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Portrait et entretien de professionnel

Entretien avec Rajesh Sharma, directeur de la collection Lettres indiennes chez Actes Sud

août 2005

De retour de la Foire du livre de Calcutta (janvier 2005), le témoignage de Rajesh Sharma, directeur de la collection « lettres indiennes » chez Actes Sud et ancien directeur du Bureau du livre à New Delhi.

BIEF : Vous étiez présent à la dernière Foire du livre de Calcutta, dont la France était l’invitée d’honneur. Qu’en avez-vous pensé ?
Rajesh Sharma : La Foire de Calcutta est très importante pour l’Inde : c’est à la fois une énorme fête foraine et un rendez-vous culturel qui devient incontournable pour les Bengalis. La réussite de la conception et de l’aménagement du stand français, situé au centre de la Foire, ainsi que la présence en nombre d’auteurs et d’éditeurs ont été très bien perçues par le public indien, qui a assisté assidûment aux conférences. Les Bengalis – ou du moins certaines parties de l’élite intellectuelle bengalie – ont toujours été très sensibles à la France et à sa culture (qu’il s’agisse de son cinéma, de sa littérature ou de sa vie intellectuelle) et suivent régulièrement l’actualité littéraire française.

BIEF : Quelle est la présence du livre français traduit en Inde aujourd’hui ?
R. S. : Le Bureau du livre de l’ambassade de France en Inde – qui dispose d’un programme d’aide à la publication (PAP Tagore) – a favorisé plusieurs collections de titres traduits du français dans les catalogues de maisons d’édition importantes en Inde comme Rupa, Penguin ou Zubaan. Dans la majorité des cas, ce programme aide à financer l’acquisition des droits de la version anglaise auprès de l’éditeur anglo-saxon, pour une publication dans le sous-continent indien. Cette politique d’aide est intéressante car elle permet d’une part de travailler avec plusieurs partenaires fiables et d’autre part de ne pas aider des titres isolément. Quand vous montez une collection de titres traduits avec un éditeur, celui-ci est obligé de respecter et de défendre, à la fois le livre qu’il publie, mais aussi les autres, ceux qu’il a publiés précédemment. Par ailleurs, pour l’acheteur, l’effet de collection est important, car il permet de mieux repérer l’accès aux auteurs français. Comme vous le savez, l’Inde n’est pas un pays où le pouvoir d’achat est élevé. Lorsque vous payez en moyenne 20 euros pour une nouveauté de fiction en France, vous trouvez en Inde son équivalent à 250 ou 300 roupies (entre 5 et 6 euros). Donc le montant des royalties n’est jamais élevé. Et quand vous le reconvertissez en euros et que vous payez des taxes au gouvernement indien, il ne reste vraiment plus grand-chose. Mais je crois que l’on ne doit pas raisonner en termes d’argent en Inde. On ne peut pas dire : « J’ai vendu pour tant ou tant ». Ce n’est pas comme ça qu’il faut approcher l’Inde. Ce qui est important c’est le lectorat : il faut s’attacher à lui faire connaître la culture et la science française, ce qui ne peut se faire que sur le long terme.

BIEF : Actuellement, les achats de droits d’ouvrages français dépendent donc pour une bonne part des subventions accordées dans le cadre du PAP. Pensez-vous qu’il y ait moyen de pérenniser ces échanges en dehors de ce circuit des aides ?
R. S. : Je n’utiliserais pas ce terme de « subventions », que je trouve péjoratif. Pour faire connaître un Echenoz en Inde, un éditeur comme Penguin ne peut, de toutes les manières, pas en « acheter » les droits. À partir de là, l’aide que le Bureau du livre apporte doit être appréhendée comme une aide pour que le livre soit disponible en Inde, à un prix indien. En effet, le lectorat mérite d’être respecté car il fait preuve de discernement dans ses choix de lecture. Il n’aimerait pas qu’on lui propose un livre subventionné comme on dirait « qu’on le nourrit à la cuillère ». Certains auteurs français encore mal connus en Inde bénéficieront plus tard de l’« effet collection » sur les lecteurs, qui vont commencer à acheter régulièrement, et attendre peut-être même précisément la dernière parution de tel ou tel auteur. C’est d’ailleurs le but poursuivi par l’action du Bureau du livre : faire connaître toute une écriture française avec ses nouveaux auteurs et ses nouvelles tendances. Bien sûr les choses ne vont pas changer du jour au lendemain mais je suis certain qu’elles vont changer. La demande qui n’est peut-être pas encore là aujourd’hui va se forger. D’autre part, l’Inde change, elle a déjà beaucoup changé. Les auteurs indiens sortent de l’Inde. Ils sont publiés et lus partout dans le monde. C’est un échange sur un pied d’égalité qui doit se faire entre éditeurs indiens et éditeurs français. En tant qu’Indien, j’ai beaucoup apprécié la démarche de l’ambassade de France qui ne s’est pas contentée d’échanges à sens unique.

BIEF : Les traducteurs du français vers les langues indiennes sont rares au point que parfois l’éditeur indien passe par la version anglaise pour la traduire en langue indienne. Comment améliorer cette situation ?
R. S. : Lorsque l’on traduit un ouvrage français en langue indienne à partir de la version anglaise, cela implique que l’on perde encore un peu plus de l’essence du texte. Pourtant, parfois, on n’a que ce choix-là… C’est effectivement une véritable difficulté de trouver des traducteurs. Car quelqu’un qui enseigne le français dans une Alliance, par exemple, n’est pas forcément traducteur. De la même manière que lorsque vous formez un traducteur, en l’envoyant en France, il faut aussi qu’à son retour il y ait assez de travail pour qu’il puisse en vivre. C’est un système complexe. Il n’y a pas de solution miracle. Malgré tout, le développement d’actions menées pour la formation de traducteurs avance dans le bon sens.

BIEF : Comment voyez-vous le marché du livre indien aujourd’hui ? Quelles sont, d’après vous, ses perspectives d’avenir ?
R. S. : Aujourd’hui toutes les maisons d’édition internationales viennent ou reviennent en Inde (que ce soit Scholastic qui s’est bien implanté ou Random House par exemple). Du point de vue local, ce qu’il est important de noter, c’est que parallèlement à toute « la grande artillerie éditoriale mondiale », il y a des petites maisons d’édition qui se créent partout. Elles sont beaucoup plus focalisées sur des problématiques locales ou très spécialisées sur des domaines pointus. Elles se donnent pour mission de publier et de mettre à la portée des lecteurs les sujets qui les concernent directement et contribuent ainsi à l’émergence d’un lectorat local qui n’existait pas auparavant. Ces éditeurs publient en langues indiennes et traduisent beaucoup vers l’anglais pour que leurs ouvrages soient diffusés dans les autres régions du pays. Ils amènent des thèmes et des auteurs que les grandes métropoles indiennes ne connaissaient pas auparavant et aujourd’hui, les grands groupes de distribution ne peuvent plus les négliger. Ce phénomène, même s’il n’est pas encore perceptible de l’étranger, est tout à fait passionnant et témoigne de l’extraordinaire vitalité de l’édition indienne.


Propos recueillis par Karen Politis

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