Du Château d'Argol (1938) aux Entretiens
(2002) l'oeuvre de Julien Gracq déploie
devant nous un paysage littéraire qu'il est
possible maintenant d'embrasser du regard,
et de parcourir tel «un chemin de la vie qui
serait aussi un chemin de plaisir». L'étude
de Michel Murat nous convie à ce parcours
au long duquel se construit la biographie
de l'écrivain, qui est un autre moi et porte
un autre nom que la personne privée.
D'un livre à l'autre l'imaginaire et les lignes
de force de l'oeuvre se dégagent : on assiste
au développement d'un style d'auteur
qui signe chaque page ; on perçoit le goût
du romanesque, doublé d'une réflexion
aiguë sur les possibilités du genre et
son évolution ; on ressent l'attrait des lieux
où se joue, entre pressentiment et mémoire,
le «litige de l'homme avec le monde».
Gracq est aussi replacé dans son temps.
Ni marginal, ni intempestif, il fait partie
de ceux qu'une rupture précoce avec
le communisme a laissés pour compte
au lendemain de la guerre : il est solidaire
du surréalisme sans s'identifier avec lui ;
il se montre hostile à tout «engagement»,
ironique à l'égard des modes ; il tient
à distance le milieu littéraire, et même
le succès public. L'histoire a voué Gracq
à la littérature ; il en a fait sa vraie morale,
et n'a cessé d'avoir souci de sa destination.