L'impartialité de l'ordre juridique est le principe cardinal de la liberté
moderne, qui n'a vu le jour qu'avec la destruction de la société des statuts et
des privilèges. «Equal rights for all, privileges for none» a été le mot
d'ordre de la révolution américaine, de Jefferson à la présidence Jackson
(1829-1837). Très tôt cependant, on a compris que, à l'intérieur d'un ordre
juridique impartial, les différences de situation, d'accès aux ressources naturelles,
donnaient lieu à des différences de pouvoir privé qui mettaient en péril
l'autonomie de certains. Les Américains ont été confrontés à ce dilemme au
lendemain de la guerre civile, lorsque l'industrialisation menaçait de donner
naissance aux rapports du salariat que la république des propriétaires indépendants
avait prétendu répudier pour toujours. Fallait-il maintenir le langage
classique dans sa pureté - l'égalité rigoureuse des droits - et considérer
comme légitimes toutes les inégalités auxquelles ces droits impartiaux
pourraient donner naissance en les tenant pour l'effet inévitable des différences
de talents entre les individus ? Ou fallait-il au contraire - comme l'ont
soutenu les progressistes jusqu'au New Deal - remodeler sans cesse le
droit pour maintenir un équilibre relatif de pouvoirs entre les acteurs privés ?
Fallait-il définir la liberté par la commune soumission à des règles impersonnelles,
ou bien par la possibilité donnée à chacun - qui suppose une
sorte de «personnalisation» du droit ou de discrimination positive avant la
lettre - de ne pas être exposé aux pressions excessives du pouvoir privé ?