Études

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L'édition indienne : reflet des évolutions du marché du livre

février 2005




L’Inde, une mosaïque de langues, de peuples et de religions : la formule est presque banale pour ne pas dire éculée. Pourtant elle prend tout son sens quand il s’agit d’appréhender le secteur de l’édition. En effet, comment trouver une unité de fonctionnement à l’édition indienne dans un pays-continent aussi vaste que l’Europe, composé de 28 États fédérés et de 7 territoires fédéraux où se côtoient un milliard d’habitants ? Dans un pays où 18 langues officielles sont reconnues et où l’on ne compte pas moins de 12 alphabets différents ? Le constat s’impose : il n’y a pas d’unité de langue en Inde. Les gens ne parlent pas la même langue d’un État à l’autre, n’utilisent pas forcément le même alphabet… ce qui a une répercussion directe sur le secteur de l’édition. On l’aura compris, le contexte linguistique constitue la clef de voûte de l’édition indienne puisque chaque unité linguistique régionale a donné naissance à un système éditorial complet, avec ses propres auteurs, éditeurs et distributeurs. Seconde conséquence dérivant de la première : si l’édition en langues indiennes reste, en grande partie, cantonnée à une distribution régionale, l’édition en langue anglaise, elle, peut se déployer à l’échelle du subcontinent. 45% des titres publiés en Inde (soit 31 000 titres) le sont en anglais – ce qui place l’Inde au troisième rang mondial des producteurs de livres en anglais. Toutefois, aussi étonnant que cela puisse paraître, l’anglais n’est maîtrisé que par 3 à 5% de la population, soit environ de 30 à 50 millions de personnes.

Livres en anglais et en langues régionales confondus, l’édition indienne représente un chiffre d’affaires annuel de près de 1,4 milliard d’euros. Mais ce dynamisme éditorial est relativement récent. En effet, l’héritage colonial britannique a longtemps laissé l’édition indienne « assoupie » mais une forte dévaluation de la roupie, en 1991, et la très forte hausse des prix des livres importés qui en a découlé a ouvert un nouvel espace aux éditeurs indiens qui ont renforcé et amélioré leurs capacités à proposer leurs propres créations. D’autre part, s’il y a vingt ans, 80% de la production était destinée aux écoles, aux universités et aux bibliothèques, aujourd’hui, on distingue nettement le marché du livre scolaire, du « trade market » et des livres destinés au grand public. L’édition indienne, en même temps qu’elle s’ouvre à d’autres marchés que les marchés institutionnels, est en pleine évolution pour répondre aux attentes de son public : elle est inventive, se modernise et diversifie son offre.

Un secteur en expansion mais qui manque de professionnalisme
Il faut savoir aussi qu’en 2004, 40% des livres édités en Inde n’ont pas de numéro d’ISBN et que 60% n’ont pas de code barre, ce qui rend difficile toute estimation fiable de la production totale. Les chiffres annoncés doivent donc être considérés avec précaution. Ils sont néanmoins validés par les deux plus grandes fédérations d’éditeurs du pays. En 2004, le chiffre d’affaires de l’édition indienne s’est élevé à 70 milliards de roupies (environ 1,4 milliard d’euros). 16 000 maisons d’édition privées ou institutionnelles – dont certaines ne publient que quelques titres par an – ont édité 70 000 titres (nouveautés et réimpressions). 45% de la production (en nombre de titres) est en anglais, le reste se divisant entre les différentes langues régionales.

L’édition indienne reste encore largement dominée par l’édition scolaire (25% du total), universitaire (15%) et parascolaire (10%) qui représente près de la moitié de la production, suivie par la littérature générale et les livres illustrés (35%). Alors que le nombre de nouveautés ne cesse de croître depuis dix ans, les tirages moyens sont en constante diminution. Bien que le milliard d’habitants qui peuple l’Inde puisse laisser croire à de forts tirages moyens, il n’en est rien.

Selon la profession, on estime qu’un ouvrage de fiction générale s’est très bien vendu quand 3 000 exemplaires ont été écoulés et qu’à 10 000 exemplaires, il s’agit d’un best-seller. Le prix moyen d’une nouveauté en littérature générale est d’environ 350 roupies (7 euros) pour un livre cartonné en anglais destiné à une classe moyenne cultivée urbaine. Le prix moyen d’un livre de poche est d’environ 150 roupies (3 euros). Il n’y a pas de TVA applicable au livre. Il n’y a pas non plus de prix fixe du livre et les remises accordées aux clients s’échelonnent de 5 à 15%. Il est généralement égal à 4 ou 5 fois le coût de fabrication. La remise accordée au distributeur est de l’ordre de 45%. Les royalties reversées aux auteurs sont de 10% du prix catalogue.

Les 16 000 éditeurs recensés sont affiliés, pour les plus importants, aux deux grandes associations nationales d’éditeurs : la Federation of Publishers’ and Booksellers’ Associations in India (FPBAI) et la Federation of Indian Publishers (FIP).

Importations, exportations et piratage : des constantes de l’édition indienne
Passé colonial oblige, le poids des importations reste important et représente près de 240 millions d’euros soit près de 17% du chiffre d’affaires global de l’édition. Elles proviennent majoritairement de Grande-Bretagne et des États-Unis, puis d’Australie, d’Allemagne et de Hollande. Elles concernent principalement la littérature générale, les sciences et technologies et les livres de management (ouvrages en langue anglaise). Les exportations de l’édition indienne sont trois fois moins importantes que les importations mais constituent une part non négligeable du chiffre d’affaires. Elles s’élevaient en 2004 à 4,3 milliards de roupies (86 millions d’euros).

Les exportations visent deux types de public. La diaspora indienne d’une part : très nombreuse en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Asie. Et le public occidental d’autre part, avec des titres ayant trait à l’hindouisme, au bouddhisme et à la spiritualité indienne en général (yoga, ésotérisme, etc.), mais aussi de beaux livres sur l’Inde, les palais des maharadjahs, l’art, la cuisine et le folklore indiens, etc.

En 2003, les pertes dues au piratage ont été évaluées à 28 millions d’euros par l’International Intellectual Property Alliance et à dix fois plus par la profession. Les principaux foyers de piratage sont les grands centres urbains de New Delhi, Bombay, Calcutta, Bangalore, Hyderabad et Madras mais aussi les pays voisins comme le Bangladesh. À cela, il faut ajouter les exportations non autorisées de reprints d’ouvrages anglo-saxons normalement destinés à être vendus exclusivement sur le sous-continent indien. Ces ouvrages sont exportés en nombre vers le Moyen-Orient, les Philippines, Taiwan, le Mexique et l’Afrique du Sud.

Paysage et production éditoriale
Les grands centres éditoriaux du pays se situent dans les quatre plus grandes villes : New Delhi, Calcutta, Bombay et Madras. New Delhi reste le principal foyer de l’édition en langue anglaise avec 75% des plus grands éditeurs indiens. Le marché du livre en anglais est celui qui, proportionnellement, génère la plus grosse partie du chiffre d’affaires de l’édition. Les plus grandes maisons sont celles qui publient en langue anglaise. L’édition en anglais passe soit par la voie d’auteurs indiens qui écrivent en anglais, soit par l’achat de droits de réimpression à des éditeurs anglo-saxons (notamment dans les domaines universitaire et de littérature générale). Même si le livre scolaire reste la principale source de revenu de l’édition indienne, la consommation évolue et l’émergence d’une classe moyenne a permis l’essor de la littérature générale et le succès de maisons comme Penguin India ou Harper Collins. Essais politiques ou d’actualité et biographies se vendent très bien en Inde, peut-être en raison d’une longue tradition de vie démocratique. Les romans à succès et autres best-sellers mondiaux, tout comme les ouvrages d’auteurs indiens connus trouvent leur public. Viennent ensuite les livres pratiques de business et de management, les livres de « self help », et de plus en plus de livres pratiques destinés aux femmes : livres de cuisine, livres sur la santé et le bien-être. À côté des poids lourds de l’édition, la scène éditoriale est peuplée de petits éditeurs indépendants au profil très spécifique. Ils existent et sont rentables sur des marchés de niche. C’est le cas par exemple de Katha qui traduit en anglais les classiques de la littérature en langues vernaculaires, mais aussi le cas de plusieurs maisons qui publient des livres écrits par des femmes : Zubaan et Women Unlimited à New Delhi, Stree à Calcutta, etc. L’édition en langues indiennes représente 55% des livres produits dans le pays. Près de la moitié sont publiés en hindi, le reste se divisant entre les langues principales du pays. Chaque zone linguistique ou, à une échelle moindre chaque État, a son propre secteur éditorial dont la structure se répète de manière à peu près identique partout. L’organisation du secteur est pyramidale : au sommet, un ou deux éditeurs généralistes, leaders sur le marché et qui assurent souvent leur propre distribution. Ils couvrent le domaine scolaire et universitaire (principale source de revenus), proposent un catalogue de littérature générale, des ouvrages de référence (dictionnaire anglais/langue locale ou hindi/langue locale) et un catalogue jeunesse. Plusieurs éditeurs de taille moyenne et une multitude de petits éditeurs couvrent ensuite le reste du marché. Pour l’édition en langues régionales, les tirages sont, comme pour l’hindi, de moitié inférieurs à ceux des livres en anglais. Dans chaque zone linguistique se mettent généralement en place une association d’éditeurs, un réseau de distribution (plus ou moins fiable et plus ou moins performant) et des foires du livre s’organisent.

Les publications destinées à la jeunesse
S’il y a quelques années, les publications destinées à la jeunesse étaient majoritairement des petits fascicules agrafés, d’une qualité d’impression médiocre, on note aujourd’hui une nette amélioration de leur qualité. On trouve de nombreux livres pour enfant en dos carrés collés, avec une qualité d’impression et de façonnage tout à fait honnête. Le prix qu’un parent est prêt à dépenser pour acheter un livre est d’environ 40 roupies (moins d’un euro). D’autre part, il est attentif au contenu et priorité est donnée au côté éducatif. On préférera, selon les âges, un imagier ou un abécédaire, ou une histoire avec beaucoup de texte (type livre d’apprentissage de la lecture à l’école), plutôt qu’un livre très illustré. En ce sens, les productions françaises ne correspondent pas aux goûts locaux. Pour ces raisons de prix et de contenu, la production pour enfants – bien qu’elle représente sans doute l’avenir de l’édition indienne – n’a pas encore pris tout son envol. La mythologie indienne et les récits épiques comme le Mahabharatha et le Ramayana restent des sources d’inspiration inépuisables et indémodables. Seuls les organismes gouvernementaux comme le National Book Trust peuvent proposer une gamme extrêmement variée de petites publications destinées aux enfants à des sommes tout à fait modiques (de 5 à 20 roupies). Le catalogue du NBT prend en compte toutes les classes d’âges et la plupart de ses titres sont traduits dans les 18 langues officielles de l’Union. Signe d’une évolution cependant, des productions made in India très novatrices commencent à voir le jour. C’est par exemple le catalogue d’avant-garde (albums graphiques, très épurés) et les publications de très grande qualité que propose l’éditeur de Madras, Tara.  Mais comme le constate son directeur, ses publications se vendent mieux à l’étranger (achats de droits par Syros jeunesse par exemple).

La distribution, maillon faible de la chaîne du livre
En raison de la taille du pays (3,5 millions de kilomètres carrés) et de ses variétés linguistiques, aucune structure de distribution ne couvre l’ensemble du territoire. Les distributeurs préfèrent travailler par zones linguistiques. De ce fait, les éditeurs qui publient en anglais doivent faire appel à plusieurs distributeurs (il n’y a pas de contrats d’exclusivité). Il existe quelques grands distributeurs dont l’une activité englobe l’ensemble du territoire mais uniquement pour des livres de langue anglaise. Le premier distributeur indien est UBSPD : il a pour clients quelque 200 éditeurs publiant en anglais et dessert les grandes villes du pays. Les autres grands distributeurs sont India Book House, India Book Depot ou Crossword (qui possède également plusieurs librairies à Bombay). Quant à la distribution des livres en langues régionales elle est encore moins bien structurée et manque de professionnalisme. Au niveau régional, on peut citer Affiliated East-West Press pour Madras et le Tamil Nadu et DC Books pour le Kerala et les livres en malayalam.

Les difficultés de la librairie
Deux particularités distinguent le réseau de librairies : elles sont peu nombreuses, comparativement à l’étendue du pays et sa population (30 000 petites libraires ou points de vente mais seulement 400 grandes librairies généralistes) et situées exclusivement en zone urbaine, alors même que les deux tiers de la population vit en zone rurale. Bien que soient apparues quelques grandes librairies généralistes à l’européenne, toutes informatisées, la réalité de la librairie indienne est beaucoup plus modeste. En général, quand il ne s’agit pas tout simplement d’étals dans la rue, les librairies sont vieillottes, pas informatisées et manquent d’espace. Les libraires sont le plus souvent peu formés et peu aptes à conseiller la clientèle. Afin de pallier aux lacunes de la distribution en gros et aux faiblesses du réseau des librairies dans le pays, d’autres lieux de vente occupent le créneau laissé vacant. Les foires et les expositions de livres, notamment, permettent de mettre en contact le livre et son public et jouent un rôle important dans l’économie générale du livre. Les ouvrages les plus vendus durant les foires du livre sont les livres pour enfants. Les remises accordées aux clients vont généralement de 5 à 15%.

La dernière présence du BIEF en Inde remonte à 1997, où le pavillon français avait malheureusement brûlé. Aucune action de promotion du livre français n’avait été menée, depuis, en Inde, sauf une participation avec Edufrance au salon de l’Éducation à New Delhi en mars 2003. Signe politique fort en janvier 2005, la France est retournée à la Foire de Calcutta où elle était invitée d’honneur.

 
Sommaire de l'étude


Présentation du contexte socio-économique
 
Présentation générale du secteur de l'édition

A – Un élément fondamental ! le contexte linguistique
B – Les principaux chiffres du secteur

Paysage et production éditoriale

A – Le marché du livre en anglais
B – L’édition en langues indiennes
C – Les publications destinées à la jeunesse

La distribution, maillon faible de la chaîne du livre

A – Promotion et distribution
B – Les difficultés de la librairie
C – L’importance des autres lieux de vent

L’Inde et la France : partenariats, échanges et coopérations

A – Quelle place pour les exportations de livres français dans ce bastion anglophone ?
B – Traductions et coéditions
C – opérations et échanges  

Annuaire

Les collections créées avec l’aide du Bureau du livre de l’ambassade de France en Inde
 
  • « The Rupa France Collection » avec Rupa : pour le moment, une vingtaine de titres de littérature moderne et contemporaine (P. Sollers, P .Bruckner, D. Pennac, etc.)
  • « The French Collection » avec Penguin India pour des essais et des documents d’actualité
  • « The French looking glass » avec Macmillan India : essais sur l’Inde écrits par des Français
  • Une collection d’ouvrages de fiction et de non-fiction en hindi avec Rajkamal Prakashan
  • Une collection d’ouvrages de fiction contemporaine en bengali avec Purple Peacock Art and Books 
  • Élaboration d’une collection en fiction et non-fiction féminine et féministe avec Zubaan 
  • Projet de collection d’ouvrages graphiques (jeunesse, beaux livres, bande dessinée) avec Tara Publishing

Plus d'infos

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  • Thématique : Art, Art de vivre & vie pratique, Autres, Bande dessinée, Dictionnaires & ouvrages de référence, Droit, Enseignement, Français langue étrangère, Jeunesse, Littérature, Médecine, Organisation & gestion des entreprises, Religion & spiritualité, Sciences & techniques, Sciences humaines et sociales

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