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Questions à Hinnerk Bruhns, responsable de la coopération scientifique européenne à la Fondation Maison des sciences de l'homme

septembre 2008

Quels sont les enjeux scientifiques de la traduction dans le domaine des sciences humaines et sociales?
La Fondation Maison des sciences de l'homme et les Editions de la Maison des sciences de l'homme
La Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH) développe depuis 1984 un programme de traductions d’ouvrages allemands en français – dont des publications de la MSH dans la collection « Bibliothèque allemande » – et d’ouvrages français en allemand, soutenu par le Goethe Institut (Inter Nationes), le Centre national du livre (CNL) et le Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD). Un comité de lecture, réunissant des chercheurs français et allemands de différentes disciplines définit les orientations du programme et le choix des ouvrages à traduire.
En 2008, la FMSH, en coopération avec des partenaires allemands et français, a complété ce programme par une revue électronique, publiant des traductions d’articles de référence parus auparavant dans des revues françaises et allemandes en sciences sociales et humaines : http://trivium.revues.org.
 
Questions à Hinnerk Bruhns
Directeur de recherche au CNRS, responsable de la coopération scientifique européenne (et du programme franco-allemand) au sein de la direction scientifique de la FMSH.
Hinnerk Bruhns intervenait lors de cette journée sur les échanges franco-allemands, dans le domaine de l’histoire.
 
BIEF : Au-delà des échanges commerciaux, qui ont bien sûr leur importance, quels sont les enjeux scientifiques de la traduction dans un domaine comme celui des sciences humaines et sociales ?
Hinnerk Bruhns : Les sciences humaines et sociales ne peuvent se développer et contribuer à la compréhension du monde actuel, dans sa dimension historique, sans des échanges et coopérations au-delà des frontières. Pour accéder à la production scientifique d’autres pays, des traductions de grande qualité sont indispensables. Dans les sciences humaines, la conceptualisation dans les langues (nationales) est partie intégrante des objets de recherche. D’où la nécessité de concevoir la traduction dans ce domaine comme une activité de recherche. Lire des ouvrages en langues étrangères devient de plus en plus rare à l’université (et tout particulièrement en Angleterre et aux États-Unis !). La faiblesse du secteur des traductions en France risque de couper de plus en plus l’enseignement supérieur de l’évolution de la recherche internationale. Cela est particulièrement vrai pour les échanges entre l’Allemagne et la France. Au lieu d’un échange croissant entre les principaux pays européens, on assiste à un cloisonnement franco-français, d’un côté, et au développement d’un espace anglophone, de l’autre (auquel les chercheurs allemands participent très largement).
 
BIEF : Comment définiriez-vous la production éditoriale en sciences humaines et sociales dans chacun des deux pays ? Leurs points de rencontre et leurs divergences ?
H. B. : Mon impression générale est que cette production éditoriale est actuellement plus vivante et diversifiée en Allemagne qu’en France. Mais il faudrait certainement regarder les choses de plus près et différencier selon les secteurs et les types de publications. Je pense qu’il faudrait entreprendre un jour une véritable comparaison de la production et de ses conditions dans les deux pays, tant du point de vue économique que de celui du rapport entre le monde académique et celui des éditeurs. Ce qui distingue particulièrement la production est la façon de travailler des éditeurs. En France, des universitaires sont souvent directeurs de collection. En Allemagne, ce sont en général des professionnels du livre, avec une bonne formation dans ces disciplines, souvent un doctorat, mais qui ne poursuivent plus une carrière académique. On peut émettre l’hypothèse (mais il faudrait la vérifier empiriquement) que ce système se traduit par une politique éditoriale plus stable dans la moyenne ou longue durée.
 
BIEF : Reste-t-il à votre avis de grandes lacunes de traduction ? Lesquelles ?
H. B. : Les lacunes sont importantes, et plus en France qu’en Allemagne. Cela concerne à la fois des ouvrages clés d’auteurs traduits par ailleurs (on citera la deuxième partie d’Économie et société de Max Weber, qui contient, notamment, la sociologie de la domination, inaccessible en français) et de grands auteurs comme Niklas Luhmann, pratiquement inconnu en France, mais essentiel pour comprendre ce qui se fait dans les sciences sociales allemandes aujourd’hui. Et cela concerne également une grande partie de la production des historiens allemands de la deuxième moitié du XXe siècle, qui avaient renouvelé la pratique historique par un recours systématique aux sciences sociales.
C’est là que le programme de la « Bibliothèque allemande » des Éditions de la MSH prend toute son importance. Elle publie des textes fondamentaux des SHS allemandes en traduction française que les éditeurs privés ont délaissés.
 
 
Les différents systèmes d'aide à la publication, en France et en Allemagne
 
EN FRANCE
 
Les aides à la traduction du Centre national du Livre
  • du français vers l’allemand pour des ouvrages de sciences humaines et sociales
    Sur les cinq dernières années, ce sont 105 ouvrages qui ont bénéficié de cette aide. En 2007, des ouvrages de Pierre Bourdieu, Luc Ferry, Jean Starobinski, Paul Veyne, Jean-Claude Kaufmann, Philippe Charlier, Jean-Luc Nancy, Bernard Stiegler, Pierre Bezbakh, Philippe Despoix, Maurice Blanchot, Jean Bollack et Jean-Michel Quinodoz ont été concernés par cette aide.
     
  • de l’allemand vers le français pour des ouvrages de sciences humaines et sociales
    Depuis 2004, ce sont une quinzaine d’ouvrages qui ont bénéficié de cette aide. En 2007 : Nous ne savions pas de Peter Longerich et en 2008 : L’Islam de Hans Kung.
     
  • Bourses de séjour de traducteurs étrangers
    Elles leur offrent la possibilité de séjourner en France durant un à trois mois afin d’y mener à bien un projet de traduction d’ouvrages français de sciences humaines. Sur les 20 dernières années (1986 à 2006), sept ouvrages ont été traduits de l’allemand dans ce cadre.

Les aides accordées dans le cadre du programme d’aide à la publication RILKE du ministère des Affaires étrangères
De 1990 à 2008, cette aide a été accordée pour la traduction et la publication en allemand d’une quarantaine de titres français, dont plusieurs ouvrages de Jean Baudrillard et Louis Marin.

  
EN ALLEMAGNE
 
Le programme du Goethe-Institut
Créé il y a trente ans, le programme du Goethe-Institut d’« aide à la traduction d'ouvrages allemands dans une langue étrangère » a pour objectif de rendre accessibles aux lecteurs non germanophones des contributions scientifiques importantes.
 
Sont soutenues en priorité les œuvres portant sur :
  • démocratie, État de droit et société civile ;
  • problématiques actuelles mondiales et régionales ;
  • dimension culturelle de l'idée européenne ;
  • travail de mémoire sur le passé national-socialiste de l'Allemagne ;
  • la littérature allemande contemporaine ;
 
DVA Stiftung (filiale de la Fondation Bosch)
Cette fondation décerne tous les deux ans le prix Raymond Aron pour les traductions franco-allemandes en sciences humaines et sociales.
 


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