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La place du livre français en République de Corée

mars 2016

La littérature et la pensée françaises semblent jouir en Corée d’une position confortable : avec 857 titres français cédés pour une traduction en coréen en 2014, la France est le troisième pays exportateur d’ouvrages à destination de la Corée du Sud.


Un bilan contrasté

Si on s’en tient aux chiffres, la littérature et la pensée françaises semblent jouir en Corée d’une position confortable : avec 857 titres français cédés pour une traduction en coréen en 2014, la France est le troisième pays exportateur d’ouvrages à destination de la Corée du Sud. Certains, à l’instar de Bernard Werber, connaissent un succès parfois considérable, et des auteurs réputés difficiles, comme Alain Badiou, font l’objet de traduction quasi complète (19 titres à lui seul).

 

On retrouve en Corée cette image de la culture écrite française présente dans de nombreux pays, avec ses deux piliers que sont d’un côté la reconnaissance d’une riche tradition littéraire caractérisée (voire caricaturée) par la présence de quelques "phares" (Montaigne, Voltaire, Hugo, Camus), tradition que les prix Nobel de littérature contribuent régulièrement à consolider, de l’autre (pour des cercles plus restreints) le prestige de la pensée française d’après-guerre prenant racine avec Sartre et se poursuivant à travers Foucault, Deleuze, Derrida, Baudrillard, jusqu’à Nancy, Rancière, Badiou, sans oublier Piketty qui, dans un autre registre, continue cette tradition d’originalité et d’indépendance de la pensée française.

 

Cette situation doit cependant être nuancée. Si certains auteurs français et genres  particuliers  (romans - notamment

livres à destination d’un jeune public - et essais) y sont particulièrement appréciés, il semblerait que la tendance soit en train de s’inverser. Depuis une dizaine d’années, la littérature française jouirait moins des faveurs des lecteurs coréens (qui voient avant tout dans le livre un moyen d’évasion), car considérée comme trop difficile d’accès. Par le biais de la littérature francophone, la France peut cependant faire entendre une voix et une tonalité différentes par rapport à beaucoup de ses concurrents, notamment la littérature japonaise, qui ne dispose pas d’un pareil vivier.

 

Les actions de l’ambassade de France en faveur du livre

et des auteurs français

Afin de favoriser la diffusion du livre français et la présence de la pensée française, l’ambassade de France en Corée conduit essentiellement trois types d’actions.

 

La première consiste à inviter des auteurs à l’occasion de la parution d’un ouvrage traduit, généralement des romans, mais pas exclusivement. Ces invitations se font en partenariat avec l’éditeur local, qui peut être encouragé de la sorte à soutenir tel auteur au-delà d’un seul titre, sachant que les ventes de livres étrangers ne sont jamais très importantes, à quelques exceptions près. La clé du succès repose aussi sur les marques de fidélité que tel auteur adresse à son public en le rencontrant, ce qu’il ne peut faire souvent qu’en se déplaçant.

 

La seconde, étroitement liée à la première, repose sur le programme d’aide à la publication "Sejong" (du nom du roi de Corée inventeur de l’alphabet coréen), lancé en 1999, et qui permet aux éditeurs coréens souhaitant faire découvrir des auteurs français d’obtenir non seulement un soutien financier mais aussi une reconnaissance officielle de leurs efforts de la part de l’État français. Ce programme a ainsi permis à une centaine de livres français de trouver leur place sur le marché coréen.

 

Par ailleurs, dans le cadre du programme d’aide à la cession de droits et de bourses de séjour aux traducteurs étrangers mis en place respectivement par l’Institut français et le Centre national du livre, l’ambassade de France joue un rôle d’intermédiaire entre les éditeurs coréens et les institutions françaises, facilitant ainsi l’accès par les premiers aux aides offertes par les secondes.

 

Le troisième type d’action repose sur les missions d’experts et d’auteurs, qu’ils soient traduits ou non, invités à venir exposer la vision française sur tel ou tel sujet. L’enjeu est moins ici de vendre des droits ou de faire connaître une œuvre, que d’apporter un éclairage différent sur une problématique contemporaine. Les partenaires du débat d’idées sont prioritairement des universités, des think tanks, des agences spécialisées (le droit d’auteur, l’environnement, etc.). Alors que la première et la deuxième action peuvent avoir des effets quantifiables, la troisième est beaucoup plus difficile à évaluer et relève de ce que l’on pourrait appeler la diplomatie d’influence. On sait que le rayonnement d’un penseur ne repose pas nécessairement sur la connaissance et la lecture de ses écrits.

 

La médiathèque de l’Institut français de Séoul vient en appui à toutes ces actions, puisqu’elle met à disposition à la fois des romans d’auteurs traduits et des ouvrages en sciences humaines exposant des idées. Les documents audiovisuels sous-titrés (films ou documentaires) permettent de toucher un public non francophone en offrant un regard sur la société et l’histoire de la France plus facilement accessible que le livre.

 

- Jacques Soulillou, Attaché culturel à l’ambassade de France en Corée.

 

 

Bernard Werber : un phénomène d’édition en Corée

 

À ce jour, les ouvrages de Bernard Werber se sont vendus à plus de 8 500 000 exemplaires en Corée ! C’est la trilogie des Fourmis (Les Fourmis, Le jour des Fourmis, La Révolution des fourmis) qui a déclenché la Werbermania dans les années 90. Ces trois volumes avaient alors été publiés en cinq tomes, qui au total se sont écoulés à plus d’un million et demi d’exemplaires.

Depuis 20 ans, l’auteur, sur l’invitation de son éditeur Open Books, se rend une fois par an en Corée afin de participer à la promotion de ses romans traduits, et il déplace systématiquement les foules. Des conférences, signatures et autres interviews télévisées sont organisées et suivies assidûment par ses lecteurs fidèles. Il faut à ce titre souligner le formidable travail de créativité et l’efficacité d’Open Books dans la publication et la promotion des ouvrages de Bernard Werber en Corée. Ses romans, pièces de théâtre, encyclopédies et adaptations en bande dessinée sont traduits et édités avec beaucoup de soin, l’identité visuelle forte est aisément repérable. Ainsi le charisme de l’auteur et l’originalité de son œuvre alliés à l’inventivité de l’éditeur coréen ont permis cette adhésion exceptionnelle du lectorat. Un engouement similaire pour Bernard Werber existe également en Russie, mais la Corée reste son premier pays d’accueil à l’étranger !

 

En outre, d’autres auteurs du catalogue d’Albin Michel tels Éric-Emmanuel Schmitt, Katherine Pancol, Pierre Lemaitre, Agnès Ledig, mais aussi Amélie Nothomb - également publiée en Corée par Open Books - sont  appréciés et reconnus par les lecteurs coréens. Dans le domaine de la non-fiction, l’économiste Daniel Cohen et nombre d’ouvrages de psychologie passionnent également dans ce pays.

 

- Solène Chabanais, directrice des droits étrangers chez Albin Michel



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