En attendant Godot qui en 1953 assura
à son auteur une notoriété immédiate
a peut-être contribué à le faire aussi
durablement méconnaître. Cette pièce,
unique en effet dans l'histoire du théâtre
contemporain, est l'une seulement de plus
de trente écrites par Beckett, qui toutes
déplacent et reconsidèrent les frontières
du genre dramatique : certaines sont
pour la radio, d'autres sont sans paroles,
l'une a pour personnage une Bouche,
une autre un «souffle», une autre encore
un air de musique.
Même travail de sape et de
reconstruction dans l'ordre du récit,
où chaque texte invente et met en oeuvre
un mode d'expression qui bouleverse
et repense les règles du jeu narratif. Même
exigence, même rigueur dans l'oeuvre
visuelle (Beckett est l'auteur d'un film,
de cinq ou six pièces pour la télévision).
Mêmes secousses et mêmes splendeurs dans
le travail de la langue - des langues plutôt,
car Beckett est sans doute le seul écrivain
qui ait écrit la totalité de son oeuvre
en deux langues : l'anglais et le français.
Aucun courant, aucune philosophie,
aucune théorie d'aucune sorte ne saurait
rendre compte d'une oeuvre aussi radicale
et aussi complexe.