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Compte rendu

Le séminaire de libraires franco-brésiliens à São Paulo : une forte mobilisation

juillet 2016

[3 mai 2016]

C’est dans un contexte politique tourmenté que se sont retrouvés quelque 80 professionnels du livre brésiliens pour une journée de rencontre, organisée conjointement par la Chambre brésilienne du livre, l’Institut français et le BIEF, qui s’est déroulée dans l’auditorium de l’une des librairies Martins Fontes, située sur la Paulista.


Pour les éditeurs brésiliens qui se sont retrouvés à São Paulo le 3 mai dernier à l’occasion d’un séminaire franco-brésilien, l’invitation d’honneur de leur pays au Salon du livre de Paris un an plus tôt semblait déjà comme un lointain souvenir. La crise politique et le marasme économique se sont depuis durablement installés, et les effets sur l’économie du livre au Brésil n’ont pas tardé à se faire sentir. En novembre 2015, Charles Cosac annonçait ainsi la cessation d’activité de sa maison d’édition, Cosac Naify, en invoquant parmi les raisons de cette fermeture "l’inflation, la dépréciation de la monnaie… et une législation inefficace".

 

La baisse de la consommation, notamment au sein des couches moyennes brésiliennes, a eu rapidement un impact sur le chiffre d’affaires de toutes les librairies (de l’ordre de -30% depuis le début de cette année), entraînant aussi la disparition des points de vente les plus fragiles, pour l’essentiel des librairies de quartier indépendantes qui n’ont pu survivre à la guerre des prix que se livrent les majors de la distribution du livre au Brésil. Une guerre des prix qui, avec la crise, a eu tendance à se raviver. Dernier épisode en date, les mesures de rétorsion annoncées par Saraiva, la plus importante chaîne de librairies au Brésil qui, avec son réseau de plus d’une centaine de points de vente, a menacé les éditeurs brésiliens de leur retourner une bonne partie des stocks dont ils disposent, en représailles aux conditions concédées par les mêmes éditeurs brésiliens à Amazon.

 

C’est dans ce contexte tourmenté que se sont donc retrouvés quelque 80 professionnels du livre brésiliens pour une journée de rencontre, organisée conjointement par la Chambre brésilienne du livre, l’Institut français et le BIEF, qui s’est déroulée dans l’auditorium de l’une des librairies Martins Fontes, située sur la Paulista, les Champs-Élysées de São Paulo. Une forte participation qui constituait déjà en soi un succès, comme a pu le souligner en ouverture de cette journée Alice Toulemonde, responsable du Bureau du livre à l’Institut français du Brésil.

 

Pour Mariana Zahar, de la Chambre brésilienne du livre, la mobilisation des professionnels brésiliens autour de cette
rencontre tenait aussi à leur désir de "s’aérer la tête pour sortir du climat actuel au Brésil… le temps d’une journée". Mais ce séminaire, dont le projet avait été arrêté lors du Salon du livre de Paris en 2015, se voulait d’abord une manière de prolonger les rencontres franco-brésiliennes de mars 2015 et d’approfondir notamment la réflexion sur les enjeux d’une loi sur le prix du livre, en particulier dans les relations entre éditeurs et libraires.

 

Si les vertus d’une loi "stabilisatrice" sur le marché du livre, sur le modèle de la loi Lang, ont pu faire l’objet de nombreuses
rencontres – à Paris donc en mars 2015, mais aussi en juillet 2015 à l’occasion du festival littéraire de Paraty, puis en septembre 2015, au cours d’une audition de Jean-Guy Boin devant le Sénat à Brasilia – et continuent, par ailleurs, d’alimenter le débat entre professionnels brésiliens, c’est la première fois qu’un séminaire se proposait d’aborder l’incidence concrète d’une loi sur le prix unique pour le libraire, dans sa relation commerciale avec l’éditeur et, de façon plus générale, dans la gestion de sa librairie.

 

Parmi les initiateurs de ce séminaire, Rui Campos, qui dirige les librairies Travessa, a souhaité profiter de cette rencontre pour partager avec ses collègues brésiliens sa vision du métier de libraire, largement inspirée par sa connaissance de la librairie en France. Soulignant à quel point le métier de libraire en France lui semblait particulièrement valorisé au sein de la chaîne du livre, Rui Campos a d’emblée relié ce constat à celui de la professionnalisation de la librairie en France, notamment sur les enjeux de gestion. Philippe Touron, qui dirige les quatre librairies Gallimard de Paris, est venu pour sa part en apporter une démonstration convaincante, chiffres à l’appui. En présentant les différents tableaux de bord qu’il utilise, Philippe Touron a permis d’illustrer les enjeux de la loi Lang dans son métier de libraire gestionnaire. "Avec le prix unique, ce n’est plus la course aux rabais, mais la recherche de la bonne maîtrise de ses achats. La loi Lang a donc amené les libraires à se professionnaliser." Dès lors, la librairie ne peut être assimilée "au maillon faible de la chaîne du livre", comme l’a souligné de son côté Jean-Guy Boin, directeur général du BIEF.

 

Si le prix unique fait depuis longtemps l’unanimité en France, au Brésil les professionnels sont encore partagés, et le contexte politique ne fait rien pour arranger cette situation. Marco Pereira, le président du SNEL, a rappelé que le texte était toujours en attente (fin avril) devant le Sénat brésilien, mais c’était avant l’annonce de la destitution "programmée" de Dilma Rousseff. C’est dire que l’adoption du projet de loi est plus que jamais suspendue au feuilleton politico-institutionnel. Pour Sergio Herz, le directeur des librairies Cultura, l’une des plus importantes chaînes de librairies du pays, "il est de toute façon trop tard, quand bien même une loi serait adoptée. Les rabais pratiqués sont tels aujourd’hui qu’il n’est plus possible pour un libraire de vivre de la seule vente des livres ». Une analyse que partage également Flavio Seibel qui dirige les librairies Da Vila à São Paulo. D’autres, au contraire, continuent pourtant d’afficher une foi résolue en faveur du prix unique et de son adoption, comme Rui Campos qui compare les effets de la loi sur le prix unique à ceux de l’acupuncture. "En touchant un point du marché, cela fait effet sur l’ensemble du marché."

 

 

Le point de vue de Philippe Touron, directeur des librairies Gallimard à Paris

 

Intervenant au séminaire de libraires franco-brésiliens, Philippe Touron, qui dirige les libraires Gallimard de Paris, a aussi accueilli à plusieurs reprises des libraires brésiliens dans le cadre de leur participation au séminaire des libraires francophones (organisé par le BIEF et le CNL). Son séjour à São Paulo lui a permis de rencontrer dans leurs librairies les dirigeants de plusieurs enseignes phares au Brésil, telles les librairies Cultura, Martins Fontes ou encore Da Vila, sans oublier la Librairie française de São Paulo.

 

"Ce qui m’a impressionné, c’est l’énergie entrepreneuriale de tous. Pourtant, beaucoup m’ont aussi dit qu’il était impossible au Brésil d’avoir une entreprise pérenne en ne vendant que des livres au détail. Les librairies sont souvent très belles, vastes, et témoignent du souci de l’accueil de leur clientèle. L’aménagement, la circulation, l’innovation sont des préoccupations visibles.

J’ai été étonné aussi de voir peu ou pas de livres de poche, et de constater le peu de place accordée à la bande dessinée, même si la production en BD semble encore peu développée au Brésil. L’organisation de l’offre m’a semblé parfois un peu à "l’anglo-saxonne" : c’est-à-dire beaucoup de facing dans les meubles, et moins de tables qu’en France, par exemple. Enfin, le système de dépôt me semble générer un effet "pervers" : les rayons sont souvent remplis de livres en plusieurs exemplaires et ressemblent bien plus à des lieux de rangement qu’à une offre choisie et mise en scène. Mais ce qui m’a le plus frappé dans les librairies, comme lors du séminaire, c’est la gentillesse de tous et la richesse des échanges avec les acteurs présents."

 

 

Un nouveau souffle pour la Livraria francesa de São Paulo

 

Menacée il y a encore deux ans de fermeture, la librairie française de São Paulo semble pourtant connaître une nouvelle jeunesse depuis que Silvia Monteil, sa directrice, a entrepris d’ouvrir des points de vente dans plusieurs alliances françaises du Brésil. Cette stratégie payante, initiée avec l’aide du réseau des alliances et le soutien de l’ambassade de France, s’est accompagnée du développement des ventes en ligne, grâce à un site internet entièrement renouvelé et très efficace.

 

Si la librairie historique au centre-ville de São Paulo, qui fêtera ses 70 ans en 2017, souffre sans doute d’une fréquentation moindre, du fait de sa situation et de la baisse du lectorat francophone au Brésil, le lieu n’a rien perdu de son charme et de sa patine. L’assortiment proposé y est particulièrement riche, comportant même de nombreux titres épuisés en France. Mais ce qui frappe plus encore, c’est l’intense activité qui règne au sous-sol de la librairie. C’est là en effet que sont traitées les commandes de livres français venues de tout le pays. Ou comment Internet contribue à sauver une librairie française au Brésil !

www.livrariafrancesa.com.br


Pierre Myszkowski

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