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Compte rendu

Une soixantaine d’éditeurs de livres pratiques et de beaux livres réunis à Tokyo

mars 2023

3 et 4 février 2023

Les rencontres franco-japonaises dans le domaine du livre pratique et du livre d’art ont permis de mieux cerner le marché japonais très qualitatif et privilégiant des petits formats difficilement compatibles avec les standards européens. Malgré cette différence, les éditeurs japonais ont manifesté un vif intérêt pour l’offre française. 


Presque trois ans après la date initialement prévue, le groupe livres pratiques et beaux livres s’est rendu à Tokyo, rencontrer de nouveaux interlocuteurs et comprendre un peu mieux les spécificités de ce pays réputé pour sa culture, sa gastronomie et sa grande créativité graphique. Cumulées, pour la majorité du groupe d’éditeurs français, avec un déplacement à la Foire du livre de Taipei, les rencontres professionnelles de Tokyo ont commencé à l’Institut français par les présentations des marchés du livre au Japon et en France.


Pour le Japon, Yoshiaki Yoshino, responsable des relations internationales de la Japan Book Publishers Association a rassemblé les informations et les chiffres clés, suivi de Nicolas Roche pour la France. Le marché du livre au Japon a connu en 2021, pour la première fois depuis 15 ans, une augmentation de son chiffre d’affaires (12 milliards d’euros). Essentiellement basée sur l’augmentation des ventes de manga, de développement personnel et de livres pratiques, cette hausse repose également sur le livre numérique. Celui-ci est en effet, depuis de nombreuses années, en constante hausse. S’il représentait déjà 24 % du marché du livre global en 2019, il atteint 38 % en 2021, dont 88 % de mangas.


 Yoshiaki Yoshin (Japan Book Publishers Association) et Nicolas Roche (BIEF) 

 

Le développement des pratiques numériques ne fait pas l’affaire des librairies dont le nombre a été divisé par deux en 20 ans. Il y en a à présent un peu moins de 10 000 dans l’archipel, dont 10 % se trouvent à Tokyo. "La concurrence des sites de vente en ligne est également féroce et représente environ 40 % des ventes, faites principalement sur Amazon et Rakuten", déclare monsieur Hoshi, directeur de la librairie Kinokuniya Main Store. Aussi menacées soient-elles, les librairies tokyoïtes sont fréquentées et très riches en références. 300 000 titres environ habitent les rayons de Kinokuniya Main Store, dont 10 % de nouveautés pour une industrie qui édite un peu plus de 70 000 nouveaux titres par an. S’agissant du livre d’art ou plus généralement du livre illustré, certaines enseignes comme Tsutaya ou Muji ont développé des concept stores dans lesquels les livres cohabitent avec des objets de décoration, de la vaisselle, des vêtements, des espaces de coworking ou des cafés. Loin de desservir l’objet livre, cette cohabitation lui donne une place de choix au sein d’un espace de consommateurs, d’amateurs d’art et de design et de créatifs. 


De petits formats difficilement compatibles avec les livres européens


Au programme également de ces rencontres : des discussions autour de l’adaptation des ouvrages lors des échanges de droits franco-japonais. Une table ronde réunissant Fanny Ecochard (Hachette Pratique pour la collection Big in Japan), Hélène Clastres (Flammarion), Kuyko Shimizu (Kyuryudo Art Publishing) et Ijuin Motofumi (Kadokawa) a posé les bases de ces échanges. D’une façon générale, les critères des lecteurs japonais sont très précis en termes de qualité notamment (papiers, propreté, défauts) et cette rigueur se répercute sur toute la chaîne du livre. Pour les éditeurs japonais, les coéditions sont donc source de déconvenue tant ils se doivent d’être très stricts sur le produit fini. Autre caractéristique du livre illustré au Japon : les petits formats permettant un prix de vente plus modéré qu’en France. Kyuko Shimizu, éditrice chez Kyuryudo Art Publishing, mentionne pour ses publications une diminution des formats depuis une dizaine d’années pour avoisiner à présent le A5. Ijuin Motofumi (Kadokawa), éditeur d’histoire de l’art, a exposé quant à lui sa collection poche au format A6, commercialisée à 1500 yens et "facilement présentable en librairie". À noter que cette tendance au plus petit format se retrouve actuellement sur le marché français.



Du côté français, c’est plutôt le taux de foisonnement entre le français et le japonais qui induit des changements de maquette ; le japonais étant plus court que le français. Sachant que les lecteurs français sont actuellement friands de culture japonaise, pas besoin de beaucoup adapter les versions françaises, tant l’original séduit le lectorat. Du côté japonais, les éditeurs ne sont pas effrayés par la longueur des textes français dans les livres illustrés, car les lecteurs sont en demande d’informations. Deux remarques de bon augure pour les échanges de droits évoqués lors des rendez-vous individuels qui ont occupé les participants toute l’après-midi. Au total, 55 professionnels japonais qui représentaient 24 maisons d’édition et 5 agences ont participé à cet évènement, pour venir à la rencontre de 7 éditeurs français : Elise Albenque (Centre Pompidou), Viviane Alloing (Eyrolles), Laurence Badot (Albin Michel Pratique), Mathilde Barrois (Gallimard Loisirs), Hélène Clastres (Flammarion), Fanny Ecochard (Hachette Pratique) et Sarah Larsen (Vigot-Maloine-Vial-Ulisse).


Laurence Risson




Retours sur les échanges franco-japonais


Mathilde Barrois, directrice des droits étrangers chez Gallimard Loisirs : 


"Le marché du livre japonais est extrêmement qualitatif. Les Japonais sont de grands lecteurs, sur divers supports, et le nombre de nouveautés est important. Le marché reste néanmoins très centré sur la production nationale et, bien que le français soit la deuxième langue de traduction au coude à coude avec l'allemand après l'anglais, avec 250 titres traduits par an, les achats de droits à l’étranger restent peu nombreux dans le domaine du livre pratique et du beau livre. Les agents sont bien souvent indispensables ! Les livres publiés au Japon ont des formats particuliers : on retrouve systématiquement les mêmes 3 ou 4 formats, toujours plus petits que ce que nous connaissons en France. Les éditeurs japonais sont donc peu friands des coéditions. Malgré cette différence, ils se sont montrés très curieux de notre production. Lors de ces rencontres, nous pouvions passer plus de temps sur les ouvrages plus anciens de nos catalogues. Cela m’a notamment permis de remettre en avant des collections en design et en art ayant déjà quelques années."



Sarah Larsen, responsable des droits chez Vigot-Maloine-Vial-Ulisse :


"Ces rencontres m’ont permis d’apprendre des détails techniques et utiles, comme la préférence pour des pas à pas très explicatifs, la TVA sur les livres japonais, mais aussi les habitudes de lecture et les sujets qui intéressent les Japonais parfois très différents de ceux qui intéressent notre lectorat (broderie et dessin sur support numérique versus aquarelle et peinture, par exemple). Il y avait un tel enthousiasme de la part des participants de mieux nous connaître que je n’avais pas assez de créneaux ni de cartes de visite pour tout le monde ! Les livres qui ont le plus intéressé les éditeurs japonais étaient des livres de loisirs comme le dessin pour débutants avec une identité visuelle comparables à leurs livres, et surtout, nos ouvrages d’artisanat sur les meubles, l’ébénisterie, et de décoration tout comme ceux sur l’histoire de la laque et des céramiques. Nous n’avons pas encore des contrats en vue, mais j’ai l’impression que cette mise en contact a renforcé de façon conséquente nos liens de confiance."  

 

Viviane Alloing, responsable de droits chez Eyrolles : 


"Après trois ans sans déplacement sur les foires pour la majorité des éditeurs japonais, j’ai senti qu’ils étaient très contents de croiser à nouveau des responsables des droits 'en vrai'. Ce type de rencontres permet également de discuter avec les éditeurs en direct sans passer par les agents. J’ai eu affaire à des éditeurs avec lesquels nous n’avions jamais travaillé. Les lignes éditoriales étaient assez variées. Les attentes aussi étaient assez différentes d’un éditeur à l’autre. Certains éditeurs très généralistes préfèrent des livres courts (150 pages), tandis que d’autres privilégient les beaux livres. Côté loisirs créatifs, tout ce qui est mignon attirait l’œil, mais ils ont déjà beaucoup de livres dans cette veine. La géopolitique et les livres de parenting pratico-pratiques ou encore les méthodes de dessin et de peinture m’ont été particulièrement demandés. Tout ce qui est vie française (lifestyle, cuisine, mode, etc.) paraissait beaucoup les intéresser également."


Propos recueillis par Katja Petrovic 

 

 



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