Articles

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter Partager sur LinkedIn

Compte rendu

Retour sur la première édition des Séjours Perspectives à Athènes

février 2019

20-24 janvier 2019

Suite à leur participation au premier Séjour Perspectives proposé par le BIEF, Thomas Bout, Lise Chasteloux, Laurie Jesson et Maria Vlachou ont partagé leurs impressions sur le marché grec lors d’une table ronde organisée au CNL. Les quatre jours passés à Athènes leur ont permis de rassembler des informations précises et d’autant plus précieuses que les statistiques officielles font défaut.


Suite à leur participation au premier Séjour Perspectives proposé par le BIEF, Thomas Bout, Lise Chasteloux, Laurie Jesson et Maria Vlachou ont partagé leurs impressions sur le marché grec lors d’une table ronde organisée au CNL. Les quatre jours passés à Athènes leur ont permis de rassembler des informations précises et d’autant plus précieuses que les statistiques officielles font défaut.

 

Confrontée à une très forte crise économique depuis 2008, la Grèce connaît depuis peu quelques signes de reprise, suite à des réformes drastiques et trois programmes d'aide européens. Dans ce contexte, le monde éditorial grec a essuyé de grandes difficultés, avec un affaissement des indicateurs notamment en 2009 et 2012. Aujourd’hui, on constate une certaine embellie et des signes encourageants, comme le retour récent au prix unique du livre ou l’annonce de la réouverture d’un centre national du livre. Les cessions de droits sont aussi en hausse ces trois dernières années avec, en 2017, 215 titres cédés par les éditeurs français aux Grecs.

 

Thomas Bout, fondateur et éditeur de Rue de l’échiquier a été impressionné par la façon dont les jeunes éditeurs grecs, profondément marqués par les difficultés économiques, contrebalancent ce climat post crise grâce à leur créativité. Les éditions Doma, dont le nom signifie "petite chambre d’étudiant", en sont une bonne illustration. Créée en 2017, cette maison familiale souhaite aujourd’hui "renouveler le rapport de la Grèce moderne avec son Antiquité" et propose un catalogue de documents d’actualité, par exemple sur la guerre en Syrie, l’électorat de Trump, la musique folk, etc. La maison envisage le développement d’un domaine littérature, ayant une sensibilité particulière pour des auteurs contemporains comme Houellebecq ou Coetzee, et aimerait publier de nouvelles traductions de Rousseau ou de Sartre. "Une ligne éditoriale intuitive", selon Thomas Bout qui remarque également la créativité au niveau de la promotion dont fait preuve la maison, par exemple en filmant la fabrication de son premier titre, entièrement relié à la main par les membres de l’équipe. Comme pour beaucoup de petits éditeurs grecs, la diffusion-distribution se fait en effet sous forme d’autodiffusion.

 

Un retour sur l'histoire nationale et les auteurs classiques

"Les éditeurs de sciences humaines sont friands d’histoire et de philosophie", remarque de son côté Maria Vlachou, directrice des droits étrangers pour le groupe Humensis, en précisant que peu d’éditeurs grecs sont uniquement spécialisés en sciences humaines et sociales. C’est d’ailleurs un élément structurant du marché : en Grèce, les maisons d’édition sont peu spécialisées, elles proposent un catalogue souvent généraliste. Les livres d’histoire et de philosophie arrivent en tête de la production. Du côté des acquisitions, les traductions ont connu une forte baisse au plus fort moment de la crise en 2013, mais sont de nouveau stables avec 40 titres de non-fiction et de SHS achetés aux éditeurs français en 2018. Maria Vlachou est également revenue sur d’autres spécificités de l’édition grecque : l’absence de concentration du marché, la structure souvent familiale des maisons et le système des "syggramata" : des ouvrages distribués gratuitement aux étudiants qui sont particulièrement nombreux en Grèce. En forme de conclusion, elle confirme que les éditeurs grecs "ont aujourd’hui remonté la pente".

 

De son côté, Lise Chasteloux, chargée des droits chez Gallimard, a proposé un panorama des éditeurs de littérature rencontrés à Athènes, dont beaucoup sont très francophiles. Dans l’ensemble, elle remarque un retour aux auteurs classiques et un intérêt prononcé pour les polars sociaux. Lise Chasteloux distingue plusieurs types de maisons, à commencer par celles très littéraires et engagées comme Agra et Polis. Le fondateur de cette dernière, Nikos Ghionis publie des romans étrangers, dont beaucoup d’auteurs français tels Patrick Modiano, Éric Vuillard ou Jean Echenoz. Le catalogue donne aussi une belle place aux livres d’histoire et de philosophie politique, avec par exemple des auteurs de l’école de Francfort. Puis, Lise Chasteloux évoque les maisons à la fois littéraires et commerciales, comme Patakis, fondée comme beaucoup de maisons grecques après la fin de la dictature des colonels en 1974. Elle publie environ 400 titres par an parmi lesquels des bestsellers comme les livres d’Elena Ferrante et ceux d’auteurs plus confidentiels comme Gaël Faye.

 

Le secteur qui a le mieux résisté à la crise est sans doute celui de la jeunesse. "La majorité des éditeurs généralistes publie de la jeunesse, qui peut représenter jusqu’à 50 % de la production et du CA", explique Laurie Jesson, responsable des droits chez Kaléidoscope. On constate une surproduction, notamment pour les livres destinés aux 0-3 ans. Le marché est largement dominé par les albums tandis que le segment Young Adult reste très marginal et sans perspectives réelles de développement. Les adolescents doivent préparer d’importants concours pour l’entrée à l’université et manquent de temps de loisir, explique Laurie Jesson. Elle remarque aussi que les éditeurs jeunesse publient des livres souvent à valeur éducative, plutôt sérieux. "Pas de monstres, pas de sorcières, pas de fantastique", résume Laurie Jesson qui remarque également un certain conservatisme, et comme "une barrière visuelle" au niveau graphique. Si les auteurs de l'Hexagone sont appréciés et traduits en grec, les illustrations françaises sont jugées parfois trop audacieuses. "On aime ce qui est dit mais on n’aime pas toujours ce que l’on montre !"

Le calendrier des publications n’étant pas le même en Grèce et en France (la production connaît un pic avant les vacances d’été et pas tellement à la rentrée), les éditeurs grecs sont ouverts aux cessions, davantage qu’aux coéditions, précise Laurie Jesson.

 

"J’ai appris beaucoup de vos témoignages !" a conclu Niki Dougé, agente grecque invitée également à cette table ronde sur l’édition en Grèce. Le prochain Séjour Perspectives aura lieu à Prague du 14 au 18 avril 2019.

 


Katja Petrovic & Clémence Thierry

Précédent Suivant

Plus d'infos