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Compte rendu

À la découverte de l’édition tchèque

juin 2019

14-18 avril 2019

La deuxième édition des Séjours Perspectives a emmené quatre éditeurs français à Prague. Au retour de ce voyage qui leur a permis de rencontrer un grand nombre de professionnels tchèques, ils ont partagé leurs connaissances et leurs impressions sur ce marché à l’occasion d’une table ronde au BIEF. Ces informations figureront également dans l’étude que le BIEF publiera dans quelques semaines.


Lancés en 2019, les Séjours Perspectives réunissent une délégation de quatre professionnels du livre français, spécialisés dans différents domaines éditoriaux, qui partent à la découverte d’un marché du livre émergent ou en transition. Après la Grèce, la République tchèque était au programme d’une deuxième édition réunissant Geneviève Lebrun-Taugourdeau (Mercure de France), Anne Madelain (EHESS), Sylvain Coissard (Gallimard BD, Sarbacane BD, etc.) et Élodie Gachot (Edi8).

 

En introduction, Anne Madelain, chargée de la coopération internationale à l’EHESS, a rappelé le contexte socio-culturel du pays, l’histoire des liens souvent conflictuels avec le monde germanique et la langue allemande, la naissance de la nation tchèque au XIXe siècle, indissociable de l’émancipation linguistique ("être tchèque, c’est parler tchèque"), puis la période communiste et les textes publiés en samizdat, c’est-à-dire sous le manteau et dans la clandestinité pour échapper à la censure. "L’édition de SHS et le monde intellectuel tchèque contemporain sont issus de cette culture de résistance", précise-t-elle.

 

L’édition de sciences humaines et sociales, un paysage éclaté

 

Selon Anne Madelain, "les structures éditoriales dans le secteur des sciences humaines et sociales sont très variées, pour la plupart nées au début des années 1990, après la chute du régime communiste. Certaines sont nées dans l’époque héroïque du samizdat mais la plupart ont été fondées juste après 1990. D’autres, rares, sont héritières d’une histoire plus longue comme Vyšehrad. Il existe aussi de très petites maisons privées comme Novela Bohemica, des petites maisons associatives avec des liens étroits avec l’université (Oikoymenh, Slon), des maisons généralistes ayant des secteurs SHS importants (comme Argo ou Paseka) et des maisons d’édition universitaires. Il est difficile de définir les acteurs dominants, tant le paysage est éclaté", explique Anne Madelain. Les thématiques qui marchent sont l’histoire traitant des deux guerres mondiales, les livres de voyage et les voyageurs tchèques dans le monde et la psychologie dans le domaine de la non-fiction commerciale.

 

"Le pratique, un secteur dynamique, influencé par les tendances anglophones et germanophones"

 

Élodie Gachot, chargée de cessions de droits chez Edi8, a découvert le domaine de l’édition pratique en République tchèque, "un secteur très dynamique et sous l’influence des tendances anglophones et germanophones", résume-t-elle. Porté par les deux plus grands groupes, Albatros Media et Euromedia, le paysage éditorial compte également des maisons indépendantes "ambitieuses et performantes" telles Grada, le groupe Nase (Omega, Via et Pangea) ou Jota. "Les éditeurs achètent des droits notamment de la langue anglaise puis allemande. La langue française en revanche est peu lue des Tchèques et les traductions du français leur coûtent plus cher que de l’anglais ou de l’allemand", explique Élodie Gachot. La promotion des livres pratiques se fait beaucoup via Facebook. Par contre, il n’existe pas encore de youtubeurs ou d’influenceurs sur les réseaux sociaux, "c’était étonnant pour les éditeurs tchèques que des youtubeurs écrivent des livres en France".

 

L’âge d’or de la BD tchèque

 

Concernant l’édition de BD, Sylvain Coissard (agent pour les bandes dessinées Gallimard, Sarbacane, Denoël Graphic, Rue de l'échiquier...) était très agréablement surpris par ce qu’il a découvert sur place : "En tant qu’agent, je n’avais pas mesuré le dynamisme de la BD et du roman graphique en République tchèque, c’est un pays prospère qui mérite qu’on s’y intéresse", constate-t-il. Cela fait dix ans que le marché de la BD est structuré. S’il y avait peu de BD pendant la période communiste, beaucoup d’éditeurs privés se sont soudainement mis à en publier à partir de 1989, "souvent avec trop d’ambition" et nombre d’entre eux ont disparu au milieu des années 1990. Aujourd’hui Crew est le plus grand éditeur de BD, avec 150 titres par an, des BD grand public venant des États-Unis notamment, mais le catalogue compte également 15 à 20 % de traductions du français. D’autres éditeurs comme la maison indépendante Labyrint publient des auteurs tchèques qu’ils comptent exporter mais, précise Sylvain Coissard, "ils sont ouverts à la production française également et cela vaut le coup de les rencontrer à Francfort."

 

L’édition littéraire à la recherche de bestsellers

 

Geneviève Lebrun-Taugourdeau, responsable des droits au Mercure de France, a rencontré des éditeurs de littérature à Prague, dont Petr Janus, fondateur des éditions Studio Rubato qui publient principalement de la littérature française et tchèque, des essais de sciences politiques et des essais liés aux arts visuels. Selon lui, l’édition littéraire souffre d’une surproduction liée à un trop grand nombre d’éditeurs pour un très petit marché. Puis, explique-t-il, "la culture du livre s’est détériorée depuis la chute du régime communiste. La sphère commerciale a envahi le marché et les lecteurs sont de moins en moins sensibles aux textes exigeants." Les ouvrages de littérature restent pourtant de beaux objets, avec des couvertures reliées, vendus entre 8 et 10 euros ; le format poche n’existe pas, explique Geneviève Lebrun-Taugourdeau. Un tiers des publications en littérature sont des traductions, d’abord de l’anglais, puis de l’allemand et du slovaque. À la recherche de bestsellers, les éditeurs tchèques s’intéressent également à la littérature scandinave.

 

Le livre jeunesse, un secteur traditionnel et conservateur

 

L’édition jeunesse en République tchèque se distingue beaucoup de celle en France. Il y a peu d’éditeurs spécialisés en jeunesse et la production d’albums est moins importante. Préférant le texte, les lecteurs ne sont pas prêts à payer cher pour des livres illustrés. Assez conservateur, le lectorat n’est pas non plus ouvert aux sujets d’actualité ou de société. Les livres jeunesse doivent poser un regard enchanteur sur le monde à l’image d’Albatros Media, l’éditeur tchèque du Petit Nicolas, d’Harry Potter et du Petit Prince, qui avait commencé par éditer de la jeunesse avant de devenir généraliste. Les éditions Baobab font exception en publiant des livres illustrés par de jeunes dessinateurs tchèques. Riad Sattouf et David B. ont également trouvé leur place dans le catalogue de cet éditeur.


Katja Petrovic

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