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Compte rendu

"Nous avons besoin de plus de coéditions"

novembre 2023

6 au 10 novembre

Sept éditeurs et éditrices francophones se sont rencontrés à Paris pour la deuxième édition du Fellowship d’éditeurs francophones de littérature et sciences humaines. Organisé par le BIEF et soutenu par le Centre national du livre et l’Organisation internationale de la Francophonie, ce programme vise à renforcer la collaboration entre éditeurs francophones et français. 


La deuxième édition de ce Fellowhip a rassemblé des éditeurs d’Algérie, de Belgique, du Cameroun, du Maroc et du Québec. Malgré leurs profils variés, reflet de la diversité des catalogues au sein de l’espace francophone, il est un point qui les unit : l’étroitesse de leur marché. À l’exception peut-être du Québec, dont le marché est historiquement plus structuré et compte plusieurs millions de lecteurs francophones au pouvoir d’achat élevé.

Les éditeurs des autres pays représentés dans ce Fellowship peuvent difficilement envisager des tirages conséquents, au-delà de 1000 exemplaires. C’est encore plus vrai en Afrique subsaharienne.


Les Fellows en visite à la BnF 

Au Cameroun, dont les 27 millions d’habitants sont majoritairement francophones, les tirages d’un roman ou d’un essai ne dépassent que rarement les 500 exemplaires. François Nkeme, qui dirige depuis 20 ans les éditions Proximité, avec un catalogue riche de plusieurs dizaines de romans constate à quel point il lui est difficile encore aujourd’hui de parler de marché. Mais, comme il l’affirme aussi avec insistance, "il nous faut des livres, c’est essentiel pour nos sociétés". Et bien entendu, des livres à des prix abordables. Au-delà de 5000 CFA (soit un peu plus de 7 euros), un livre est cher pour un lecteur camerounais.


Les coéditions pour développer une offre à prix adaptés


L’expérience menée depuis plusieurs années avec l’Alliance internationale des éditeurs indépendants autour des "coéditions solidaires" offre une réelle opportunité pour François Nkeme comme pour tous les éditeurs qui ont pris part à ce projet. L’idée est de mutualiser les tâches et les coûts d’édition et d’impression afin de parvenir à des prix justes et d’atteindre ainsi un public plus large. Un même titre sera coédité par plusieurs éditeurs sur un territoire donné, chaque éditeur prenant à sa charge une partie du tirage global. Un des derniers exemples en date : Bel abîme, de Yamen Manai, publié initialement par Elyzad à Tunis dont une coédition "solidaire" vient de sortir en 2023 et réunit 8 maisons d’édition africaines. Une coédition qui fait d’ailleurs l’objet d’une importante promotion "panafricaine" avec l’organisation d’une tournée de l’auteur dans plusieurs pays d’Afrique, dans le cadre de l’opération La Caravane du livre, initiée par l’Association internationale des libraires francophones (AILF).



 La collection Terres Solidaires 


Pour un éditeur français qui cède les droits d’un titre de son catalogue à un collectif d’éditeurs via l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, la coédition offre l’assurance de tabler sur une zone de diffusion bien plus large. La collection Terres Solidaires, initiée par l'alliance en 2007, accueille ainsi des titres publiés d’abord en France : Actes-Sud, Julliard, Denoël, Grasset ou encore Zulma, sans oublier Philippe Rey, comptent parmi les maisons qui ont répondu à l’appel. C’est d’ailleurs un titre publié chez Philippe Rey, La Pensée blanche de Lilian Thuram, qui a circulé comme exemple de coédition lors de la table ronde réunissant au CNL une quinzaine de représentants de maisons d’édition françaises et les participants du Fellow dont trois d’entre eux sont d’actifs "coéditeurs" : les éditions Apic en Algérie, Le Fennec au Maroc et Proximité au Cameroun.


Géraldine Hummel (Bayard) découvre un livre de l'éditeur algérien Karim Chikh (Apic Éditions) 


Autre collaboration possible, cette fois-ci entre un éditeur francophone du Nord et une maison d’édition venant de la francophonie du Sud : le Groupe suisse Peter Lang qui souhaite s’engager dans plus de coéditions avec des maisons d’édition africaines, telle AfricAvenir, dont le profil correspond en raison de sa présence dans l’espace germanophone à travers ses bureaux à Berlin et Vienne. "Ce Fellowship nous a montré comment faire vivre le livre. Malgré la disparité de nos marchés, nous portons maintenant plus d’espoir envers des coopérations éditoriales entre éditeurs francophones ‘du Nord’ et ‘du Sud’", souligne Bill Boris Bahinguekin Mbilla, éditeur chez AfricAvenir - un constat également partagé par tous les participants de ce fellowship.


Pierre Myszkowski, Hannah Sandvoss


Retours sur ce fellowship qui a réuni une trentaine d’éditeurs français et francophones autour d’une table ronde au CNL sur la réalité des marchés francophones aujourd’hui.


Sophie Caillat, fondatrice des Éditions du Faubourg et son agente Deborah Druba : 


"Nous sommes sur des marchés qui se réduisent du fait de l’absence de librairie, de diffusion, et des habitudes linguistiques qui se perdent, donc c’est un combat quotidien avec la nécessité d’avoir des subventions publiques, d’être très inventifs et passionnés. Nous sommes venue au CNL à la recherche d’un éditeur africain pour notre livre Wagner, enquête au cœur du système Prigojine qui concerne l’Afrique. Il est piraté et lu sur PDF en Afrique et nous voudrions faire en sorte qu’il existe en format papier pour permettre aux gens de s’informer. Nous avons envie de le proposer à François Nkémé des éditions Proximité au Cameroun."


François Nkémé, fondateur des éditions Proximité à Yaoundé : 


"J’ai créé la maison en 2002, nous publions essentiellement de la fiction, quelques essais, un peu de poésie et de jeunesse aussi parce que si les jeunes au Cameroun ne lisent pas, ils sont perdus. Pour nous, rencontrer les éditeurs français, c’est très important car au Cameroun nous travaillons un peu dans l’obscurité, le livre est très peu diffusé et nous sommes donc à la recherche des opportunités de collaborations, de partenariats pour que les meilleurs livres africains puissent circuler. L’échange avec Sophie Caillat m’a été très utile. Nous avons longtemps été exclus du marché des droits et je suis sûr que ce n’est pas faute de la qualité de nos auteurs, c’est parce qu’ils ne sont pas médiatisés. Présenter nos catalogues ici, avoir des gens qui peuvent nous écouter et comprendre nos problèmes et qui se disent que finalement nous sommes dans le même combat pour faire circuler les livres, c’est déjà beaucoup."


Géraldine Hummel, responsable des partenariats internationaux chez Bayard : 


"Je trouve toujours très intéressant de comprendre les problématiques de chacun dans son territoire et les différences de chaque marché. C’est un vrai défi pour les éditeurs francophones présents ici de faire circuler le livre, de faire connaître leurs talents et de faire en sorte qu’ils arrivent jusqu’aux lecteurs. J’ai découvert cette association, l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, qui regroupe des éditeurs venant du monde entier et notamment du continent africain et c’est très intéressant de savoir qu’elle a suscité de nombreux partenariats. Le gros de notre production reste la jeunesse, mais nous avons une petite partie adulte également qui peut nous amener à commercialiser dans un monde universitaire de niche. Dans la partie Afrique du Nord il peut y avoir des partenariats à faire, mais à part cela, le continent africain reste à défricher et Bayard est un défricheur car nous sommes présents sur place."


Safaa Ouali, éditrice aux éditions du Fennec au Maroc : 


"Nous essayons de rapatrier les écrivains marocains qui éditent principalement en français et en France, comme Mahi Binebine, édité chez Stock et dont nous venons de publier les romans Rue du Pardon et Mon frère fantôme en arabe à l’occasion du Salon du livre de Rabat. C’est un moyen de rendre accessible la pensée marocaine d’expression française aux lecteurs arabes et nous sommes pionniers dans ce domaine ! Les titres français sont souvent directement exportés au Maroc ce qui représente une concurrence assez rude pour la production locale et rend un livre français qui va coûter 20 à 30 euros inaccessible pour la plupart de nos lecteurs. C’est pourquoi nous essayons d’acheter des droits de traduction des auteurs marocains et étrangers qui ont écrit sur des thématiques marocaines. Grâce au long travail de notre fondatrice Layla Chaouni, les éditeurs français connaissent Le Fennec, nous font confiance et acceptent de nous vendre des droits. La persévérance de Layla a fini par payer même s’il reste toujours difficile de vendre également nos droits aux éditeurs français."


Propos recueillis par Katja Petrovic