Volontiers cité par les spécialistes de l'image, notamment à travers son expression « formule de pathos », Aby Warburg (1866-1929) fait figure tout à la fois de référence et de légende. Élève de Justi, d'Usener et de Lamprecht, loin des attributionnistes, esthètes ou formalistes de son temps - fussent-ils Berenson, Wölfflin ou Croce -, il a ouvert nombre de voies (introduction des sciences humaines dans la compréhension de l'art, interrogation sur le pouvoir de l'image, contextualisation culturelle...) et il demeure un aiguillon des plus stimulants pour l'écriture de l'histoire de l'art au XXIe siècle.
À partir des importantes sources publiées en allemand et en italien, des inédits consultables aux Archives de l'Institut Warburg de Londres et des correspondances, cet ouvrage expose le développement de la pensée et de l'action d'Aby Warburg dans les divers domaines où il les a appliquées et où on ne l'attend pas toujours : l'histoire de l'art, certes, l'édification d'une bibliothèque privée de réputation mondiale, mais aussi la politique culturelle et la politique européenne. Homme du XIXe siècle, « Juif de sang, Hambourgeois de naissance et Italien de coeur », témoin du « monde d'hier », dont il a fréquenté les acteurs, il a vécu dans la gloire de l'Allemagne wilhelminienne et éprouvé au plus profond de son être l'effondrement de la République de Weimar.
L'unique biographie existant à ce jour, en anglais, dite « intellectuelle », par Ernst Gombrich, passe sous silence l'épisode psychotique du savant. Marie-Anne Lescourret, pour sa part, entend considérer l'ensemble de la vie et l'oeuvre d'Aby Warburg, profondément imbriquées, comme ce dernier le revendiquait lui-même : « parfois il me semble que j'essaie comme psycho-historien de déceler la schizophrénie du monde occidental à partir de ses images, et comme dans un réflexe autobiographique ».