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Compte rendu

La France et l’Italie, deux marchés proches mais très différents

juillet 2018

Les rencontres franco-italiennes d'éditeurs de littérature, sciences humaines et  jeunesse ont rassemblé plus de 130 

professionnels des deux pays. Les visites en librairies, les tables rondes et les rendez-vous BtoB à Rome et à Milan ont donné un bon aperçu de l’état actuel du marché italien et permis de dynamiser les relations commerciales entre ces deux pays déjà très actifs dans la vente de droits.


"Ceci est une librairie" et "Lire ne coûte pas cher" est-il écrit à l’entrée de la librairie Ottimomassimo à Rome. En effet, sa directrice Debora Soria doit sans cesse inventer pour attirer le public dans sa librairie jeunesse, car "les gens lisent de moins en moins". Avec 40 % d’Italiens déclarant avoir lu un livre durant l’année 2017 (contre 91 % en France), l’Italie affiche un des taux de lecture le plus bas d'Europe. Plus de la moitié des librairies indépendantes a fermé à Rome ces dix dernières années, "et nous n’arrivons pas à nous associer ; en Italie, c’est chacun pour soi", raconte Debora Soria qui a donc fait le choix d’avancer "toute seule". L’ancienne directrice de la prestigieuse librairie jeunesse Giannino Stoppani à Bologne a créé Ottimomassimo d’abord sous forme d’une librairie itinérante, puis dans le Trastevere de Rome, en 2014. L’année dernière, elle a également ouvert la première librairie à Lampedusa malgré "toutes les résistances sur place".

 

Des choix drastiques pour se différencier

 

Pour faire face aux chaînes de librairies appartenant souvent aux grands groupes comme Feltrinelli ou Mondadori et qui vendent leurs livres aussi sur Internet, avec une remise allant de 15 à 25 %, elle a fait des choix drastiques : "Chez moi, pas de Disney, pas de livres en référence aux séries télés, je propose de bons livres aux enfants." Sur "l’important mouvement gender en Italie" par exemple. Des livres comme Leggere senza stereotipi ou Buffalo Bella (traduit du français, Buffalo Belle, d'Olivier Douzou, publié par le Rouergue) sur une enfant qui ne se sent ni fille ni garçon, qui permettent d’aborder des sujets très difficiles "dans une Italie traditionnelle et catholique". Un choix militant, loin des bestsellers, qui permet de se différencier et d'avoir une meilleure visibilité.

 

Même son de cloche à la très belle librairie Stendhal, nouveau nom de la librairie française de Rome, entièrement rénovée en 2017. "Ici, les gens viennent pour le fonds, qui représente 75 % de nos ventes. Deux tiers de nos clients sont des Italiens francophones, universitaires, traducteurs, à la recherche de titres très pointus et nous pouvons donc nous permettre des choix assez élitistes", explique Marie-Ève Venturino qui a repris la librairie l’an dernier pour en faire un lieu vivant. Elle propose des lectures, signatures et conférences, plus d’une centaine par an, notamment grâce au soutien de l’Institut français. En plus des problèmes habituellement rencontrés par les librairies indépendantes (loyers très élevés, concurrence avec les chaînes de librairies et Amazon), Marie-Ève Venturino se bat contre l’augmentation des coûts de transport et les délais de livraison. "Je devrais vendre mes livres 18 % plus cher pour compenser ces frais." Mais pour elle, pas question d’abandonner le combat : "Notre métier de libraire est très différent à l’étranger : nous devons jouer la carte du service, du dynamisme, de la convivialité, ou... mourir."

 

Diffusions des ouvrages et promotion des auteurs : quels enjeux, quelles pratiques ?

 

Vu la situation difficile pour les librairies indépendantes et la production toujours plus grande en Italie et en France, quelles stratégies sont mises en place par les éditeurs pour promouvoir leurs livres ? Tel était le principal sujet abordé lors de la table ronde, organisée à Rome avec la fondatrice des éditions indépendantes 66thand12nd, Isabella Ferretti, le directeur de la maison de jeunesse romaine éponyme, Carlo Gallucci, et Virginie Migeotte qui a fondé une agence de relations éditeurs/libraires pour plusieurs maisons d’édition françaises. "Évidemment, il est difficile pour tous ces éditeurs indépendants de convaincre le peu de libraires indépendants qui restent de vendre des longsellers de qualité et de défendre des catalogues de fonds", témoigne Isabella Ferretti qui publie 80 % de fiction étrangère dont 50 % d’auteurs français. "Même si le secteur de la jeunesse se porte très bien, nous avons également besoin de liens directs avec les libraires indépendants pour savoir combien d’exemplaires nous mettons en place, car nos livres coûtent très cher", précise de son côté Carlo Gallucci.

 

Des niches à tout prix…

 

Pour créer des relations privilégiées, voire amicales, avec les libraires, les éditeurs misent tout d’abord sur la constitution d’un catalogue aux choix personnels, facile à identifier. Peu importe le secteur, les éditeurs doivent trouver des niches, à l’instar des éditions Fazi avec des classiques oubliés retraduits - comme John Edward Williams - ou avec des sagas familiales publiées en séries qui marchent très fort. De même pour les éditions Donzelli qui misent sur des sujets de société "polémiques" pour toucher les lecteurs de sciences humaines : "Lorsque tout le monde parlait de 68 en France, nous avons publié un livre sur ‘The forgotten 68’ dans les pays qui étaient sous domination soviétique à cette époque." De son côté, Lorenzo Ribaldi des éditions La nuova frontiera s’est spécialisé dans la traduction de livres latino-américains, en sachant qu’il touche un public restreint mais très pointu grâce à ce choix.

 

Pour être en lien direct avec les lecteurs, les éditeurs italiens participent aux nombreux festivals littéraires et salons où ils vendent leurs livres en direct. Un problème pour les libraires qui sont "exclus" de ce genre de manifestation en Italie, reconnaît Isabella Ferretti.

 

"Amazon n’est pas l’ennemi"

 

Évidemment, les éditeurs collaborent étroitement avec Amazon. "C’est un client indispensable pour nous, explique Tiziana Triana des éditions Fandango. Les libraires indépendants ne peuvent pas nous accorder autant de place, car ils sont en crise. En revanche, Amazon a mis en ligne notre catalogue entier au bout d’un mois. On a besoin d’eux pour faire vivre notre fonds. Aujourd’hui 25 % de mes ventes se font sur Amazon." "Amazon n’est pas le problème, mais les grandes chaînes qui font des achats centralisés oui. Elles me prennent un ou deux titres par trimestre sans les défendre ensuite", confirme Elena Munafò des éditions Donzelli.

 

Si beaucoup d’éditeurs indépendants disposent dans leur maison d'une personne dédiée aux relations libraires, il n’y a pour l’instant pas de service extérieur pour assurer une surdiffusion plus personnalisée, telle que la propose Virginie Migeotte en France. Depuis 2010, l’ancienne libraire qui a également travaillé pour la revue littéraire Pages des libraires, défend les catalogues de plusieurs éditeurs indépendants auprès des libraires indépendants "souvent de la même génération, ayant les mêmes goûts et ayant fait les mêmes études" mais aussi de grandes surfaces spécialisées comme la FNAC. Une solution intéressante face à la surproduction qui impacte également le marché du livre italien.


Katja Petrovic

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