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Compte rendu

La 25e Foire du livre d’Abu Dhabi prend ses marques dans sa forme internationale

juillet 2015

[7-13 mai 2015]

Dans un quartier à présent construit, l’ADNEC, le parc des expositions d’Abu Dhabi, accueillait cette année 260 000 visiteurs et quelque 800 exposants, dont ceux venus du Maghreb, du Moyen-Orient, mais aussi de Turquie, du Kazakhstan ou d’Asie de l’Est, comme la Corée.


Preuve qu’elle s’établit dans le paysage des foires internationales du livre, la Foire d’Abu Dhabi, organisée par la fondation Kitab, a maintenant ses habitudes et ses habitués. Moins riche en surprises (changements de programme), en coups de théâtre (ouvrages censurés au dernier moment) ou en communication superlative – malgré son 25e anniversaire cette année –, c’est un salon "normal" mais plein d’effervescence qui s’est déroulé du 7 au 13 mai dernier.

 

Dans un quartier à présent construit, à mi-chemin entre l’aéroport et le centre-ville, et proposant les facilités nécessaires à ce type de manifestation (taxis, hôtels et supermarché), l’ADNEC, le parc des expositions d’Abu Dhabi, accueillait cette année 260 000 visiteurs et quelque 800 exposants, dont ceux venus du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), du Moyen-Orient (Syrie, Liban, Égypte, Jordanie, Émirats arabes unis, Arabie saoudite), mais aussi de Turquie, du Kazakhstan et d’Asie de l’Est, comme la Corée.

 

Cette 25e édition avait choisi de mettre l’Islande à l’honneur, dont le stand était entouré de pays d’Europe continentale comme l’Allemagne, la France et l’Italie… Associé à la librairie française de Dubaï, Culture & Co, et à l’Institut français d’Abu Dhabi, le BIEF coordonnait la participation française et proposait une sélection de plus de 1 000 titres, complétée par la librairie en fonction des attentes du lectorat local.

 

Les animations proposées concernaient plusieurs thématiques. Les auteurs pour la jeunesse Claire Ubac et Mathilde Chèvre, qui est aussi éditrice (éditions Le Port a jauni), traductrice et chercheuse à l’IREMAM (Institut de recherche sur le monde arabe et musulman), ont proposé des séances de dédicaces et des ateliers aux jeunes lecteurs du pavillon français. Pour les sciences humaines, ce sont William Gueraiche (Géopolitique de Dubaï et des Émirats arabes unis, éditions Arbre bleu) et Soraya Sidani (Intégration et déviance au sein du système international, Éditions des Presses de Sciences Po) qui sont venus à la rencontre des lecteurs le vendredi, tandis que le samedi faisait la part belle à la littérature avec les invités de marque du salon traduits en français : Sonallah Ibrahim (Égypte), Mohammed Berrada (Maroc), Jón Kalman Stefánsson et Áslaug Jónsdóttir (Islande).

 

Côté professionnel, Sandrine Boisard, responsable du développement international des Éditions des Presses de Sciences Po, a pu rencontrer un large éventail d’éditeurs du monde arabe. Ils lui ont semblé "particulièrement intéressés par la philosophique et l’histoire, mais aussi la géopolitique et les relations internationnales". Profitant du programme de subvention Spotlight on Rights – pour les traductions de et vers l’arabe –, les éditeurs arabophones saisissent l’occasion de rencontrer les éditeurs étrangers présents au salon pour engager des discussions concrètes d’achats de droits. Si l’issue du contrat peut dépendre pour certains de l’obtention de la subvention, cette stimulation permet de rencontrer des éditeurs locaux, de mieux comprendre leur catalogue, de déterminer leur capacité à travailler avec des éditeurs internationaux et d’ancrer une dynamique d’échange de droits avec la langue arabe, qui a longtemps fait défaut.

 

En place depuis 2009, ce programme peut accorder une aide financière pouvant aller de 2 500 $ pour les livres jeunesse à 4 000 $
pour les autres titres. Au fil des années, selon les organisateurs, il a profité à plus de 120 maisons d’édition (surtout arabes mais aussi étrangères) et a retenu 75 dossiers l’an passé. Dans ce contexte, le stand du BIEF, avec la sélection de titres présentée et la mise à disposition des catalogues collectifs thématiques, ainsi que de catalogues individuels d’éditeurs, est un précieux relais pour la prospection des éditeurs locaux qui regrettent qu’il n’y ait pas plus d’éditeurs français présents au salon.

 

De plus en plus souvent organisés en partenariat pour la production, les éditeurs du monde arabe cherchent à pallier la principale difficulté de leur marché : la diffusion-distribution en général et aussi à l’intérieur de la zone arabophone. Cela conduit à ce que les salons du livre, dans cette zone géographique, sont des moments très importants pour les éditeurs arabophones. Des partenariats entre éditeurs de différents pays arabes peuvent leur permettre non seulement de mutualiser les coûts d’impression mais aussi, et surtout, d’étendre et de faciliter la diffusion d’un titre.

 

Enfin, l’autre temps fort du salon pour les professionnels arabophones est la remise de plusieurs prix du Sheikh Zayed BookAward, mais également du prix littéraire IPAF (International Prize for Arabic Fiction),qui a été attribué cette année à un auteur tunisien, Shukri Mabkhout, pour son roman The Italian, édité aux éditions Dar Tanweer (simultanément au Caire, à Beyrouth et à Tunis). Ces prix permettent de faire la lumière sur un titre dans une perspective de vente aux lecteurs, mais aussi – et les éditeurs l’ont bien compris – de vente de droits étrangers.

 

L’année prochaine, le salon se tiendra du 3 au 9 mai et mettra l’Italie à l’honneur.

 

- Laurence Risson

 

 

Questions à Mathilde Chèvre, éditions Le port a jauni :

"À Abu Dhabi, le pari de professionnalisation volontaire est tangible."

 

BIEF : Vous avez animé des séances de lecture pour les enfants sur la foire d’Abu Dhabi. Qu’avez-vous pensé de cette manifestation ?

 

Mathilde Chèvre : Tout d’abord, depuis 2012, où je suis venue pour la dernière fois, la foire a doublé de volume ! Ce qui laisse imaginer que les éditeurs ont des motivations économiques pour y venir et y revenir, au-delà des raisons symboliques que l’on soupçonnait au début.

Seconde réflexion, les programmes développés autour du livre par les Émirats arabes unis se diversifient : en plus des prix attribués et des programmes de traductions attractifs, de nouveaux dispositifs cherchent à encourager directement la lecture.

 

BIEF : De votre point de vue, quels sont ses points forts et ses points faibles ?

 

M. C. : Le point fort me semble indéniablement la puissance financière investie dans le domaine du livre et de la lecture. Et cet investissement semble déboucher sur un développement du contenu éditorial. Le point faible reste que l’on voit peu de public réellement concerné. Les programmes évoqués précédemment porteront peut-être leurs fruits dans les années à venir, en permettant à la chaîne du livre de se développer. Au-delà d’une motivation de légitimation que l’on peut supposer, il existe là une réelle politique publique du livre et de la lecture qui tranche avec ce que l’on observe dans beaucoup d’autres pays arabes.

 

BIEF : Quel peut être son rôle par rapport à l’édition jeunesse dans le monde arabe ?

 

M. C. : Un rôle plutôt moteur. Ainsi que l’a dit et répété Nabiha Muhaydlî des éditions Hadaek (Liban), lors d’une rencontre autour du "renouveau du livre jeunesse", les éditeurs sont en demande d’une politique d’aide à l’édition, qu’elle émane d’une volonté étatique et d’une politique publique ou d’une impulsion extérieure via des programmes type Anna Lindh, FSP, USAID, etc. Nul doute, par exemple, que le prix Ittisalât attribué chaque année à Sharjah à des albums de création arabe pour la jeunesse contribue à créer des vocations éditoriales.

 

BIEF : Quelle serait la particularité d’Abu Dhabi par rapport aux autres salons du monde arabe ?

 

M. C. : Là encore, l’aspect financier fait toute la différence : l’argent engagé dans le bâtiment réservé au Salon du livre d’Abu Dhabi donne à ce salon une structure incomparable aux autres (hors Émirats arabes unis). Par ailleurs, l’équipe semble glaner des idées tout autour du monde et les reprendre pour le salon d’Abu Dhabi : exposition d’illustrateurs, coins pour les enfants, espace professionnel, etc. Autant d’éléments novateurs qui peuvent sembler parfois peu investis par le public et par les participants eux-mêmes, mais qui se développeront et s’incarneront peut-être.

Les salons du livre dans le monde arabe sont avant tout de grandes foires populaires et familiales où les professionnels du livre et les enseignants font leurs courses pour l’année. De toute évidence, Abu Dhabi a aussi fait un pari de professionnalisation volontaire en matière d’échanges.

 

- Propos recueillis par Laurence Risson



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