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Portrait et entretien de professionnel

"Les Serbes sont très attachés à la France"

novembre 2023

L’invitation de la France à la Foire du livre de Belgrade a également permis de revenir sur les relations culturelles franco-serbes. Catherine Krasojević est médiathécaire à l’Institut français depuis presque 40 ans. Elle a donc suivi les évolutions et porte en elle l’histoire du pays. 


De mère française et de père serbe, Catherine Krasojević vit à Belgrade depuis les années 70. Depuis l’époque de la Yougoslavie, son effondrement, la guerre et la transition de la Serbie dans l’ère post-communiste, elle a vécu de nombreux changements y compris dans son travail. 


BIEF : Vous êtes médiathécaire à l’Institut français de Serbie depuis 1984. Vous souvenez-vous de vos débuts ? Quel était votre public à l'époque yougoslave ?  


Catherine Krasojević : "À l’époque, il existait juste une salle de lecture avec une collection de littérature générale pour les étudiants du français. J’ai donc dû créer d’abord une vraie bibliothèque qui est devenue plus tard une médiathèque. De 1980 à 2000, nous étions un centre culturel français. Jusqu’à la fin de la guerre en Yougoslavie et ensuite, nous avons été la fenêtre vers l’Europe et la France et nous avions un public très divers, de 7 à 77 ans, des scolaires et beaucoup d’universitaires. À partir de 2000, la situation a beaucoup changé avec l’ouverture du pays vers l’Europe. Depuis, il y a moins d’élèves qui apprennent le français, ils optent beaucoup plus pour l’allemand, l’espagnol et l’italien et le nombre de nos usagers a chuté de plus de 50 %."


BIEF : En 1999, lors du bombardement de la Serbie auquel la France a participé, l’Institut français a été vandalisé. Il y avait des croix gammées sur les murs, le sous-sol a été détruit, les livres volés, comment avez-vous vécu ce moment ?


Catherine Krasojević : "C’était très difficile, terrible pour nous tous et pour le pays. Je faisais partie d’un groupe qui préparait l’évacuation des Français auprès de l’ambassade et je tenais une valise prête pour moi et mon fils qui avait trois ans et demi. Heureusement j’ai pu rester à Belgrade avec ma famille. C’était compliqué pour nous car notre petite équipe restait très attachée à notre institution et à la France durant toute cette époque. Juste avant ces évènements, il y avait eu un début de réaménagement de la bibliothèque et nous avons dû tout refaire de A à Z. Grâce aux fonds importants du MAE et de la Culture nous avons pu recréer une belle médiathèque sur trois niveaux. C’est vraiment un cadeau que la France a fait à la Serbie à l’époque. La France a voulu rouvrir ses portes le plus vite possible et le dialogue a effectivement vite repris. La réouverture a été un grand évènement pour Belgrade, toute la ville était là. Nous donnons sur la principale rue piétonne qui était complètement bloquée, c’était magnifique."


BIEF : Combien comptez-vous d’inscrits aujourd’hui à la médiathèque ? 


Catherine Krasojević : "En ce moment nous constatons une baisse mais je pense que c’est pareil dans toutes les médiathèques. Cette année, nous avons de nouveau rafraîchi les locaux en créant un tiers lieu au rez-de-chaussée. Nous avons aussi un nouveau logiciel qui nous aide à prendre contact avec nos usagers depuis la Covid. Nous avons 2900 adhérents dont 1300 environ sont très actifs. Au niveau des visiteurs, ces dernières années, 70 000 passages annuels ont été comptabilisés. Là nous sommes descendus à 16 000, ce qui est entre autres dû au fait que nous organisons de plus en plus d’évènements à l’extérieur avec nos partenaires. Mais nous avons également plus de projets culturels à la médiathèque, des lectures, 5 à 10 rencontres avec les auteurs français. Nous avons deux antennes à Niš et à Novi Sad et si les auteurs sont disponibles nous les y invitons également. Néanmoins, je suis pratiquement toute seule à la médiathèque et nous connaissons chaque année une baisse de budget de 20 % par rapport la précédente."


BIEF : Quels sont les livres qui intéressent votre public et comment faites-vous le choix des nouvelles acquisitions ? 


Catherine Krasojević : "La fiction et surtout les prix littéraires attirent l’attention, tout ce qui est thriller et suspense aussi. La bande dessinée, avec un public très connaisseur. Nous avons de plus en plus d’usagers qui ne sont pas encore francophones mais qui prennent des cours chez nous et découvrent les auteurs français traduits en serbe à la médiathèque. Ce qui importe pour l’acquisition du fonds de la médiathèque, c’est de coller à la programmation de l’institut. Dès que des séminaires sont organisés, par exemple sur le sujet du genre, de la femme ou des rapports homme-femme, je fais un choix de livres en rapport avec le sujet que je mets en avant. Nos usagers serbes savent qu’ils peuvent suivre cette actualité chez nous."

 

BIEF : "D’après vous, où en sont les relations franco-serbes aujourd’hui ? 


Catherine Krasojević : "Il y a une relation historique très forte depuis la Grande Guerre et ce lien existe toujours. Les Serbes sont très attachés à la France et très sensibles à tout qui vient de ce pays même si pendant la guerre il y a eu des tensions qui ne sont pas oubliées. C'était douloureux pour les Serbes, mais la France reste la France, un pays qu’ils aiment."


Propos recueillis par Katja Petrovic