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Compte rendu

Forte mobilisation pour les rencontres franco-russes

avril 2018

La Russie était l’invitée d’honneur à Paris et en dépit d’un contexte politique tendu, les rencontres entre éditeurs français et russes en amont du salon ont permis d’échanger sur un autre registre. Une centaine de professionnels des deux pays y ont participé.


"Lorsqu’il s’agit de la Russie tout devient très vite politique", regrette Odile Belkeddar, traductrice du russe vers le français. Emmanuel Macron en a fait la démonstration le soir de l’inauguration de Livre Paris en évitant de passer par le Pavillon russe en raison de l’affaire Skripal. "Comme les relations politiques entre les pays européens et la Russie ne sont pas toujours faciles, les éditeurs russes se déplacent beaucoup pour créer des liens personnels en dehors de tout cela", explique Anastasia Lester, agente littéraire à Paris qui travaille avec la Russie depuis plus de 20 ans.

 

Un marché dynamique et de plus en plus ouvert

 

25 éditeurs russes ont participé aux rencontres franco-russes, organisées pour la deuxième fois par le BIEF après celles de 2005 (dernière fois où la Russie a été invitée d’honneur au salon). En treize ans, le marché russe a connu beaucoup de hauts et de bas, liés entres autres à la crise économique de 2014. En revanche, 2017 a été une bonne année pour l’édition russe et les perspectives pour 2018 rendent beaucoup d’éditeurs optimistes. "Il y a une dynamique positive, les éditeurs russes sont très professionnels et ils ont fait beaucoup de progrès dans le suivi de leurs ventes", remarque Anastasia Lester. Puis le pays s’est davantage ouvert, en témoigne la forte progression des traductions, de l’anglais d’abord, puis du français qui représente 8% des titres traduits.

 

La littérature étrangère, un gage de qualité

 

"Notre public a souvent plus confiance dans la littérature venue d’ailleurs, gage de qualité, que dans nos propres auteurs", témoigne Yulia Rautbort qui dirige le département fiction chez Eksmo. Elle note toutefois un intérêt croissant pour une littérature russe qu’elle qualifie de "sérieuse", en citant notamment les romans de Viktor Pelevine ou Ludmila Oulitskaïa. Pour autant, le marché de la littérature reste dominé par les ventes en polar, science-fiction ou fantastique (les titres de Daria Dontsova sont en tête de liste, ainsi que aussi ceux de Ray Bradbury), devant les auteurs russes classiques. Les prix littéraires sont aussi très lus, tout comme les titres adaptés au cinéma ou encore les livres qui traitent de sujets de société. Et de citer ici parmi les auteurs prisés en Russie, Guillaume Musso et Laetitia Colombani.

 

Un besoin de subventions et d’innovation pour les sciences humaines et sociales

 

En sciences humaines, Irina Kantemirova, directrice des prestigieuses éditions Rosspen, a tenu à rappeler la tradition d’une édition académique qui se veut exigeante, tournée d’abord vers les milieux universitaires et les chercheurs. Sur un plan commercial, le secteur ne s’en sort que grâce aux aides extérieures. "En tant qu’éditrice, mon rôle est avant tout de chercher des subventions". Si l’édition russe en SHS peut difficilement compter sur le réseau des librairies, il existe des alternatives, comme en témoigne Oleg Nikiforov des éditions Logos (voir entretien plus bas). Sa démarche est partagée côté français par Christophe Guias, directeur littéraire chez Payot, qui propose de créer des passerelles entre les sciences humaines et la BD, afin de conquérir de nouveaux lecteurs "et de répondre ainsi à leur soif de comprendre le monde".

 

Le russe représente moins de 1% des traductions en France

 

Du côté français, en revanche, les traductions du russe ne représentent même pas 1% des traductions et le marché reste peu connu. Certes, il y a eu "l’effet Alexievitch", prix Nobel de littérature en 2015 mais, remarque Anastasia Lester, "c’est dur de s’occuper d’auteurs russes en France. Si j’en vends un ou deux de ma liste, je suis contente. En revanche, lorsque je fais un bilan des vingt dernières années, il n’y a pas trop de lacunes. Iouri Bouïda, Vladislav Otrochenko, Zakhar Prilepine, Igor Sakhnovski… l’essentiel a été traduit, grâce au travail des éditeurs, agents et traducteurs. 

 

Un secteur jeunesse moins libre qu’hier

 

En jeunesse, les traductions sont encore plus rares malgré la grande tradition du livre jeunesse de l’époque soviétique. Grande tradition au niveau du style dont le graphisme était très en avance à l’époque, mais aussi au niveau des histoires qui, à l’époque stalinienne, contenaient souvent un double message. "Les auteurs parlaient entre les lignes pour critiquer le système. Les livres étaient très fantaisistes, voire délirants, pour échapper au réel", explique la traductrice franco-russe Odile Belkeddar. Aujourd’hui le secteur est beaucoup moins audacieux. "C’est le grand retour du style des années 1950, tout est joli mais surtout pas dérangeant", déplore Irina Balakhonova des éditions Samokat. "Certains sujets comme l’homosexualité sont censurés et en dehors des grandes villes le secteur est encore plus conservateur."

 

La bande dessinée en plein développement

 

Si la BD en Russie peut également souffrir de la censure, il s’agit tout de même d’un secteur en plein développement. En 2017, 600 titres sont parus en Russie et les grosses maisons ont découvert le secteur, telle Eksmo qui a racheté Komilfo, le plus grand éditeur indépendant de BD russe. La majorité des éditeurs indépendants se trouve à Saint-Pétersbourg, là où l’histoire de la BD a commencé. C’est aussi la ville natale de Dmitry Yakovlev qui a été l’un des premiers à se lancer dans l’aventure BD - un genre quasi inexistant en URSS. "Il y avait des BD pour enfants, les comics sont arrivés après la chute. Tintin et Astérix ont été publiés dans les années 2000 mais ils ne se vendent pas."

 

En 2009, Yakovlev crée les Éditions Boomkniga et publie beaucoup de romans graphiques français qu’il a découverts à l’Institut français de Saint-Pétersbourg. "Au début, les librairies généralistes ne voulaient pas vendre de BD. Les librairies de BD indépendantes se sont beaucoup développées et ont mis en place leur propre système de distribution, c’était un marché à part", se souvient Yakovlev dont la plus grosse crainte aujourd’hui est de se faire racheter, lui aussi, par un grand groupe… "sauf si c’était un groupe français comme Delcourt par exemple", s’amuse-t-il.

 

Katja Petrovic et Pierre Myszkowski

 

 

Interview avec Oleg Nikiforov

À la recherche de nouveaux formats pour de nouveaux lecteurs

 

Oleg Nikiforov a fondé à Moscou en 1997 la maison Logos, spécialisée en sciences humaines. Déjà présent au Salon du livre de Paris en 2005, il travaille actuellement sur un projet en rapport avec Mai 68 qu’il a présenté dans un festival de slam à Moscou et sur lequel il espère attirer l’intérêt des éditeurs français.

 

Oleg Nikiforov : En 1997, Logos était une revue philosophique que j’ai créée avec des amis avant de me lancer dans l’édition. Très vite nous avons eu envie d’éditer une version russe de La Lettre internationale, créée en France en 1984 mais qui, malheureusement, n’existe plus. Elle a été reprise en Allemagne. Comme on ne pouvait pas refaire exactement la même chose en Russie nous avons décidé de lancer La lettre internationale sous forme d’une collection de treize petits livres dont chacun est consacré à un sujet.

 

Quels sont les sujets que vous traitez dans cette revue ?

 

En ce moment nous travaillons sur le projet 100 révolutions, qui rassemble 100 propos sur différentes révolutions. Nous avons commencé l’année dernière avec la Russie à l’occasion du centenaire de la révolution d’Octobre. Nous nous intéressons aussi à la révolution de Novembre en Allemagne et bien sûr à Mai 68 en France. C’est une bonne occasion pour renouer le contact avec les éditeurs français.

 

Vous avez présenté ce projet dans le cadre du Poetry Slam Festival Post-Babel Condition à Moscou dont la deuxième édition était consacrée aux textes de non-fiction.

 

Oui, je cherche moi aussi de nouvelles voies pour m’adresser à des jeunes lecteurs de sciences humaines. Je trouve intéressant ce qu'a dit Christophe Guias sur l’immersion de la BD dans le secteur. C’est un défi. J’essaie depuis longtemps de faire passer mes contenus à travers différents médias, vidéos, films et slam, qui peuvent facilement entrer en interaction. Le spoken word est une nouvelle forme littéraire en Russie qui attire pas mal de monde à Moscou. La première édition du festival Post-Babel Condition avait rassemblé 20 auteurs de 10 pays dont Ludmila Oulitskaïa.

 

Propos recueillis par Katja Petrovic



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