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Succès français à l'international

"On peut tout raconter dans un conte : la mort, l’insoutenable violence, l’espoir, la vie."

novembre 2020

La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg est un conte sur la déportation – une façon originale de raconter la Shoah qui a fait de ce livre un "classique instantané" selon Le Canard enchaîné. Vendu à 140 000 exemplaires en France, ses droits ont été cédés dans 16 pays, en Europe, aux États-Unis, en Israël et en Amérique latine, dont certains en plein confinement, se souvient Maria Vlachou, directrice de droits au Seuil. 


BIEF : La plus précieuse des marchandises, c’est l’histoire d’un Juif déporté qui, avec sa femme et ses jumeaux dans le train vers Drancy, décide de passer l’un des deux enfants par la lucarne du train parce qu’il ne peut en nourrir qu’un. Une histoire terrible qui a immédiatement connu un grand succès en France et à l’étranger. Pourquoi ?


Maria Vlachou : Ce livre n’était pas attendu, il n’avait pas de promesse à tenir. Il faut se méfier des livres de destin incertain, ils ont tout pour surprendre. Une histoire terrible, oui, mais l’auteur sait qu’on peut tout raconter dans un conte : la mort, l’insoutenable violence, l’espoir, la vie. La brièveté est d’une force redoutable, comme si la morale – transmettre pour ne pas oublier – dépendait aussi de l’économie des mots. En France, l’auteur a reçu pour l’ensemble de son œuvre le Grand Prix SGDL, tandis que le livre a été couronné par le Prix spécial du jury du Prix des Libraires et le Prix des lecteurs de L’Express/BFM TV. Touchés en plein cœur, certains éditeurs étrangers ont traduit les premières pages. Ils tenaient à partager leur enthousiasme avec leurs collègues, qui ne lisaient pas le français. L’éditeur allemand, lui, a traduit tout le livre…  


BIEF : Combien d’exemplaires avez-vous vendu en France ?

 

M.V. : Initialement le livre a été tiré à 6 000 exemplaires, nous en sommes à 140 000 aujourd’hui… Il est disponible en poche, en ebook, en livre audio (lu par Pierre Arditi) et sera adapté au cinéma par Michel Hazanavicius. En moins de deux ans, il est devenu, avec L’Univers, les Dieux, les Hommes de Jean-Pierre Vernant et Comment j’ai vidé la maison de mes parents de Lydia Flem, l’un des trois piliers de la collection "La Librairie du XXIe siècle", dirigée par Maurice Olender et traduite en une quarantaine de langues.  


BIEF : Une vieille bûcheronne qui n’a jamais eu d’enfant adopte le nourrisson mais son mari ne veut pas de cet enfant de la "race des sans-cœurs" jusqu’à ce qu’il sente lui-même battre son cœur contre le sien. Le message est clair, à la manière d’un conte. Et pourtant le livre n’a pas été reçu de la même façon dans les différents pays.


M.V. : Le message est clair pour tout le monde, c’est le chemin qui est différent. Aux États-Unis, en Italie, en Grèce et en Turquie, on trouve le livre au rayon littérature. En Russie et au Portugal, le mot "conte" représentait un risque de positionnement trop spécifique (jeunesse ou fiction) et les éditeurs ont fait le choix de ne pas le faire figurer sur la couverture. En revanche, en Allemagne et en Corée du Sud, les jeunes et les jeunes adultes sont parmi les lecteurs ciblés. Par ailleurs, l’édition allemande est richement illustrée.


BIEF : Les couvertures sont également très variées. La française, typographique, laisse place à l’imagination, la japonaise ressemble à une BD, tandis que la couverture allemande fait penser à un ancien recueil de contes…


M.V. : La couverture de l’édition française suit fidèlement la charte graphique de la collection "La Librairie du XXIe siècle", qui fêtait alors ses 30 ans. Le dessin sur la couverture de l’édition poche est signé par Michel Hazanavicius. Les éditions étrangères recourent à des paysages d’un autre temps, les vrais pays des contes. Certaines montrent la plus précieuse des marchandises à des âges différents, et d’autres sont habitées par l’absence du train – le dénominateur commun, me semble-t-il, des trois couvertures préférées de l’auteur (japonaise, grecque, américaine). 


BIEF : En France, le livre est "un classique instantané" selon Le Canard enchaîné. Qu’en est-il à l’étranger ?


M.V. : Il est sans doute trop tôt pour parler de la réception du livre à l’étranger. Plusieurs traductions sont en cours et celles déjà publiées sont très récentes. Seulement deux éditions ont connu le monde d’avant le confinement : un premier tirage à 20 000 exemplaires pour Guanda (Italie) et une réimpression au bout de quatre mois pour Todavia (Brésil). Aux États-Unis, en pleine épidémie, la directrice du groupe HarperOne envoie à Jean-Claude Grumberg la photo d’un cygne : nous sommes le 29 septembre 2020, c’est le début du voyage pour les 30 000 exemplaires de l’édition américaine.  


BIEF : Les droits ont été vendus dans 16 pays, en Europe, aux États-Unis, en Israël, en Amérique latine. Comment la vente s’est-elle faite ? De manière "classique", à Francfort, ou avez-vous mis d’autres stratégies en place ?  


M.V. : Si, par manière classique, on entend le talent qu’avait l’ancienne directrice du service des droits étrangers de saisir très vite le potentiel d’un livre et d’en faire un succès avant l’heure, je dirais oui. Je n’ai aucun mérite. En revanche, le long travail qui a suivi l’engouement des premières cessions et l’adrénaline des enchères revient à l’équipe. Nous avons été très attentives aux retours et aux souhaits de l’auteur. Jean-Claude Grumberg, l'un des dramaturges français contemporains les plus joués dans le monde, n’a pas d’email. Tous les projets de couvertures lui sont envoyés par voie postale et nos échanges téléphoniques sont des moments merveilleux. 


BIEF : 
Y a-t-il une vente qui a facilité les autres ?


MV : La cession au Royaume-Uni a sûrement ouvert la voie pour la sous-cession aux États-Unis mais, de façon générale, toutes les cessions sont des coups de cœur. Je ne sais pas si nous y sommes pour quelque chose, mais peut-être nous en avons été l’une des conditions réunies. Par exemple, l’éditeur grec a lu le livre sur notre recommandation, plusieurs mois après sa parution. La langue grecque étant ma langue maternelle, je lui ai même proposé de relire la traduction et il a accepté.


BIEF : Qu’ont fait les éditeurs pour promouvoir le titre ?  


M.V. : Ils l’ont publié. C’est tout ? C’est TOUT. Dans un contexte si difficile, publier est déjà un acte de résistance et de promotion culturelle. Les éditeurs n’ont pas pu inviter l’auteur, mais ils ont fait un travail remarquable auprès des libraires et des journalistes.


Propos recueillis par Katja Petrovic

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