Nul désormais ne saurait l'ignorer :
c'est à l'automne 1960 que s'est constitué
le petit groupe de bricoleurs des lettres,
aussitôt baptisé Séminaire de Littérature
Expérimentale (ou SLE) - sans savoir que
cette dénomination serait fort éphémère.
L'occasion ? La décade de Cerisy-la-Salle
consacrée, pour la première fois et sous
un titre éloquent, à l'oeuvre de Raymond
Queneau : Une nouvelle défense
et illustration de la langue française.
Le contexte historique ? Le début des années
soixante du siècle vingtième ; on s'en
souvient peut-être, un moment de
la littérature française marqué par la remise
en question d'une double série d'illusions
héritées de l'âge précédent : celles
du surréalisme et celles de l'engagement
de type sartrien. Les responsables ?
Un couple, comme il se doit : Raymond
Queneau, écrivain dont l'importance
commençait alors - enfin ! - à être reconnue,
et son ami et complice intellectuel, François
Le Lionnais, sans doute le plus prodigieux
collectionneur de savoirs de sa génération.
L'un et l'autre réalisaient alors un rêve
depuis longtemps caressé, celui de faire
travailler ensemble des écrivains et
des mathématiciens au plus grand bénéfice
de la littérature [...].
Le premier manifeste de François Le Lionnais
débutait par ce constat :
«Ouvrons un dictionnaire aux mots :
<Littérature potentielle>. Nous n'y trouvons
rien.» Ce qu'il qualifiait de «fâcheuse
lacune» fait place aujourd'hui, dans
la critique comme ailleurs, à un usage répété
de l'adjectif «oulipien».