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Compte rendu

Retour sur les États généraux du livre en français

octobre 2021

23 & 24 septembre 2021

Initiés par Emmanuel Macron en 2018, mis en œuvre par le ministère de la Culture et opérés par l'Institut français, les États généraux du livre en langue française se sont tenus à Tunis. 500 acteurs du livre ont été réunis dans le but de dynamiser, décloisonner et développer l’espace éditorial francophone. Philippe Goffe, président sortant de l’Association internationale des libraires francophones, et Élisabeth Daldoul, fondatrice des éditions tunisiennes Elyzad, reviennent sur cet événement.


Il est trop tôt pour faire le bilan des États généraux. Épinglons quand même un premier constat positif : ils ont bien eu lieu, après trois années de préparation et des reports successifs. Constatons ensuite qu'ils ont tenté de sortir du prisme francocentré. Finalement c'est une grande diversité d'acteurs qui ont pu y prendre la parole, même si parfois il a fallu exercer sa vigilance pour tenir le cap. Passé ces écueils, et celui d'une mise en route tardive qui a pris de court bien des invités, le risque était de noyer les débats sous un trop grand nombre de thématiques. La rédaction des 50 propositions soumises à l'assemblée, à partir des contributions des professionnels, reflète bien cette difficulté, qui n'a pu être totalement évitée lors du choix des 10 recommandations finales, où s'emboîtent plus de propositions qu'il n'y paraît. L'exercice était complexe, il est assez réussi et on peut le partager. La question étant aujourd'hui de savoir quelle suite lui donner. 


"Il faudra sortir des cloisonnements" 


Chaque corporation y trouvera le reflet de ses attentes, mais demandera des actions et des résultats concrets. Si l'on veut avancer, il faudra cependant sortir de ces cloisonnements, et une excellente manière de le faire, c'est d'aider à structurer la filière, par une mise en réseau des acteurs et leur ancrage dans les différents territoires, rompant si possible avec l'emprise des marchés du Nord sur ceux du Sud, ou même sur leurs marchés directement périphériques. C'est le prix de la bibliodiversité, qui déroulera en cascade bien des points évoqués aux États généraux : partenariats éditoriaux, coéditions, cessions de droit, évolution des contrats d'auteur (point oublié dans les 10 recommandations), mais aussi formation professionnelle, régulation du marché, etc. Sans trop rêver cependant, car au-delà des bonnes intentions, il y a les réalités d'aujourd'hui, qui exigent des actes concrets. Une de ces réalités est la question de l'accès des populations aux livres, liée à celle de leur acheminement. Au Nord comme au Sud. On a beaucoup parlé du numérique à ce propos, mais c'est un sujet qui mérite une réflexion plus structurée que ce qui en a été dit.


Les chantiers sont considérables, et tout cela ne pourra se faire que dans le cadre de politiques publiques construites et cohérentes, et par la nécessaire collaboration entre les institutionnels et les acteurs professionnels, souvent les meilleurs connaisseurs des réalités de terrain. Ce sera la tâche du comité de suivi qui nous a été annoncé. Mais aussi et surtout sa responsabilité, car les attentes sont fortes. Une mèche a été allumée... évitons qu'elle ne fasse pschitt.  


Philippe Goffe


 "C'est un gros travail qui a été fait"


Du côté des éditeurs francophones, Élisabeth Daldoul, fondatrice des Éditions Elyzad à Tunis, revient sur les États généraux du livre en langue française auxquels elle a assisté. Parmi les 10 propositions prioritaires pour "fédérer, coopérer et agir ensemble", annoncées à Tunis, 3 lui semblent particulièrement pertinentes. 






1. L’incitation et l’accompagnement des États dans la mise en œuvre de politiques publiques du livre et de la lecture


"Tant qu'il n'y aura pas de politiques publiques du livre dans nos pays, les éditeurs francophones du Sud seront de plus en plus confrontés aux difficultés du marché. Pour la Tunisie cela signifie un marché réduit, où la langue française est une seconde langue, voire enseignée en tant que français langue étrangère (FLE)", explique Élisabeth Daldoul qui déplore qu’il n’y ait pas de véritable réflexion autour du livre depuis la révolution tunisienne d’il y a dix ans. Mis à part quelques mesures ponctuelles, tel le soutien à l’autoédition (versé directement aux auteurs), qui ne contribuent en rien à une véritable structuration de l’ensemble de la chaîne du livre, 'tout reste à faire !' "


2. La constitution à l'échelle de chaque pays, d’un "Centre national du livre" intégrant étroitement les professionnels de la filière


Il y a quelques années déjà, un tel projet avait été initié en Tunisie. Les responsables du livre, à l’époque très engagés, avaient rencontré les responsables du Centre national du livre (CNL) à Paris et un contrat de partenariat avait été envisagé à l’image du CNL algérien, fruit de la coopération franco-algérienne. Mais en Tunisie, le projet n’est pas allé plus loin faute de volonté politique. Pour Élisabeth Daldoul tout ceci empêche la filière d’avancer, même si elle reconnaît que "le budget alloué au livre n’est pas négligeable vu le contexte, il est juste mal géré, et il existe beaucoup de corruption". 


3. Soutenir et développer les lieux de vente du livre en langue française dans le monde et adapter le prix de vente aux réalités locales


Publiant ses livres également sur le marché français (Elyzad est distribué par Harmonia Mundi), Élisabeth Daldoul ne cherche pas à faire de coéditions ou à acheter des droits aux éditeurs français. Mais pour ses confrères tunisiens publiant en langue française, telles les éditions Cérès ou Nirvana pour n’en citer que deux, la question des cessions reste cruciale. Rentrer en contact non pas avec le service export des maisons françaises, mais avec les cessionnaires français pour acquérir les droits puis publier le livre à un prix adapté au marché local, est le seul moyen pour qu’il trouve son public et pour contribuer à l’autonomie des éditeurs francophones. Un message réitéré depuis de longues années et qui semble avoir rencontré un écho auprès des éditeurs français. "Les cessions sont de plus en plus courantes et de plus en plus fluides. Les rencontres professionnelles et les fellowships destinés aux éditeurs français et de langue arabe, organisés à plusieurs reprises par le BIEF depuis 2018, y ont contribué pour beaucoup", pense Élisabeth Daldoul. De même, le programme Livres des deux rives mis en œuvre par l’Institut français et auquel prend part le BIEF, qui vise à soutenir la traduction du français vers l’arabe et de l’arabe vers le français tout comme à fluidifier les échanges de droits.

 

Même si les États généraux du livre en langue française à Tunis n’ont été que très peu évoqués dans les médias tunisiens, mis à part les quelques sites professionnels ayant relayé l’information, Élisabeth Daldoul pense "qu’un gros travail a été fait. Le cahier de propositions est riche et très concret, nous croisons fort les doigts pour que la mise en pratique des propositions se fasse dans les temps à venir." 


Propos recueillis par Pierre Myszkowski et Katja Petrovic