Certains sortent d’une histoire de couple et viennent renouveler l’approche de l’autre sexe dans une ambiance distrayante. D’autres trouvent dans le corps à corps une façon d’y être sans pour autant se livrer. Attirés par le contact, ils se tiennent sans mal à distance de toute relation sexuelle, mais travaillent tous les signes du sentiment amoureux. Le tango représente un terrain privilégié de renégociation entre les sexes où l’altérité des genres est brassée dans un tourbillon incandescent. Les rôles distinctifs sont des laboratoires de construction du masculin et du féminin. Soutenue par des parures vestimentaires, il exprime tous les archétypes d'une relation de couple conventionnelle. Si les schémas de la domination masculine ont la peau dure, ils sont partiellement battus en brèche par la nature du public féminin qui est majoritairement issu de catégories socioprofessionnelles supérieures, et doté d'une évidente autonomie. Renégociés et pervertis, ces archétypes imprègnent la sociabilité du bal qui demeure une manière de construire une identité en dehors des techniques d’inscription corporelles (tatouage, piercing), des rituels institutionnels (mariage) et du contexte familial ou professionnel. À la périphérie du sentiment amoureux, ils matérialisent corporellement une manière de « marcher ensemble ».
Christophe Apprill est sociologue, docteur de l’EHESS. Il est membre du laboratoire Sociologie, histoire et anthropologie des dynamiques culturelles (SHADYC, UMR 8562). Ses recherches portent sur l’histoire sociale du bal et la place de la danse dans la sociabilité et la culture en Europe occidentale et en Amérique latine. Il est l’auteur de Le tango argentin en France (Anthropos, 1998), et de Sociologie des danses de couple (L’Harmattan, 2005). Il enseigne actuellement au département Danse de l’Université de Nice.