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Portrait et entretien de professionnel

"La machine semble loin d'être totalement repartie", entretien avec Olivier Mannoni

juin 2020

Suite à la crise sanitaire, la vente et l’acquisition des droits ont fortement baissé. Partout les éditeurs sont contraints de réduire et de reporter leurs nouveautés, ce qui impacte également le travail des traducteurs, comme en témoigne Olivier Mannoni, traducteur de l’allemand, qui dirige également l’École de traduction littéraire au Centre national du livre.


BIEF : Quelles sont les conséquences de la crise pour les traducteurs littéraires en général et pour vous, en tant que traducteur de l’allemand ?


Olivier Mannoni : Nous avons tous eu, dans le meilleur des cas, des reports de publications, dans le pire des cas des annulations de projets, voire de contrats. J'ai eu la chance d'avoir plusieurs projets déjà signés et un autre, prévu de longue date, devrait l'être sous peu. Mais l'année va être nettement plus difficile que les précédentes, pour ce qui me concerne. Et catastrophique pour certains et certaines de mes collègues. Les mois de mars, avril et mai ont provoqué des pertes gigantesques dans tous les secteurs, je doute qu'aucun s'en remette si facilement.

 

BIEF : Existe-t-il des aides attribuées directement aux traducteurs ? Ou aux éditeurs pour les inciter à continuer la publication des traductions ? 

 

O. M. : Oui, toute une série d'aides a été mise en place, et l'on ne peut que s'en féliciter. Une aide très importante a été instaurée par le CNL, via la Société des gens de lettres (SGDL). Une aide directe de l'État existe aussi, mais comme d'habitude il a fallu six semaines pour que, malgré les avertissements répétés des associations, on comprenne que les auteurs, et donc les traducteurs, n'ont pas de Siret, numéro sans lequel on ne peut pas accéder au formulaire. On peut par ailleurs regretter que ces aides soient accordées selon des critères différents et variés par une kyrielle d'organismes, qu'elles soient difficiles d'accès et soumises, comme toujours en France, à un parcours bureaucratique complexe et chronophage. Enfin, "l'exonération" de charges sociales promise aux auteurs est en train de se transformer en une "réduction" modulable selon les revenus et versée... fin 2021. Ubu est toujours roi dans notre pays. À ma connaissance, aucune aide spécifique ne concerne la publication de traduction, mais le dispositif existant au CNL est déjà très solide.

 

BIEF : De quelle manière a réagi l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) ?

 

O. M. : L'association tente de guider ses membres aussi précisément que possible dans le maquis des diverses aides d'urgence, et le fait efficacement en dépit des difficultés multiples auxquelles nous nous heurtons.

 

BIEF : Comment voyez-vous l’évolution de la traduction à moyen terme ? 

 

O. M. : Nous ne sommes pas face à une crise de système, mais à une crise conjoncturelle. Il me semble que l'édition a fait le bon choix : reporter tout ce qui pouvait l'être, préparer une rentrée de septembre solide. C'est ensuite que tout va se jouer, sur l'automne et l'hiver, et donc sur le travail qui va se faire cet été pour trouver de bons livres et les mettre en traduction. De ce point de vue-là, la machine semble loin d'être totalement repartie.  


Propos recueillis par Katja Petrovic, © photo Olivier Mannoni / Françoise Mancip-Renaudie