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Portrait et entretien de professionnel

Trois témoignages autour des ventes de droits en Chine

juin 2020

Comme partout, les éditeurs chinois achètent moins de nouveautés et misent sur les titres de fonds et la réimpression de best-sellers. Pour continuer à les soutenir dans ce contexte difficile, le Programme d’aide à la publication de l’ambassade de France en Chine a bénéficié d’une enveloppe conséquente, explique Judith Oriol, responsable du Bureau du livre.


"Vendre des droits, c’est aussi composer avec des marchés qui émergent ou qui reculent"


"À ma connaissance, les échanges de droits avec la Chine ont repris car les Chinois préparent l’avenir et ce qui se joue aujourd’hui, ce sont des cessions pour des titres à paraître dans deux ou trois ans. Les statistiques parleront a posteriori mais la crise aura bien sûr un impact sur le nombre des cessions de droits. Elle aura également modifié la nature des livres vendus aux éditeurs chinois durant cette période. Ceux-ci ont privilégié les réimpressions de best-sellers ; ce moment a été propice à beaucoup de renouvellements de contrats pour des titres français qui s’étaient bien vendus. En ce qui concerne la fiction et la non-fiction, les éditeurs chinois se sont concentrés sur des valeurs sûres et des livres ayant fait leurs preuves sur d’autres territoires, puisés dans les backlists des éditeurs français au détriment de leurs nouveautés. Notre production en non-fiction s’en sort néanmoins toujours un peu mieux en Chine, et nous avons noté une appétence pour les ouvrages sur la santé et pour la vulgarisation scientifique en général. 

 

Leur propre production a été inondée de livres scientifiques sur le coronavirus, qui se sont massivement exportés, comme par exemple l’ouvrage collectif The Coronavirus Prevention Handbook. 101 Science-Based Tips that Could Save your Life, dirigé par Wang Zhou, médecin-chef au Centre de prévention et de contrôle des maladies de Wuhan, publié par Hubei Science and Technology Press et dont les droits ont été vendus dans plus d’une douzaine de langues.

 

"Une tendance à la baisse qui a commencé bien avant la crise sanitaire"

 

Ceci étant dit, la tendance à la baisse des cessions de droits de livres français a sans doute commencé bien avant la crise du Covid-19. Selon un rapport de l’Administration nationale de la presse, de l’édition et de la radiodiffusion publié fin 2019, le chiffre d'affaires du secteur du livre en Chine en 2018 était à la hausse, estimé à 93,73 milliards de yuans (+6,6% par rapport à 2017). Dans ce contexte dynamique, la Chine avait en 2018 acheté les droits de 16 829 livres étrangers (-8% par rapport à 2017) et vendu les droits de 10 873 livres (+1,9% par rapport à 2017). La crise que nous traversons ne va pas faire s’effondrer les cessions de droits de livres français en Chine, mais elle s’inscrira dans une tendance à la baisse.

 

D’ailleurs nous constatons une diminution du nombre de titres publiés. Comme partout, les éditeurs ont tendance à être plus prudents. Dans un contexte où le pouvoir d’achat a diminué, ils donnent la priorité à des titres qui se vendront. Mais nous continuons à promouvoir le livre français, c’est non seulement possible mais indispensable. Il me semble plus important encore, actuellement, d'aider les éditeurs chinois à s’intéresser à notre littérature et à notre pensée.


Ainsi notre Programme d’aide à la publication continue à se déployer malgré les incertitudes budgétaires 2020. C’est un programme qui a été considéré comme prioritaire par l’ambassade et a bénéficié d’une enveloppe conséquente. Notre soutien est particulièrement apprécié à un moment où les éditeurs chinois ne s’attendaient pas forcément à recevoir de telles aides.

 

"Une mission encore plus intéressante et nécessaire" 

 

Un autre projet a été développé depuis janvier 2020 pour relayer l’actualité littéraire française et apporter notre pierre à l’édifice des relations entre éditeurs français et chinois. S’ils sont déjà en contact avec les éditeurs français, les Chinois sollicitent néanmoins régulièrement notre aide pour sélectionner les titres qui, au sein d’une production française massive, pourraient le mieux leur correspondre. J’ai donc décidé de mettre en place une newsletter hebdomadaire, "Le livre de la semaine", présentant à chaque fois un ouvrage français à notre réseau d’éditeurs chinois. Cette newsletter prolonge les efforts des éditeurs français en donnant un éclairage supplémentaire à des livres qui mériteraient de trouver un éditeur en Chine. Le choix des titres et les contenus sont définis en collaboration avec les éditeurs français. Dans le contexte actuel, nous proposons en priorité cet espace à des maisons plus petites, qui ont moins facilement accès aux partenaires chinois. Suite à la dernière newsletter, le responsable des droits étrangers de la série présentée nous a écrit le jour même de l’envoi pour nous dire que deux éditeurs chinois l’avaient déjà contacté pour recevoir des renseignements et des PDF. Je ne sais pas si ces projets aboutiront mais avec ce type d’initiative nous agissons comme un intermédiaire, un facilitateur. C’est le rôle d’un Bureau du livre, ni plus ni moins. 

 

En outre, il est possible que l’édition française puisse bénéficier, pendant un certain temps, des conséquences des tensions entre la Chine et les États-Unis. Les éditeurs font actuellement moins de place aux auteurs américains et les Européens pourraient profiter d’un report d’intérêt. Dans tous les cas, les prochaines années de collaboration entre éditeurs chinois et français s’annoncent passionnantes et les difficultés attendues rendront notre mission encore plus intéressante et nécessaire. 

 

Vendre des droits, c’est aussi composer avec des marchés qui émergent, d’autres qui reculent, souvent au gré des crises politiques et économiques. Je me souviens de la montée en puissance de la Pologne il y a quelques années, ou a contrario de la crise au Brésil qui a fait reculer le nombre de cessions de droits dans ce pays, ou encore de la hausse du prix du papier en Turquie qui a freiné les achats de nos partenaires turcs, malgré eux. Je ne crois pas que les éditeurs français soient dépendants du marché chinois, car je ne pense pas qu’ils travaillent avec la Chine au détriment d’autres territoires. Tout est question d’équilibre !"




"L'éducation, y compris l’édition jeunesse, sort généralement des crises par le haut"


Depuis 2017, le groupe Bayard a créé la coentreprise Bayard Bridge avec le groupe chinois Trust Bridge Global Media pour proposer des livres jeunesse français aux éditeurs chinois. Si, du fait de la crise sanitaire, le groupe est actuellement plutôt occupé par les renouvellements de droits, il continue néanmoins d’étudier les opportunités de faire paraître des nouveautés, constatent Stéphanie Simonin, responsable de Bayard Bridge et Pauline Armand, responsable des droits du groupe Bayard pour l’Asie.


"La Chine est un pays où la vente en ligne est très importante, pour la vente de livres en général et notamment pour la jeunesse qui représente désormais 30% du marché. Pendant le confinement, les ventes en ligne se sont bien maintenues et ont même progressé en jeunesse. De ce fait nous ne constatons sur notre propre activité qu'une très faible baisse du chiffre d'affaires, en tout cas à court terme. Nous recevons des offres de renouvellement de droits principalement, mais nos principaux partenaires étudient également nos catalogues de nouveautés. 

 

Comme dans beaucoup de territoires, les nouveautés sont tout de même les plus impactées par rapport au fonds. En vente de droits, il n’y a plus de salons pour présenter les nouveautés et nous remarquons une plus grande prudence des éditeurs chinois qui misent davantage sur les best-sellers ou réimpressions et suites de collections. Du côté des familles, la fermeture des librairies et des écoles et la lente reprise des commerces offline rend difficile la découverte des nouveautés, même si la promotion et la vente sur les réseaux sociaux sont de plus en plus courantes.

L'incertitude économique a certainement des conséquences sur nos échanges, autant que le risque sanitaire en cas de deuxième vague. Les éditeurs ont des marges plus faibles sur les canaux offline ce qui peut impacter aussi leur économie. Nous devons envisager de travailler à distance sur une durée plus longue qu'imaginée, même s'il n'y a pas de seconde vague. Pas de déplacements prévus avant la fin de l'année 2020... L’absence de rencontres avec nos éditeurs partenaires risque de distendre nos relations et nous souhaitons nous rendre en Chine dès que possible. 

 

En attendant nous continuons la promotion de nos livres. L'éducation, y compris l'édition jeunesse sort généralement des crises par le haut et les relations tissées de longue date avec nos partenaires chinois nous aideront certainement. Mais, nous devons repenser nos outils, nos catalogues, nos petites attentions à l’égard de nos contacts principaux."




"Pour la bande dessinée, presque tout est à l’arrêt"


Les éditeurs chinois ayant repris leur activité dès le mois de mars, les échanges de droits entre la France et la Chine ont redémarré doucement. Cependant, on ne peut pas encore parler de reprise, du moins dans le secteur de la bande dessinée, témoigne Sylvain Coissard, agent de Denoël Graphic, Gallimard BD, Sarbacane BD, 21g, Cornélius, Rue de l’échiquier BD et La Pastèque.




BIEF : Selon vous, quelle est la situation des éditeurs chinois en ce moment ?

 

Sylvain Coissard : Pour moi, presque tout est à l’arrêt… J’avais signé un gros deal pour dix albums avec un éditeur chinois à Angoulême, qui vient d’être purement et simplement annulé. Par ailleurs, mes sous-agents me disent que certains éditeurs ont des problèmes de trésorerie, ont besoin de temps pour payer les relevés de ventes et ont arrêté de nombreux projets de publication et d’achats de droits. En ce qui me concerne, on ne peut pas parler de reprise. Dans les librairies ouvertes, les clients ne semblent pas au rendez-vous et les ventes par internet sont également très affectées.
 

BIEF : Comment travaillez-vous actuellement avec vos partenaires chinois ?


S.C. : Je les relance, je les informe, j’essaye d’avoir de leurs nouvelles, mais ce n’est pas évident… J’ai l’impression que le contrôle de l’Internet s’est renforcé, ils ne sont guère enclins à évoquer la situation, ni économique ni sanitaire. J’espérais que les choses se normalisent rapidement, mais la menace d’une seconde vague douche quelque peu mes espoirs. 

 

BIEF : La crise actuelle pose aussi la question de la place très importante que la Chine a prise dans les échanges de droits avec la France ces dernières années. Les éditeurs français devraient-ils essayer de trouver des alternatives à moyen ou long terme ? 

 

S.C. :  En bande dessinée, c’est peut-être moins flagrant que dans un domaine comme la jeunesse. Certes on a signé un certain nombre de contrats ces dernières années, mais ce n’est pas non plus un raz-de-marée, en tous cas pour ce qui me concerne, car il y a beaucoup de restrictions, beaucoup de titres avec du sexe, de la politique ou du social ne franchissant pas la barre de la censure. Et puis seul un petit nombre d’éditeurs publient de la bande dessinée avec conviction. Déjà l’an dernier on avait assisté à une baisse, avec des restrictions de délivrance d'ISBN… En 2020 ce devrait être encore pire. Pour ma part et compte tenu de mes catalogues, je n’ai jamais vraiment misé sur le marché chinois comme un "eldorado" sur le long terme, davantage comme un marché avec des potentialités intéressantes, notamment à court et moyen terme. Il reste de nombreux problèmes et doutes à différents niveaux, que ce soit sur la censure mais également la diffusion, les librairies, les relevés de ventes, la pérennité des partenaires… Pour l’instant la Chine reste à mes yeux un marché en construction, assez fragile, et avec des réalités de ventes assez faibles, malgré quelques acteurs de grande valeur. La contraction de ce marché reste néanmoins une mauvaise nouvelle pour les éditeurs français...


Propos recueillis par Katja Petrovic