«Nous, peuples d'Afrique, autrefois colonisés et à présent
recolonisés à la faveur du capitalisme mondialisé, ne cessons
de nous demander : que sommes-nous devenus ?
Les pays riches ont peur de notre présence quand elle
n'est pas susceptible d'ajouter à leur avoir, peur de nos
différences quand elles sont trop visibles. Inutiles, les
nouveaux naufragés entassés sur des embarcations de
fortune, supposées les conduire vers la terre ferme de
l'Europe. Invisibles, les désespérés qui traversent l'enfer du
désert. Indésirables, ceux qui, menottes aux poignets, sont
reconduits dans leur pays d'origine.
Mais l'humiliation du continent africain ne réside pas
uniquement dans la violence, à laquelle l'Occident nous a
habitués. Elle réside également dans notre refus de
comprendre ce qui nous arrive. Car il n'y a pas d'un côté une
Europe des valeurs et du progrès et de l'autre une Afrique
des ténèbres et des malheurs. Cette vision, que certains
d'entre nous ont tendance à intérioriser, vole en éclats dès
l'instant où l'on touche du doigt les mécanismes de la
domination, de la paupérisation et de l'exclusion.
Le défi auquel nous faisons face aujourd'hui, c'est
d'imaginer des perspectives d'avenir centrées sur les êtres
humains. Une réappropriation de nos destins qui fait appel
à nos langues, à nos repères, à des valeurs de société et de
culture qui nous sont familières.»
Aminata Traoré