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Portrait et entretien de professionnel

Francfort 2017. Des marchés en pleine évolution. Témoignages de trois éditeurs marocains et togolais

décembre 2017

L’édition en Afrique subsaharienne et au Maghreb reste assez peu connue. Les trois témoignages apportés cette année sur le stand des éditeurs d’Afrique et d'Haïti permettent de mieux cerner les acteurs de ce secteur et ses réalités.


Questions à Layla Chaouni, fondatrice des éditions Le Fennec à Casablanca

 

Sa maison, spécialisée en essais et littérature fête ses 30 ans en décembre. La collection Fennec poche, proposant des livres de qualité à des prix très accessibles, est devenue une référence au Maroc.

 

BIEF : Layla Chaouni, on entend souvent dire qu’il n’y a pas de marché pour la littérature dans les pays francophones du Sud. Est-ce toujours vrai ?

 

Layla Chaouni : Ce n’est pas vrai du tout qu’il n’y a pas de marché pour la littérature, pourquoi est-ce que je reprends autant d’auteurs de littérature en poche ? En septembre, j’ai assisté au premier Salon du livre maghrébin au Maroc qui a été un grand succès. Il s’est tenu à Oujda, ville frontalière avec l’Algérie. L’inauguration du Salon avait lieu dans un théâtre impressionnant. La région a mis les moyens, avec des tables rondes, des expos. Le public était très jeune et il était nombreux à venir sur mon stand pour rencontrer Mahi Binebine, dont j’ai sorti tous les anciens livres qui n’étaient pas réédités en France en poche. Le Fou du roi, je l’ai sorti avant Stock avec une autre couverture bien sûr. Mais tous les journaux marocains qui ont parlé de ce roman, sélectionné pour le Renaudot, n’ont montré que la couverture de Stock. Les journalistes marocains ! C’est fou, ils n’en sont pas conscients. Il faudrait vraiment sensibiliser toute la chaîne du livre à ces questions.

 

 

Témoignage de Yasmin Issaka, éditrice de jeunesse au Togo

 

Sa maison, Graines de pensées, créée il y a 12 ans, était l’une des premières à éditer des livres non seulement en français, mais aussi dans des langues nationales.  

 

"Quand on a commencé, c’était un terrain miné parce que le Togo est un tout petit pays avec une faible professionnalisation et un taux d’analphabétisme qui était encore, il y a douze ans, d’environ 40%. Mais les choses ont évolué, aujourd’hui il est autour de 10%. Nous en avons tenu compte en développant notre ligne éditoriale.

 

Nous voulions et voulons toujours proposer à nos enfants des ouvrages proches de leur réalité, dans lesquels ils peuvent se reconnaître. Nous souhaitons donner la parole aux enfants néo-alphabétisés en français ou dans les langues togolaises, notamment le mina qui est une langue transfrontalière au Togo, au Bénin et au Ghana. Le Togo n’est pas la plus grande des démocraties et cela m’a paru essentiel de contribuer à l’expression culturelle en Afrique. Et les choses avancent. Nous avons un fonds d’aide à l’édition depuis deux ans. Même s’il n’est pas très consistant, c’est un début, il y a une réflexion, et nous autres éditeurs avons été associés à l’élaboration de cette amorce de politique du livre. Elle n’est pas encore appliquée mais nous sortons un peu de l’anonymat et l’on commence à avoir une petite idée de ce que nous faisons."

 

 

Questions à Paulin Assem, auteur et éditeur au Togo

 

Paulin Assem est auteur et éditeur-pionnier de BD au Togo, un domaine au fort potentiel mais qui reste largement à développer en Afrique. Pour ce faire, il forme lui-même les illustrateurs au sein de sa maison.

 

BIEF : Paulin Assem, comment concevez-vous votre développement au niveau local et international ?

 

Paulin Assem : Ago est une maison indépendante qui fait partie du groupe Ago Media qui regroupe aussi des activités de diffusion et d’audiovisuel. Nous n’attendons pas que les artistes viennent apporter des projets finis mais nous les formons pour les faire travailler sur des projets à nous.

 

Quand on a commencé, le marché de la BD n’existait pas. Nous avons d’abord publié des fanzines sur les super-héros africains ce qui n’a pas du tout marché. On a donc commencé à faire des BD à thèmes. Le premier titre, Haïti mon amour, portait sur les enfants des rue après le tremblement de terre à Port-au-Prince puis on a travaillé sur Chroniques de Lomé, l’histoire du Togo en BD. On en a apporté une vingtaine d’exemplaires au Salon d’Angoulême, ils étaient mal imprimés et on a pourtant tout vendu en quelques jours.

 

En ce qui concerne notre développement international, je ne suis pas venu à Francfort pour dire "achetez, achetez, achetez". Avant l’arrivée des mangas en Europe, les éditeurs européens étaient partis avec des Tintin pour les vendre aux Japonais… ils sont rentrés avec des mangas. Il faut d’abord que les choses marchent chez nous pour pouvoir susciter l’intérêt de l’autre. Nous voulons que les éditeurs français puissent s’intéresser au marché africain mais ce n’est pas possible si ce marché n’existe pas déjà.


Propos recueillis par Katja Petrovic et Pierre Myszkowski

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