En 1657, Nicolas Poussin peint une Fuite en Égypte au voyageur couché.
La toile disparaît ensuite pendant plusieurs siècles. Dans les années 1980,
plusieurs versions du tableau réapparaissent, de grands experts mondiaux
s'opposent, des laboratoires d'analyse et des tribunaux s'en mêlent et
nombreux sont ceux - galeristes, experts, directeurs de musée, conservateurs,
etc. - à vouloir authentifier et s'approprier le chef-d'oeuvre.
L'une des versions sera finalement acquise pour 17 millions d'euros par
le musée des Beaux-Arts de Lyon.
De quoi nous parle cette histoire aux allures d'intrigue policière ?
Pourquoi une telle débauche d'énergie, de controverses et d'argent
pendant autant d'années ? Qu'est-ce qui fait la valeur - économique, esthétique
- d'une oeuvre d'art ? Et d'où vient cette aura attachée aux créateurs
et aux oeuvres ?
Bernard Lahire montre que le sacré n'a jamais disparu de notre monde
mais que nous ne savons pas le voir. La magie sociale est omniprésente
dans le domaine de l'économie, de la politique, du droit, de la science ou
de l'art autant que dans celui de la mythologie ou de la religion, car
elle est l'effet d'enchantement produit par le pouvoir sur ceux qui en
reconnaissent tacitement l'autorité. C'est cet enchantement qui transforme
une sculpture d'animal en totem, un morceau de métal en monnaie,
une eau banale en eau bénite ; et c'est cette même magie sociale qui fait
passer un tableau du statut de simple copie à celui de chef-d'oeuvre.
Puisant avec érudition dans les vastes domaines du savoir anthropologique,
historique et sociologique, ce livre interroge, grâce à une série de
régressions historiques, les socles de croyance sur lesquels nos institutions
et nos perceptions reposent. Questionnant radicalement l'art et son
ambition émancipatrice, il révèle les formes de domination qui se cachent
derrière l'admiration des oeuvres.