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Compte rendu

Les pays du Golfe en demande d’auteurs étrangers

décembre 2023

Du 4 au 9 décembre 

Échanger sur les marchés respectifs, problématiques communes et possibilités de coopération : le Fellowhsip destiné aux éditeurs du monde arabe a pour but de créer des ponts et de s’inspirer les uns des autres. Retour sur cette nouvelle édition réunissant une dizaine d’éditeurs du Maghreb et du Moyen-Orient.


Le BIEF a accueilli les 9 participants de sa troisième édition du programme d’invitation destiné aux éditeurs du monde arabe, venus cette année d’Algérie, d’Égypte, d’Irak, du Liban, du Maroc et de la Tunisie.


Initialement conçu pour faire découvrir le marché du livre en France et ses acteurs, ce programme se révèle chaque année une formidable occasion pour les participants de se rencontrer et de créer des liens qui perdurent bien souvent et occasionnent parfois des partenariats. En outre, il leur permet d’échanger sur leurs marchés respectifs et leurs problématiques communes, notamment le fléau actuel qui s’étend au-delà de leurs frontières : le piratage ; celui-ci allant presque jusqu’à leur faire regretter d’éditer un best-seller tant il sera piraté à grande échelle. Par ailleurs, tous s’accordent à dire que le lectorat des pays du Golfe, qui est significatif pour leurs ventes, est actuellement en forte demande d’auteurs étrangers.


Cette année, le programme était organisé entre le Salon de la littérature et de la presse jeunesse et le festival littéraire dédié aux nouvelles écritures venues du Maghreb et du Moyen-Orient  (Adab). Le salon de Montreuil leur a non seulement apporté des rendez-vous avec des éditeurs français et un aperçu général des publications jeunesse, mais aussi des informations supplémentaires sur la tendance actuelle en France d’adaptations littéraires en BD. Du côté de la littérature et de la poésie, le festival aura permis de rencontrer les autrices Adania Shibli (Palestinienne vivant à Berlin) et Iman Mersal (Égyptienne vivant au Canada) ainsi que l’équipe de l’IreMMO (Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient) tout comme l’éditeur Farouk Mardam Bey (Sinbad, Actes Sud).


Judith Rosenzweig chez Gallimard en bonne compagnie des fellows 

Tout au long de la semaine, les participants ont pu actualiser leurs connaissances du marché français, tant au niveau des auteurs que des tendances, et observer les points communs avec leur propre marché. Le principal étant la forte demande d’ouvrages de développement personnel. Selon Wael El Mulla (Masr El Arabia), le marché en Occident, et notamment en France, est annonciateur de ce qui va se passer sur le marché égyptien et ces informations étaient donc d’autant plus instructives. C’est aussi lors de visites en librairies ou d’échanges avec les éditeurs français, formels comme informels, qu’ils ont pu envisager de nouvelles voies, comme l’adaptation de romans en BD, le format poche, ou le livre audio.


Dans la perspective de collaborations, le rappel des aides et soutiens proposés par le CNL, l’Institut français et l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, a été le bienvenu. Lors de cette même journée au CNL, les éditeurs ont cependant pu constater l’écart entre les systèmes de diffusion-distribution en France et dans le monde arabe. Les éditeurs arabes doivent s’en charger seuls, en sillonnant les foires du livre de leur pays et de leur région. Là, les collaborations entre éditeurs du monde arabe sont précieuses pour mutualiser les participations aux salons ou se faire représenter par un collègue dans un autre pays que le sien. Une problématique sur laquelle ils ont pu aussi échanger avec les éditeurs de la francophonie du Sud invités par le BIEF dans le cadre d’un autre Fellowship organisé au même moment.


A également été abordé l’enjeu de la traduction, notamment du français vers l’arabe, très concret pour les éditeurs arabes puisqu’il ne leur est pas toujours facile de trouver de bons traducteurs. Dans cette perspective, le volet traduction du projet Livres des deux rives piloté en 2023 par l’Institut français de Paris et l’Association ATLAS-CITL (Association pour la promotion et la formation des traducteurs littéraire) a permis aux participants de rentrer chez eux avec un répertoire de traducteurs confirmés, en plus de nouvelles idées et inspirations.


Le Salon du livre du Caire en janvier 2024 fournira l’occasion au BIEF et aux éditeurs français participants de reprendre les échanges avec les fellows de cette année et avec ceux et celles des années précédentes.

 

Laurence Risson et Laureline Bouretz


Nisreen Kreidieh, Dar Annahda Al Arabia, Liban


"Notre maison d'édition a été fondée en 1965 par mon père à Beyrouth. Nous publions principalement des ouvrages de non-fiction, des sciences humaines, des articles scientifiques, ainsi que de la poésie et quelques ouvrages de fiction. Je suis déjà venue à Paris, mais je n'ai jamais participé à un Fellowship ce qui est vraiment très intéressant. Cela fait 25 ans que je suis dans le métier mais je découvre encore plein de choses sur le marché français. La première traduction française que j'ai publiée remonte à 15 ans, il s'agissait d'un livre de psychologie édité par Elzevir avec qui nous collaborons toujours beaucoup. Je suis à la recherche de livres qui ne sont pas disponibles dans le monde arabe et le domaine de la psychologie en France est très dynamique. Il y a sans cesse de nouvelles études qui paraissent et qui m’intéressent beaucoup même si cela prend du temps pour les faire connaître dans les pays arabes. Les livres d’histoire bien documentés et qui adoptent un point de vue objectif m’intéressent également. Si certains éditeurs évitent certaines questions au Liban, je ne me prive pas d’aborder tous les sujets, cela fait partie de notre politique éditoriale. Même si la situation est effrayante et très instable au Liban, je voulais participer au Fellowship et cela en vaut la peine ! J’ai 8 rendez-vous avec les éditeurs français et plusieurs titres ont déjà retenu mon attention. Je voulais voir de mes propres yeux si le marché français est vraiment aussi fort et dynamique qu’on le dit et c’est effectivement le cas. La France a toujours été un exemple pour nous en ce qui concerne les niveaux des tirages par exemple ou le nombre de lecteurs. Au Liban le tirage n'est pas très élevé ! Si nous vendons plus de 1000 exemplaires d’un titre, c’est déjà très bien. Le système de distribution est également faible et nous vendons beaucoup dans les foires et salons. Même si le public y est au rendez-vous, la lecture est toujours réservée à une niche."


Ghada Hussein, Dar Al Mada, Bagdad


"Je travaille à Al Mada Group dont fait partie Dar Al Mada, fondée en 1994 à Bagdad. Nous publions de la littérature classique et moderne, des romans, des biographies, des mémoires, quelques essais, et depuis peu nous avons également une collection de littérature jeunesse. Notre notoriété, c’est la littérature étrangère, un domaine dans lequel nous sommes devenus une référence bien au-delà de l’Irak car nous sommes distribués partout dans le monde arabe. Depuis les années 90 nous collaborons étroitement avec l’Institut français qui nous aide à acheter des droits français. La littérature française est pour nous comme la mère de toutes les littératures car elle incarne des valeurs fondamentales comme les droits de l’homme, la liberté ou la justice sociale qui sont aussi nos valeurs et que nous avons envie de partager. Il est important d’éduquer en particulier les jeunes lecteurs et chez Dar Al Mada nous abordons tous les sujets sans tabou, notre public le sait. Pour moi c’est une très grande opportunité de participer au Fellowship qui me permet de rencontrer les éditeurs français en tête à tête. Ceux avec qui nous collaborons déjà et avec qui nous communiquons par mail comme Grasset, Albin Michel ou Gallimard mais aussi des éditeurs indépendants. J’ai 6 rendez-vous au CNL, notamment avec les éditeurs de jeunesse. J’ai d’ailleurs été impressionnée par le Salon du livre de Montreuil, par sa taille, par le nombre d’exposants et de stands. Même si c’était étonnant de voir qu’il y avait plus d’adultes que d’enfants parmi les visiteurs. Ce serait idéal d’avoir un tel salon en Irak. Dans le monde arabe, nous devons faire des pas de géant pour arriver à ce niveau-là, notamment en ce qui concerne la distribution. C’était aussi intéressant de rencontrer nos collègues arabes, nous nous connaissons déjà mais nous ne sommes pas forcément au courant des problèmes et des spécificités de chaque marché. Et nous avons bien sûr des intérêts communs à défendre."


Propos recueillis par Katja Petrovic