«Il n'y a que les martyrs pour être sans pitié ni crainte et,
croyez-moi, le jour du triomphe des martyrs, c'est l'incendie
universel.» Cette sombre prophétie de Jacques Lacan en
1959 décrirait-elle le monde des années 2010 ? Les guerres
qui ravagent le Moyen-Orient menacent-elles d'aspirer
toutes les désillusions politiques et les révoltes désespérées
de la génération qui vient ? La «radicalisation de l'islam» est-elle
à l'origine de ce drame et des actions terroristes dans
le monde entier ?
Pour répondre à ces questions, Alain Bertho déplace les
cadres d'explication habituels. Il montre que le chaos qui
pointe est très loin d'avoir le djihad pour seul moteur : c'est
d'abord l'ébranlement de la légitimité des États par la mondialisation,
la crise généralisée de la représentation politique,
la recherche d'une légitimité sécuritaire par les puissants qui
ont fait le lit de la violence du monde. Et qui expliquent pourquoi,
depuis les années 2000, se multiplient sur tous les
continents des émeutes et des attentats aux motivations
multiples, dont l'auteur brosse ici un tableau saisissant.
Quand la fin du monde semble à nombre de jeunes plus
crédible que la fin du capitalisme, la révolte tend à prendre
les chemins du désespoir et du martyre. La clôture de l'hypothèse
révolutionnaire a ainsi ouvert la voie à la rage des
enfants perdus du chaos politique et humain de la mondialisation
néolibérale. Toutes les polices et les armées du
globe ne pèseront guère devant cette fascination de la mort.
Seul peut y répondre l'espoir collectif en un autre possible,
fondé sur une nouvelle radicalité tournée vers l'avenir. Ses
prémisses sont là, partout dans le monde. L'enjeu est de les
faire grandir.