les 100 titres les plus vendus ne représentent que 14% de son chiffre d’affaires.

 

Un intérêt fort pour les sciences humaines

En quantité de titres publiés (en 2012), la CAL souligne que la fiction reste prédominante (40%, ce chiffre incluant la littérature jeunesse), suivie des sciences humaines et sociales et droit (28%), puis des livres scolaires (9%).

Cependant, en nombre d’exemplaires produits, Il est à noter que les titres scolaires occupent depuis 2012 la seconde place, devant les sciences humaines et sociales, après la fiction (en incluant la littérature jeunesse). Les grands groupes (Planeta, Random, Santillana, Norma) et leurs succursales concentrent près de 42% de la production éditoriale de fiction.

En Argentine, le tirage moyen est de 1 000 exemplaires pour les petites maisons, 3 000 pour les maisons de taille moyenne, et les tirages de plus de 5 000 exemplaires restent l’exception.

 

L’Argentine est un pôle essentiel dans la traduction d’ouvrages vers l’espagnol, après l’Espagne mais avant le Mexique. Selon la CAL, la langue principalement traduite est l’anglais, suivi du japonais et en troisième place du français.

Le Plan d’aide à la publication (PAP) Victoria Ocampo, bien connu des éditeurs, a permis de maintenir la place des ouvrages français traduits, notamment en sciences humaines et sociales. Depuis sa création en 1985, ce plan a soutenu la publication de près de 700 ouvrages.

De son côté, le gouvernement argentin a mis en place des systèmes d’aides aux éditeurs, le Programa Sur, qui a pour ambition de favoriser la traduction d’ouvrages argentins vers d’autres langues.

 

Toutefois, depuis quelques mois, les éditeurs argentins sont confrontés à une situation économique difficile, dans la mesure où l’achat et le transfert de devises étrangères sont limités et contrôlés. Ils rencontrent donc la plus grande difficulté à payer les droits des ouvrages qu’ils souhaitent acquérir.

 

Un cadre législatif à l’appui du secteur

Protection des librairies et des petits éditeurs

Depuis 2001, les éditeurs bénéficient d’une loi de Promotion du livre et de la lecture, qui a considérablement favorisé le secteur en exonérant la vente de livres de la TVA.

Par ailleurs, la loi du prix unique de vente de livres, en vigueur depuis 2001 (inspirée de la loi française), protège les petites librairies de la concurrence des supermarchés. Le prix du livre est établi par l’éditeur, avec la possibilité de faire une remise au public allant jusqu’à 10% du prix fixé.

 

Enfin, en ce qui concerne le livre scolaire, quelques maisons d’édition font des ventes directes auprès des établissements scolaires ou des associations de parents d’élèves, avec des remises plus élevées, une pratique qui porte préjudice aux librairies.

 

Barrières commerciales non tarifaires : protection de l’imprimerie

En 2011, en raison de la balance commerciale déficitaire du secteur (-71 millions de USD selon le secrétariat du Commerce), le gouvernement national a pris deux mesures. Tout d’abord, un accord-cadre avec les deux chambres professionnelles du livre visant à équilibrer les exportations et les importations.

En effet, en raison de l’augmentation des prix, des éditeurs avaient choisi d’imprimer des livres conçus en Argentine dans d’autres pays (Espagne, Colombie mais aussi Chine), provoquant ainsi une augmentation de près de 400% des importations entre 2001 et 2011. Par ailleurs, une résolution normative du secrétariat au Commerce détermine la teneur maximale de plomb dans l’encre des publications (moins de 0,06% pour 100 g), une mesure visant à réduire les importations ne respectant pas ces normes argentines.

 

Un important réseau de librairies

Il n’existe pas de diffuseurs en Argentine. Aussi, la distribution est-elle assurée par quelques éditeurs/distributeurs peu nombreux qui gèrent le stock d’un grand nombre de petites maisons d’édition.

La commercialisation des livres sur tout le territoire argentin se fait par différents canaux de vente (librairies, supermarchés, kiosques, clubs de lecteurs, Internet).

L’Argentine dispose d’un important réseau de librairies, unique en Amérique du Sud, avec près de 650 librairies dans l’ensemble du pays, dont 450 à Buenos Aires.

Le réseau des supermarchés offre également de grands espaces pour la diffusion (450 points de vente), en proposant essentiellement des best-sellers, des livres pratiques, des ouvrages de développement personnel et des ouvrages pour la jeunesse. Les kiosques constituent également des points de vente importants, particulièrement pour la bande dessinée, il en existe 8 000 dans tout le pays. Selon le bureau de consulting PROMAGE, les ventes en librairie représentent 60% des ventes totales des ouvrages commerciaux.

 

En 2011, le marché total des ventes a été évalué à 2,7 milliards de pesos (soit 504 millions d’euros) et à environ 50 millions d’exemplaires vendus, ce qui représenterait une hausse de 21% du chiffre d’affaires global du secteur. Les ventes de livres importés représentent quant à elles à peine 20% des livres vendus dans le pays.

 

Les achats effectués par le secteur public sont estimés à 280 millions de pesos, soit 10% du marché total argentin. La majorité de ces achats (55%) est concentrée sur les livres scolaires et éducatifs ; un pourcentage faible (10%) correspond, quant à lui, aux achats destinés aux bibliothèques publiques.

 

Il est à noter que, depuis quelques années, l’État argentin achète un très grand nombre d’ouvrages pour les écoles primaires. En 2011, selon le ministre de l’Éducation, M. Simeoni, quasiment 13 millions d’ouvrages ont été ainsi acquis. Ces achats permettent de maintenir une demande stable, mais engendrent d’autres difficultés pour les éditeurs (ces achats représentent pour certains d’entre eux la majorité de leurs ventes).

Il est annuellement vendu en Argentine 1,2 livre par habitant (chiffre similaire au Mexique, contre 5,2 en Espagne ou 5,7 en France).

 

Nouveaux supports : le numérique et Internet

Les professionnels du livre en Argentine sont préoccupés par les évolutions liées au numérique et sont particulièrement intéressés par le cadre législatif français. Toutefois, cette évolution reste encore marginale, dans la mesure où les publications en format papier représentent encore 94% de la publication totale. Plus que le numérique, le piratage est un sujet qui les concerne plus directement, et principalement la reprographie illégale, phénomène très développé en Argentine.

 

Il n’existe pas de politique publique pour favoriser la numérisation des ouvrages anciens ou universitaires : certaines universités ont privilégié le format PDF et non pas la digitalisation des ouvrages.

L’offre des supports type tablette ou e-book est encore restreinte et à un prix relativement élevé pour le marché argentin. Ainsi, le seul e-book qui est commercialisé dans la principale chaîne de supermarchés est le modèle Papyrus, sa valeur est de 1 179 pesos quand le salaire minimum est de 3 000 pesos. Selon Ezequiel Kremer, fondateur de l’école des libraires de Buenos Aires, le pourcentage du chiffre d’affaires des achats "on line" et du livre numérique des dix principales librairies ne dépasse pas les 5%. Ce faible taux peut être expliqué, selon Gabriela Adamo, directrice de la Fundación El Libro, par une certaine méfiance des paiements on line et une encore faible bancarisation des ménages argentins. Cependant, Amazon vient d’ouvrir des bureaux à Buenos Aires dans le but de développer ce marché.

 

Les grands défis de l’édition en Argentine

L’édition espagnole et les grands groupes étrangers présents en Argentine misent sur une grande rotation des titres, et il est évidemment très difficile pour les éditeurs indépendants de les concurrencer sur ce terrain. Les petites et moyennes maisons d’édition argentines se dirigent de plus en plus vers une stratégie de long-sellers.

 

Le défi aujourd’hui est de constituer un catalogue solide composé d’ouvrages qui se vendent moins vite mais durablement.

L’autre grand défi que doivent relever les éditeurs argentins est celui de l’exportation des ouvrages. En effet, les éditeurs doivent viser l’ensemble du marché de langue espagnole pour être rentables, et doivent ainsi faire face aux problèmes de circulation des ouvrages sur le continent latino-américain et dans l’ensemble de la zone hispano-américaine. Toutefois, cette stratégie est actuellement difficilement réalisable car les éditeurs sont confrontés à un taux de change défavorable à l’exportation, à une inflation annuelle de plus de 25% et à une situation oligopolistique des producteurs de papier.

 

Aussi, si l’édition en Argentine est un secteur très dynamique, elle est toutefois confrontée à des difficultés conjoncturelles et structurelles.

 

* Sources : Il n’existe pas de statistiques officielles en Argentine de l’industrie du livre. Cependant, deux institutions fournissent des données objectives. La Chambre argentine du livre (CAL), institution qui regroupe près de 500 membres de l’édition indépendante et travaille sur les ISBN enregistrés annuellement pour définir la production de nouveaux titres. Le bureau de consulting PROMAGE – Observatorio de la industria editorial, qui propose des études pour les principaux groupes d’édition et travaille à partir des statistiques douanières et commerciales.

 

Isabelle Berneron (Adjointe pour la promotion et la diffusion du livre à l’Institut français d’Argentine)

 

 

Le Salon international du livre de Buenos Aires

Buenos Aires est une des villes les plus littéraires du monde, elle s’enorgueillit de voir grandir chaque année, dans un de ces plus beaux quartiers - Palermo -, une autre ville littéraire très particulière : le Salon du Livre. C’est aux abords du Rio de la Plata que, pendant trois semaines en automne, se déroulent les rencontres entre auteurs, éditeurs, libraires, distributeurs, enseignants, bibliothécaires et artistes. Avec un peu plus d’un million de visiteurs, ce salon est devenu la plus grande manifestation littéraire dans la communauté hispanophone et compte parmi les cinq plus importants du monde.

Cet événement est organisé depuis 1975 par la Fundación el Libro, association à but non lucratif, constituée de tous les secteurs qui composent la chaîne de production éditoriale : auteurs, éditeurs, imprimeurs et libraires.

 

Son but principal est de promouvoir le livre et les habitudes de lectures à travers l’Argentine et toute l’Amérique latine. Mais il s’agit aussi de participer à l’amélioration du marché de l’édition et à une plus grande professionnalisation de ses acteurs. Ainsi, avant d’ouvrir ses portes au public, le salon accueille les professionnels du livre, pour qui il devient un espace unique d’échange et de formation. Depuis 30 ans, les rencontres entre professionnels permettent et stimulent les contacts commerciaux à travers des réunions entre éditeurs, bibliothécaires et libraires du monde entier.

 

Chaque année, le nombre de visiteurs internationaux ne cesse d’augmenter.

Sans aucun doute, Buenos Aires est la porte d’entrée pour un marché de lecteurs avides et en pleine expansion. Introduire un auteur ou une collection dans ce salon signifie conquérir un terrain que, depuis très longtemps, Madrid et Barcelone ne parviennent plus à satisfaire. Nos éditeurs, traducteurs, libraires et critiques, ont développé une grand savoir-faire en matière de sélection et de commercialisation de titres traduits. Comme l’atteste la longue et ambitieuse liste de livres publiés grâce au soutien du Programme Victoria Ocampo de l’ambassade de France à Buenos Aires.

 

Depuis un an, le salon de Buenos Aires a lancé un programme : "Ville mise à l’honneur". En 2013, c’est Amsterdam qui s’est distinguée, avec la participation prestigieuse de Cees Nooteboom et d’Aron Grunberg. Cette année, c’est São Paulo qui a été choisie et y présentera sa littérature périphérique. Au regard des liens existant entre la France et l’Argentine, ne doutons pas que bientôt une ville française traversera, au moins pendant trois semaines, de l’autre côté de l’Atlantique.

 

Gabriela Adamo, directrice exécutive de la Fondation du livre et de la Foire de Buenos Aires



Précédent Suivant

Plus d'infos