La première fois que je suis allé à Venise je n'étais pas encore né.
Papa et Maman font partie de ces jeunes gens de bonne souche qu'on
envoyait là-bas pour faire la noce après les cérémonies d'usage.
Quoique pas né j'étais j'avoue déjà conçu et bien accroché dans le
ventre de Maman tout secoué de hoquets et de soubresauts, dégoûtée
qu'elle était et vomissante entre les gondoles : une première famille
de Papa était en construction à son corps défendant et sur des bases
heureusement pour lui aussi fragiles que les fondations vénitiennes
laminées sous l'érosion de l'acqua alta. J'étais conçu mais pas désiré
j'avoue : finalement je m'y suis pris tout seul pour le désir aussi et j'ai
envie de parler à propos de ma venue au monde, une fois les eaux
perdues, une fois l'acqua alta retirée, d'immaculée conception : pas
moins. En intention en tout cas - c'est-à-dire abstraction faite de
la vie dissolue de Maman - or c'est l'intention qui compte.
D'une voix discrète où l'humour pointe toujours, tour à tour
tendre ou cruelle et jouant sur les cordes de la mémoire, Comme
un charme est la chronique des émotions d'une enfance solitaire.
Entre douleur, émerveillement ou sentiment d'abandon, une
singulière musique qui parcourt le temps.