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Compte rendu

Francfort 2017. Encourager les coopérations éditoriales Sud/Nord : l’exemple de la jeunesse

décembre 2017

Les rencontres professionnelles de Francfort ont offert une nouvelle occasion d’aborder l’enjeu des coopérations éditoriales au sein de la Francophonie. Si la coédition entre éditeurs africains s’est beaucoup développée, elle reste compliquée avec les éditeurs français.


En Afrique subsaharienne, la coédition s’est très tôt imposée comme une nécessité, notamment dans le domaine de la jeunesse et d’abord entre éditeurs africains eux-mêmes, "selon un axe Sud-Sud". Béatrice Gbado, qui a créé en 1998 à Cotonou les éditions Ruisseaux d’Afrique, a ainsi rappelé que dès le début des années 2000, de nombreux projets ont été initiés par des maisons d’édition de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Bénin, mais aussi de Tunisie et d’autres pays encore. "Ces projets ont permis de créer des collections qui ont généré jusqu’à 80 titres diffusés dans tous ces pays à la fois. Ils nous ont permis de contourner les difficultés liées à l’étroitesse de nos marchés locaux et de régler les problèmes de distribution, mais aussi de production et de qualité éditoriale."

 

Faire face à une multitude de francophonies

 

Ces coopérations ont pu se développer entre éditeurs d’une même sous-région qui partagent les mêmes réalités de marché. Elles bénéficient aujourd’hui des dynamiques nées du travail en réseau, à l’image des coéditions proposées par l’Alliance internationale des éditeurs indépendants ou du travail mené par l’association Afrilivres. En revanche, la question des coopérations éditoriales sur un axe Nord-Sud reste plus complexe. "La réalité, c’est que nous avons une multitude de francophonies. Ce n’est pas parce qu’on parle la même langue qu’on a nécessairement les mêmes besoins littéraires", souligne Simon de Jocas, directeur des éditions Les 400 coups à Montréal. Mais quelles sont, outre les différences économiques et politiques aujourd’hui bien identifiées, ces différences qui rendent la coopération si peu fluide entre les pays francophones du Nord et du Sud ?

 

Envisager autrement les coéditions

 

Pour Thierry Magnier, qui dirige le pôle jeunesse du Groupe Actes Sud Junior, les exigences par rapport à des enjeux de fabrication ou de qualité éditoriale font que les livres jeunesse en France sont chers à l’échelle du pouvoir d’achat dans le Sud et rendent plus compliqués les projets de coédition, mais la véritable difficulté se situerait plutôt du côté des contenus. "Les sujets que nous abordons dans nos livres peuvent poser problème dans d’autres pays. Sachant qu’il n’est pas question de demander à un auteur d’aseptiser son propos pour pouvoir être publié ailleurs. Ces coopérations éditoriales doivent reposer sur des valeurs partageables et universelles et doivent nous permettre d’aboutir à un livre qui est attendu par l’un et par l’autre." Pour mieux y parvenir, Thierry Magnier propose de repenser le mode de collaboration : "Plutôt que de chercher à se vendre mutuellement et coûte que coûte des droits, il faut privilégier le travail en commun dès le départ, avec les auteurs, les illustrateurs et entre éditeurs."

 

"Une question de regard et de posture"

 

Une piste de réflexion concrète et intéressante mais qui, selon Béatrice Gbado, nécessiterait un changement plus profond dans les relations entre éditeurs francophones du Nord et du Sud. Car, pour l’éditrice béninoise, la difficulté à construire des partenariats tient aujourd’hui encore à une question de regard et de posture. "Nous partageons une langue, mais pour autant, est-ce que nous nous considérons comme des collègues agissant pour le même objectif ?" Dénonçant le risque d’une coopération éditoriale "déguisée" visant à démultiplier la présence d’ouvrages venus de France, Béatrice Gbado plaide pour une coopération d’égal à égal, "qui donne vie à toutes les cultures, à toutes les pensées, à toutes les prises de parole, de nos différents auteurs, de nos différents illustrateurs, de par le monde francophone".

 

Changer de regard grâce au dialogue

 

Pour définir ensemble quelles sont ces valeurs communes et partageables tout en acceptant les différences culturelles, il n’y a que le dialogue, comme le souligne Simon de Jocas : "Je dois admettre que je n’ai eu que quelques rendez-vous avec des éditeurs africains ou du Maghreb ici à la Foire de Francfort alors que j’aurais dû en avoir trois fois plus. Nous aurions dû nous parler davantage. Il nous faut d’abord établir des liens humains et professionnels pour ensuite trouver éventuellement des livres pouvant être coédités ou vendus en droits communs ou développés avec un auteur africain et un illustrateur québécois. Tout cela se fait sur le long terme, cela ne se décide pas du jour au lendemain, il faut se voir, se rencontrer régulièrement."


Pierre Myszkowski

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